Cour de justice de l’Union européenne, le 9 novembre 2017, n°C-499/16

L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 9 novembre 2017 se prononce sur l’interprétation de la directive relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée. Il s’agissait de déterminer si une réglementation nationale pouvait légalement conditionner l’application d’un taux réduit de TVA à des denrées alimentaires en se fondant exclusivement sur leur durée de conservation. En l’espèce, une société produisant des pâtisseries et des viennoiseries dont la date de durabilité minimale excédait quarante-cinq jours s’est vu refuser le bénéfice du taux réduit de TVA par l’administration fiscale de son État membre. Cette dernière réservait en effet ce taux avantageux aux produits similaires dont la durée de conservation n’excédait pas ce seuil. Saisi du litige, le tribunal administratif de première instance a rejeté le recours de la société, estimant que la différence de durée de conservation justifiait une différenciation fiscale. La société a alors formé un pourvoi devant la juridiction administrative suprême, laquelle a décidé de surseoir à statuer et d’interroger la Cour de justice. La question préjudicielle visait à savoir si le principe de neutralité fiscale s’opposait à une législation nationale qui subordonne l’application d’un taux de TVA réduit à des pâtisseries et viennoiseries au seul critère de leur date de durabilité minimale ou de leur date limite de consommation. La Cour de justice a répondu que l’article 98 de la directive TVA ne s’oppose pas à une telle législation, à la condition fondamentale que le principe de neutralité fiscale soit respecté, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier concrètement.

L’autonomie laissée aux États membres dans la délimitation des biens éligibles au taux réduit de TVA se trouve ainsi réaffirmée (I), bien que cette prérogative soit strictement encadrée par le respect du principe de neutralité fiscale, dont le juge national est le garant (II).

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I. La faculté reconnue aux États membres de délimiter sélectivement l’application du taux réduit

La Cour rappelle que l’application d’un taux réduit de TVA constitue une dérogation au principe du taux normal, ce qui justifie une interprétation restrictive de son champ d’application. Cette approche permet aux États membres d’exercer une application sélective du taux réduit (A), en utilisant des critères précis pour définir les biens concernés, tel que celui de la durée de conservation (B).

A. Une application sélective conforme à la directive TVA

La directive TVA, dans son article 98, autorise les États membres à appliquer un ou deux taux réduits aux seules catégories de biens et de services listées à son annexe III. Parmi celles-ci figurent les « denrées alimentaires […] destinées à la consommation humaine ». La jurisprudence constante de la Cour confirme qu’il appartient aux États de déterminer, au sein de ces catégories, les biens spécifiques qui bénéficieront du taux réduit. La Cour souligne que « la limitation de son application à des aspects concrets et spécifiques de la catégorie de prestation en cause est cohérente avec le principe selon lequel les exemptions et les dérogations doivent être interprétées restrictivement ». Un État membre peut donc légitimement choisir de ne pas appliquer le taux réduit à l’ensemble des denrées alimentaires, mais seulement à une sous-catégorie d’entre elles. Cette faculté de sélection constitue une marge d’appréciation essentielle laissée aux législateurs nationaux pour la mise en œuvre de leur politique fiscale et économique, dans le respect du cadre harmonisé.

B. La validité de principe du critère de la durée de conservation

Pour opérer cette sélection, les États membres doivent définir avec précision les biens concernés. La Cour précise que « le recours à la [nomenclature combinée] n’est qu’une manière parmi d’autres de délimiter avec précision la catégorie concernée ». En l’espèce, le législateur national a choisi un critère fondé sur la « date de durabilité minimale » ou la « date limite de consommation » pour distinguer les pâtisseries et viennoiseries éligibles au taux réduit. La Cour considère qu’un tel critère, en l’occurrence une durée de conservation n’excédant pas quarante-cinq jours, permet effectivement de délimiter un « aspect concret et spécifique » des biens visés par l’annexe III. Par conséquent, cette méthode de délimitation est jugée, en principe, compatible avec l’article 98 de la directive TVA. Le choix de ce critère n’est donc pas, en soi, contraire au droit de l’Union, car il relève de la liberté d’appréciation de l’État membre pour circonscrire le bénéfice d’une mesure dérogatoire.

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II. Le principe de neutralité fiscale comme limite à la marge d’appréciation nationale

Si la Cour admet la validité de principe d’une application sélective, elle la subordonne au respect scrupuleux du principe de neutralité fiscale. La mise en œuvre de ce principe repose sur une analyse concrète de la perception du consommateur moyen (A), dont la vérification finale est confiée au juge national (B).

A. L’appréciation de la similitude des produits au regard du consommateur moyen

Le principe de neutralité fiscale, inhérent au système commun de la TVA, s’oppose à ce que « des biens ou des prestations de services semblables, qui se trouvent en concurrence les uns avec les autres, soient traités de manière différente du point de vue de la TVA ». Pour déterminer si des biens sont semblables, la Cour rappelle qu’il convient de se placer du point de vue du consommateur moyen. La question centrale est de savoir si les produits « présentent des propriétés analogues et répondent aux mêmes besoins auprès du consommateur ». La différence de traitement ne se justifie que si les particularités existantes, comme la durée de conservation, « influent […] de manière considérable sur la décision du consommateur moyen de recourir à l’un ou à l’autre desdits biens ». Si des pâtisseries avec une durée de conservation longue sont perçues par le consommateur comme substituables à celles ayant une durée de conservation courte, alors une différence de taxation viole la neutralité fiscale. Le critère juridique de la similitude se transforme ainsi en une question de fait économique et concurrentiel.

B. La compétence du juge national pour vérifier le respect de la neutralité fiscale

La Cour de justice établit le cadre d’analyse mais s’abstient de trancher le litige au fond, renvoyant cette tâche à la juridiction nationale. Il lui « incombe d’examiner s’il existe, sur le marché polonais, des pâtisseries ou des viennoiseries dont la durée de conservation n’est pas supérieure à 45 jours, mais qui sont néanmoins semblables, aux yeux de ce consommateur, aux pâtisseries et aux viennoiseries ayant une date de durabilité minimale fixée à plus de 45 jours ». Cette démarche impose au juge de renvoi de mener un examen concret du marché pour déterminer si les deux catégories de produits sont dans un rapport de substitution et de concurrence. Si une telle concurrence est avérée, le principe de neutralité fiscale s’opposera à la législation nationale. Cette solution illustre la répartition des rôles entre la Cour de justice, qui interprète le droit de l’Union, et les juridictions nationales, qui l’appliquent aux circonstances spécifiques de chaque espèce, devenant ainsi les garants effectifs du respect des principes fondamentaux de la fiscalité européenne.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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