Cour de justice de l’Union européenne, le 9 septembre 2004, n°C-304/01

Par un arrêt en date du 9 septembre 2004, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions d’exercice de la compétence d’urgence de la Commission en matière de politique commune de la pêche. En l’espèce, suite à des avertissements scientifiques sur les risques d’effondrement d’un stock de poisson, la Commission européenne avait adopté un règlement instituant des mesures de reconstitution. Ce texte, fondé sur une procédure d’urgence, prévoyait notamment une augmentation du maillage des filets tout en exemptant de cette contrainte les navires d’une longueur inférieure à douze mètres rentrant au port dans les vingt-quatre heures. Un État membre, s’estimant lésé par cette dérogation qui désavantageait sa flotte composée de navires de plus grande taille, a d’abord tenté sans succès d’obtenir la modification du règlement par le Conseil. Il a ensuite formé un recours en annulation devant la Cour, arguant que la Commission n’était pas compétente pour adopter de telles mesures et que la distinction opérée entre les navires était discriminatoire. La question posée à la Cour était double : il s’agissait d’une part de déterminer si la Commission pouvait légalement recourir à sa compétence d’urgence plusieurs mois après la constatation d’une menace pour les ressources halieutiques. D’autre part, il lui appartenait de vérifier si une mesure technique différenciée selon la taille des navires et la durée de leurs sorties constituait une discrimination prohibée par le droit communautaire. La Cour de justice a rejeté le recours, validant ainsi l’action de la Commission. Elle a considéré que les conditions de mise en œuvre de la compétence d’urgence étaient remplies et que la différence de traitement entre les flottes de pêche était objectivement justifiée par des situations non comparables et des considérations socio-économiques. Cette décision offre l’occasion d’examiner la portée de la compétence d’urgence de la Commission dans le cadre de la politique de la pêche, avant d’analyser l’appréciation par le juge du principe de non-discrimination appliqué aux mesures de conservation.

I. La validation des conditions d’exercice de la compétence d’urgence de la Commission

La Cour de justice confirme la légalité de l’action de la Commission en adoptant une interprétation souple de la notion d’urgence (A) et en reconnaissant à l’institution un large pouvoir dans le choix des mesures à prendre (B).

A. L’interprétation extensive de la condition d’urgence

Le requérant soutenait que la Commission avait perdu sa compétence pour agir en urgence, le règlement ayant été adopté six mois après la constatation de la menace, délai qui aurait permis au Conseil d’agir selon la procédure ordinaire. La Cour écarte cet argument en refusant une lecture restrictive des textes. Elle juge que l’article pertinent « ne soumet toutefois pas l’exercice de cette compétence à une condition spécifique d’urgence ». La seule condition déterminante est que la situation de « perturbations graves et imprévues susceptibles de mettre en péril la conservation des ressources » perdure au moment de l’adoption des mesures. En l’espèce, le caractère critique du stock de poisson n’était pas contesté à la date d’adoption du règlement attaqué. Par cette approche pragmatique, la Cour préserve l’effectivité des pouvoirs de la Commission, considérant que l’inaction du Conseil ne saurait paralyser l’action communautaire face à un péril avéré pour une ressource naturelle. La durée de validité des mesures, implicitement limitée à six mois par le renvoi à la base juridique, suffisait à garantir le caractère temporaire de l’intervention de la Commission.

B. La reconnaissance d’un large pouvoir d’appréciation dans le choix des mesures

L’État requérant contestait également la nécessité des mesures choisies, estimant que d’autres options, comme l’interdiction de l’accès à certaines zones, auraient été plus efficaces. La Cour rappelle ici sa jurisprudence constante selon laquelle la Commission jouit d’un large pouvoir d’appréciation dans l’évaluation de situations économiques et techniques complexes. Le contrôle du juge se limite par conséquent à l’erreur manifeste d’appréciation ou au détournement de pouvoir. La Cour constate que « en décidant d’arrêter des mesures tendant non pas à interdire la capture du merlu […] mais seulement à limiter le nombre de captures autorisées et à augmenter le maillage des filets », la Commission a opéré une juste balance. Elle a pris en compte non seulement l’objectif de conservation des ressources, mais aussi « l’intérêt du secteur de la pêche à assurer son développement à long terme ». Une interdiction totale aurait eu des conséquences socio-économiques bien plus graves, notamment pour les pêcheries mixtes. Cette solution confirme que l’appréciation de la nécessité et de la proportionnalité des mesures de gestion des pêches relève avant tout du choix politique de l’institution, le juge n’exerçant qu’un contrôle restreint.

II. L’application du principe de non-discrimination aux mesures techniques de conservation

Après avoir validé la compétence de la Commission, la Cour examine la conformité de la dérogation litigieuse au principe de non-discrimination. Elle conclut à l’absence de violation de ce principe en se fondant sur l’existence de situations objectivement différentes (A) et sur la prise en compte de facteurs socio-économiques pertinents (B).

A. La justification de la différence de traitement par des situations objectivement différentes

Le moyen principal de l’État requérant reposait sur le caractère discriminatoire de l’exemption accordée aux navires de moins de douze mètres. La Cour rappelle d’abord la définition classique du principe d’égalité de traitement, qui « exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié ». Elle estime ensuite que les petits navires côtiers ne se trouvent pas dans une situation comparable à celle des navires de plus grande dimension. D’une part, leurs capacités les cantonnent aux zones côtières, à la différence des navires de haute mer. D’autre part, leur activité est qualifiée d’« opportuniste », car non ciblée sur une seule espèce, ce qui les distingue de la pêche plus spécialisée des grands navires. La Cour conclut que, « dans cette mesure, la situation des navires de petite taille ne saurait être considérée comme comparable à celle des navires de taille plus élevée ». La différence de traitement n’est donc pas discriminatoire, car elle s’applique à des catégories d’opérateurs qui ne sont pas dans une situation identique.

B. La prise en compte des facteurs socio-économiques comme critère de justification

À supposer même que les situations fussent comparables, la Cour estime que la différence de traitement était objectivement justifiée. Elle valide les arguments de la Commission selon lesquels imposer aux petits navires un changement de maillage pour une période de six mois aurait représenté une charge économique disproportionnée. De tels investissements, couplés à une baisse des captures d’autres espèces, auraient pu menacer la survie de ces petites entreprises de pêche. Ce critère socio-économique est jugé d’autant plus pertinent que l’impact de cette flotte sur le stock de poisson concerné était très faible, représentant « au maximum à 4 % du total des captures de cette espèce ». L’État requérant, tout en contestant ce chiffre, n’a pas apporté la preuve contraire. La Cour démontre ainsi que la proportionnalité d’une mesure de conservation doit aussi s’apprécier au regard de ses conséquences économiques sur les différentes catégories de pêcheurs, surtout lorsque l’impact environnemental de la dérogation accordée est marginal. La mesure est donc jugée justifiée et non discriminatoire.

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