Par un arrêt du 9 octobre 2014, la Cour de justice de l’Union européenne, statuant sur renvoi préjudiciel, a précisé l’interprétation de la position 3822 de la nomenclature combinée relative aux réactifs de diagnostic ou de laboratoire.
En l’espèce, une société a sollicité de l’autorité douanière allemande un renseignement tarifaire contraignant pour deux produits, des témoins de température à usage unique. Ces dispositifs, destinés à être apposés sur des marchandises sensibles, indiquent de manière irréversible par un changement de couleur si un seuil de température prédéterminé a été atteint. Le premier produit fonctionne par la liquéfaction d’une substance colorée qui migre par capillarité vers une bande de papier visible. Le second repose sur la contraction d’un liquide incolore qui, sous l’effet du froid, aspire un liquide violet dans une partie visible du dispositif.
L’autorité douanière a classé ces produits dans la sous-position 3824 90 97 de la nomenclature, correspondant aux produits des industries chimiques non dénommés ni compris ailleurs. La société importatrice a contesté cette décision, d’abord par un recours administratif qui fut rejeté, puis devant le Finanzgericht Hamburg. Elle soutenait que les produits devaient relever de la position 3822, laquelle est exemptée de droits de douane. L’autorité douanière maintenait sa position au motif que le fonctionnement des produits reposait sur un processus physique et non sur une réaction chimique ou biochimique, condition nécessaire selon elle pour une classification en tant que réactif. Face à cette incertitude, la juridiction allemande a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle visant à déterminer si le terme « réactif », au sens de la position 3822, implique nécessairement une modification de nature chimique. La Cour a répondu par la négative, estimant que de tels témoins de température ne relèvent pas de ladite position.
La solution de la Cour, fondée sur une lecture rigoureuse des notes explicatives de la nomenclature, clarifie la notion de réactif en la distinguant nettement des simples indicateurs physiques (I). Cette décision, qui consacre une approche textuelle et fonctionnelle de la classification, a pour portée de délimiter strictement le champ d’application de la position 3822 et d’en exclure les dispositifs dont le mécanisme n’est pas de nature réactionnelle (II).
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I. La clarification du concept de réactif par une interprétation stricte de la nomenclature
La Cour examine successivement la nature des produits au regard des catégories de réactifs de diagnostic puis de laboratoire pour conclure à une double exclusion.
A. L’exclusion des indicateurs de température de la catégorie des réactifs de diagnostic
La Cour se fonde sur les notes explicatives du Système Harmonisé pour définir les contours de la notion de réactif de diagnostic. Elle rappelle que ces derniers « sont utilisés pour l’évaluation des processus et des états physiques, biophysiques et biochimiques chez l’homme et l’animal » et que leur fonction repose « sur une modification mesurable ou observable de leurs substances constitutives biologiques ou chimiques ». Or, les témoins de température en cause ne répondent pas à ces critères.
En effet, leur finalité n’est pas d’évaluer un processus biologique propre à un être vivant. Ils se contentent de mesurer la température ambiante à laquelle des marchandises, fussent-elles d’origine biologique, ont été exposées. La Cour souligne ainsi que les produits « ne sont pas utilisés pour l’évaluation des processus et des états physiques, biophysiques et biochimiques chez l’homme ou l’animal ». De plus, le changement de couleur qui se produit ne résulte pas d’une interaction avec une substance externe, mais d’un processus purement interne et physique, tel que la liquéfaction ou la variation de volume d’un liquide. La fonction de ces produits ne repose donc pas sur une modification de leurs substances constitutives qui serait le résultat d’une réaction avec les produits qu’ils accompagnent. Cette absence d’interaction directe les disqualifie de la catégorie des réactifs de diagnostic.
B. L’extension du raisonnement aux réactifs de laboratoire
La Cour étend logiquement son analyse aux réactifs de laboratoire. Elle estime que les notes explicatives ne permettent pas de retenir une définition substantiellement différente pour cette seconde catégorie de réactifs. Si les réactifs de laboratoire incluent des réactifs d’analyse utilisés à des fins autres que le diagnostic, leur nature fondamentale de « réactif » demeure.
Le critère décisif reste l’existence d’une modification des substances constitutives du produit résultant d’une réaction avec l’élément ou la condition à analyser. Le fonctionnement des témoins de température repose sur des phénomènes physiques, la capillarité ou la contraction volumétrique, qui ne sauraient être assimilés à une réaction au sens chimique du terme. La Cour conclut donc que la même logique d’exclusion s’applique. En affirmant que la fonction du produit ne doit pas seulement être analytique mais reposer sur un processus réactionnel, la Cour unifie le concept de réactif sous la position 3822, qu’il soit de diagnostic ou de laboratoire. Elle refuse ainsi une interprétation extensive qui aurait assimilé un simple indicateur de condition physique à un réactif.
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II. La portée de la décision : la consécration d’une approche textuelle et ses conséquences
En privilégiant les caractéristiques objectives des produits, la Cour réaffirme un principe fondamental du droit douanier et trace une frontière claire qui emporte des conséquences notables pour la classification des produits similaires.
A. La primauté des caractéristiques et propriétés objectives dans la classification tarifaire
La décision s’inscrit dans une jurisprudence constante qui favorise la sécurité juridique et la prévisibilité des contrôles douaniers. La Cour rappelle en effet que « le critère décisif pour la classification tarifaire des marchandises doit être recherché, d’une manière générale, dans leurs caractéristiques et propriétés objectives, telles que définies par le libellé de la position de la [nomenclature combinée] et des notes de section ou de chapitre ».
En l’espèce, la Cour s’attache scrupuleusement au mécanisme de fonctionnement des produits plutôt qu’à leur destination finale, qui est de garantir la qualité de marchandises sensibles. Le fait que ces témoins soient utilisés dans des contextes pharmaceutiques ou médicaux ne suffit pas à leur conférer le caractère de réactif. C’est la nature physique du processus de changement de couleur, et non son utilité, qui détermine la classification. Cette approche textuelle et fonctionnelle, bien que restrictive, garantit une application uniforme de la nomenclature tarifaire à travers l’Union, en évitant des interprétations divergentes fondées sur l’usage particulier d’un produit.
B. La délimitation stricte du champ d’application de la position 3822
La portée de cet arrêt est significative. Il entérine une conception étroite de la notion de réactif, qui doit nécessairement impliquer une réaction, qu’elle soit chimique ou biochimique. Par conséquent, sont exclus de la position 3822 tous les dispositifs de mesure ou d’indication dont le fonctionnement est fondé sur un processus purement physique, même s’ils sont utilisés en laboratoire ou à des fins de contrôle qualité.
Cette interprétation a pour conséquence directe de reléguer ces produits dans des positions tarifaires résiduelles, telle la position 3824, qui sont généralement soumises à des droits de douane. La solution a donc un impact économique certain pour les importateurs de technologies similaires, comme les indicateurs d’humidité, de pression ou de chocs basés sur des mécanismes physiques. En refusant d’élargir le champ de la position 3822, exempte de droits, la Cour établit une frontière nette entre les réactifs, dont la fonction est interactive, et les simples témoins, dont la fonction est passivement indicative. L’arrêt vient ainsi consolider la cohérence de la nomenclature douanière en prévenant une extension de la catégorie des réactifs à de simples instruments de mesure physique.