Cour de justice de l’Union européenne, le 9 octobre 2014, n°C-268/13

Par un arrêt du 9 octobre 2014, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie d’une question préjudicielle par le Tribunalul Sibiu, a précisé les conditions dans lesquelles un assuré social peut obtenir une autorisation de recevoir des soins hospitaliers dans un autre État membre.

En l’espèce, une assurée sociale résidant en Roumanie et souffrant d’affections vasculaires graves nécessitait une intervention chirurgicale à cœur ouvert. Estimant que l’établissement hospitalier roumain désigné présentait des conditions matérielles insatisfaisantes, notamment un défaut de médicaments et de fournitures médicales, elle a choisi de se faire opérer dans une clinique en Allemagne à ses propres frais, pour un montant total de 17 714,70 euros.

Préalablement à son départ, l’assurée avait sollicité de sa caisse d’assurance maladie la délivrance d’un formulaire E 112, nécessaire à la prise en charge des soins programmés à l’étranger. Cette autorisation lui a été refusée au motif que l’intervention pouvait être réalisée en Roumanie dans un délai raisonnable. L’assurée a alors engagé une action en justice pour obtenir le remboursement de ses frais à titre de dommages et intérêts. Après le rejet de sa demande en première instance, elle a saisi la juridiction de renvoi.

Le litige portait sur l’interprétation de l’article 22, paragraphe 2, second alinéa, du règlement (CEE) n° 1408/71, qui subordonne le droit à une autorisation de soins à l’étranger à l’impossibilité pour l’assuré de recevoir le traitement nécessaire dans son État de résidence en temps opportun.

Il était ainsi demandé à la Cour si cette notion d’impossibilité de dispenser les soins devait s’entendre uniquement d’une incapacité technique ou scientifique, ou si elle pouvait également résulter de défaillances matérielles, telles qu’un manque de médicaments et de fournitures de première nécessité, alors même que les compétences médicales requises sont disponibles dans l’État de résidence.

La Cour de justice répond que l’autorisation de se faire soigner dans un autre État membre ne peut être refusée lorsque c’est en raison d’un défaut de médicaments et de fournitures médicales de première nécessité que les soins ne peuvent être dispensés en temps opportun dans l’État de résidence. Elle précise toutefois que cette impossibilité doit être appréciée au niveau de l’ensemble des établissements hospitaliers de cet État membre et au regard du délai dans lequel le traitement peut être obtenu. Si la Cour consacre une conception extensive de l’indisponibilité des soins (I), elle en délimite rigoureusement la portée (II).

I. L’élargissement de la notion d’indisponibilité des soins

La décision étend la condition d’indisponibilité des soins au-delà du seul critère technique en y incluant les défaillances matérielles du système de santé (A), ce qui confirme une approche fondée sur l’analyse concrète de la situation du patient (B).

A. La prise en compte des défaillances matérielles du système de santé

La Cour interprète de manière large la notion de soins ne pouvant être dispensés dans l’État de résidence. Elle juge que l’indisponibilité d’un traitement ne se limite pas à l’absence de compétences médicales ou d’équipements spécialisés. Un défaut structurel, tel que le manque de médicaments ou de fournitures essentielles, peut rendre impossible la réalisation d’une intervention dans des conditions de sécurité et d’efficacité satisfaisantes.

La Cour fonde son raisonnement sur une lecture littérale et téléologique du texte, en relevant que « l’article 22, paragraphe 2, second alinéa, du règlement n° 1408/71 ne fait pas de distinction selon les différentes raisons pour lesquelles une prestation médicale déterminée ne peut être fournie en temps opportun ». Dès lors, une défaillance logistique ou matérielle constitue une cause d’indisponibilité au même titre qu’une incapacité technique. Cette solution garantit que le droit du patient à recevoir des soins appropriés ne soit pas vidé de sa substance par des carences organisationnelles du système de santé national.

Cette interprétation finaliste s’accompagne d’une méthodologie d’appréciation déjà éprouvée.

B. La confirmation d’une approche factuelle et individualisée

En intégrant les aspects matériels dans son analyse, la Cour confirme sa jurisprudence antérieure qui impose à l’institution compétente une évaluation concrète et complète de chaque situation. Pour déterminer si un traitement peut être obtenu en temps utile, l’autorité nationale doit examiner « l’ensemble des circonstances caractérisant chaque cas concret, en tenant dûment compte non seulement de la situation médicale du patient au moment où l’autorisation est sollicitée […], mais également de ses antécédents ».

Le défaut de médicaments ou de fournitures devient ainsi un élément factuel pertinent parmi d’autres. L’appréciation ne peut donc se limiter à constater abstraitement la disponibilité théorique d’une intervention dans le pays. Elle doit vérifier si, dans les faits, l’ensemble des conditions, y compris matérielles, sont réunies pour que le patient reçoive un traitement présentant un degré d’efficacité identique à celui disponible à l’étranger. La protection de l’assuré est ainsi renforcée, mais cette extension du contrôle n’est pas sans limites.

II. La portée tempérée d’une solution protectrice de l’assuré

La Cour encadre strictement cette nouvelle extension en maintenant l’exigence d’une évaluation à l’échelle nationale (A) et en rappelant le critère central du délai de traitement (B), afin de préserver l’équilibre des systèmes de sécurité sociale.

A. Le critère de l’évaluation à l’échelle nationale

La Cour apporte une limite essentielle à la solution qu’elle dégage. Si un défaut de matériel dans un hôpital peut justifier une autorisation de soins à l’étranger, le patient ou l’autorité compétente ne peut se contenter d’examiner la situation d’un seul établissement. La Cour précise en effet que « cette impossibilité doit être appréciée au niveau de l’ensemble des établissements hospitaliers de cet État membre aptes à dispenser lesdits soins ».

Cette exigence place une charge de preuve significative sur l’assuré qui sollicite l’autorisation. Il doit démontrer que l’indisponibilité matérielle n’est pas un problème isolé, mais qu’elle l’empêche d’accéder au traitement nécessaire dans n’importe quel autre établissement approprié sur le territoire national. Cette approche vise à concilier le droit à la libre circulation des patients avec la nécessité pour les États membres de maîtriser l’organisation et le financement de leurs systèmes de santé, en évitant qu’une difficulté locale ne justifie systématiquement un recours aux soins transfrontaliers.

Enfin, la Cour réaffirme que cette indisponibilité, même matérielle, doit être intrinsèquement liée à la dimension temporelle du soin.

B. La persistance de l’exigence d’un traitement obtenu en temps opportun

Le cœur du dispositif de l’article 22 du règlement demeure la notion de « délai normalement nécessaire ». L’arrêt rappelle que la seconde condition pour l’octroi de l’autorisation est que les soins « ne puissent, compte tenu de son état actuel de santé et de l’évolution probable de la maladie, lui être dispensés dans le délai normalement nécessaire ».

Ainsi, un défaut de médicaments ou de fournitures n’ouvre droit à une autorisation que s’il a pour conséquence directe d’empêcher que le traitement soit administré en temps opportun. Il appartient donc à la juridiction nationale de vérifier si l’intervention chirurgicale n’aurait pas pu être réalisée dans le délai médicalement requis, qui était en l’espèce de trois mois, dans un autre établissement en Roumanie. La Cour maintient fermement l’équilibre entre la protection de la santé du patient et la prérogative des États membres de gérer leur offre de soins, en refusant de transformer le droit à des soins transfrontaliers en un droit de convenance.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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