Dans l’affaire soumise à commentaire, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur les conditions de recevabilité d’un recours introduit par un candidat à un concours de la fonction publique de l’Union. En l’espèce, un particulier avait participé à un concours général organisé en vue du recrutement d’administrateurs. À l’issue de ce processus, une liste de réserve fut publiée le 22 mai 2019. S’estimant lésé, le candidat a saisi le Tribunal de l’Union européenne d’une demande visant, d’une part, à l’annulation de cette liste de réserve et, d’autre part, à l’obtention de dommages et intérêts en réparation d’un préjudice lié à une discrimination qu’il aurait subie. Par un arrêt du 10 février 2021, le Tribunal a rejeté l’intégralité de ses prétentions. Concernant la demande d’annulation, les juges de première instance ont conclu à son irrecevabilité au motif que le requérant ne disposait pas d’un intérêt à agir. Le Tribunal a également rejeté la demande indemnitaire. Le requérant a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice de l’Union européenne, contestant le raisonnement du Tribunal sur ces deux points. Le problème de droit qui se posait à la Cour de justice était donc de déterminer si le Tribunal avait commis une erreur de droit en jugeant qu’un candidat à un concours ne justifiait pas d’un intérêt à agir pour demander l’annulation de la liste de réserve finale et si le rejet de la demande indemnitaire était une conséquence justifiée de cette première conclusion. Par sa décision, la Cour de justice censure l’analyse du Tribunal, annulant son arrêt sur ces points précis. Elle juge que la demande d’annulation de la liste de réserve et les conclusions indemnitaires connexes ont été rejetées à tort. L’affaire est en conséquence renvoyée devant le Tribunal pour qu’il statue à nouveau.
La Cour de justice opère ainsi une censure de l’appréciation restrictive de l’intérêt à agir retenue en première instance (I), ce qui a pour effet de clarifier la portée du contrôle juridictionnel dans le contentieux de la fonction publique européenne (II).
I. La censure d’une appréciation restrictive de l’intérêt à agir
La décision de la Cour de justice annule le raisonnement du Tribunal sur deux aspects étroitement liés. Elle sanctionne d’abord l’erreur de droit commise dans l’évaluation de la recevabilité du recours en annulation (A), ce qui entraîne logiquement l’annulation du rejet de la demande indemnitaire qui en découlait (B).
A. L’erreur de droit dans l’appréciation de la recevabilité du recours en annulation
La Cour de justice annule la décision du Tribunal en ce que celui-ci « a rejeté la demande d’annulation de la liste de réserve […] comme étant irrecevable pour défaut d’intérêt à agir ». Ce faisant, elle rappelle que l’intérêt à agir doit être interprété de manière suffisamment large pour garantir une protection juridictionnelle effective. En jugeant que le requérant n’avait pas d’intérêt à contester la liste de réserve, le Tribunal a adopté une approche particulièrement stricte, vraisemblablement fondée sur l’idée que l’annulation de la liste n’aurait pas directement placé l’intéressé dans une position plus favorable.
Or, la jurisprudence de l’Union reconnaît traditionnellement qu’un candidat à un concours conserve un intérêt à contester la régularité de la procédure, même s’il n’est pas certain d’être finalement lauréat. Cet intérêt réside dans la garantie que les procédures de sélection se déroulent de manière légale et non discriminatoire. En censurant le Tribunal sur ce point, la Cour de justice réaffirme que l’intérêt à agir ne se limite pas à la seule perspective d’un gain matériel ou d’une nomination. Il s’étend au respect des garanties procédurales et du principe d’égalité de traitement, qui constituent des fondements de l’ordre juridique de l’Union.
B. L’annulation par voie de conséquence du rejet de la demande indemnitaire
La Cour de justice annule également l’arrêt du Tribunal en ce qu’il « a rejeté les conclusions indemnitaires […] tendant à la réparation du préjudice prétendument subi par ce dernier “en rapport avec une discrimination” ». Le raisonnement du Tribunal ayant lié le sort de la demande indemnitaire à celui du recours en annulation, la censure du premier point devait nécessairement affecter le second. L’irrecevabilité du recours en annulation avait servi de fondement au rejet de la demande en réparation, les deux étant perçues comme indissociables.
En annulant cette partie de l’arrêt, la Cour de justice souligne l’autonomie potentielle de l’action en responsabilité. Même si le recours en annulation avait été jugé irrecevable pour d’autres motifs, la question d’une éventuelle faute de l’institution ayant causé un préjudice distinct aurait pu se poser. Le renvoi de l’affaire devant le Tribunal permettra de réexaminer cette demande indemnitaire sur le fond, indépendamment de l’issue finale de la demande d’annulation, en se concentrant sur la preuve de la discrimination alléguée et du préjudice en résultant.
Cette réaffirmation des principes de recevabilité des recours n’est pas sans incidence sur l’étendue de la protection offerte aux justiciables et sur l’articulation des compétences entre les juridictions de l’Union.
II. La portée de la décision sur le contentieux de la fonction publique européenne
Au-delà de la solution d’espèce, l’arrêt précise les contours du droit au recours pour les candidats aux concours de l’Union (A) tout en rappelant la fonction spécifique de la Cour de justice agissant en tant que juge de cassation (B).
A. Le renforcement de la protection juridictionnelle des candidats aux concours
Cette décision consolide les droits des participants aux procédures de sélection de l’Union européenne. En validant une conception large de l’intérêt à agir, la Cour de justice garantit que tout candidat peut demander des comptes à l’administration sur la légalité et l’impartialité de l’ensemble du processus. Cela empêche que des illégalités potentielles, y compris des discriminations systémiques, échappent au contrôle du juge au seul motif que le requérant n’a pas de certitude quant à sa réussite finale.
La portée de cet arrêt est donc préventive. Elle incite les institutions européennes, et en particulier l’Office européen de sélection du personnel (EPSO), à une vigilance accrue dans l’organisation des concours. Les candidats se voient reconnaître un véritable statut de gardiens de la légalité de la procédure, ce qui contribue à la transparence et à l’équité du système de recrutement de la fonction publique de l’Union. La solution assure ainsi un équilibre entre les prérogatives de l’administration et le droit fondamental à un recours effectif.
B. La clarification du rôle de la Cour de justice en tant que juge de cassation
La structure de l’arrêt illustre parfaitement le rôle de la Cour de justice dans le cadre d’un pourvoi. La Cour ne tranche pas le litige au fond. Elle se limite à vérifier si le Tribunal a correctement appliqué le droit de l’Union. Ayant constaté une erreur de droit, elle annule la décision attaquée et, conformément à sa pratique, « renvoie l’affaire devant le Tribunal de l’Union européenne pour qu’il soit statué ».
Il appartiendra donc au Tribunal d’examiner les arguments qui n’avaient pas été traités en première instance, notamment les exceptions d’irrecevabilité soulevées par la Commission et, le cas échéant, le fond des demandes. La mention selon laquelle « le pourvoi est rejeté pour le surplus » indique que la Cour a validé les autres aspects de l’arrêt du Tribunal non contestés ou dont la contestation n’était pas fondée. Cette approche ciblée confirme que le pourvoi n’est pas une nouvelle instance, mais un contrôle de droit strict, garantissant la cohérence de la jurisprudence au sein de l’ordre juridique de l’Union.