Cour de justice de l’Union européenne, le 9 septembre 2021, n°C-449/20

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 9 septembre 2021, précise l’articulation entre les avantages fiscaux nationaux et la libre circulation des capitaux. Une société établie dans un État membre a perçu des dividendes issus d’actions cotées sur des places boursières nationales et étrangères pendant plusieurs exercices. La contribuable a déduit la moitié de ces revenus de sa base imposable en application d’une disposition protégeant des intérêts publics extrafiscaux jugés supérieurs. L’administration fiscale a rectifié ces résultats en limitant le bénéfice de cet abattement aux seuls titres inscrits sur le marché boursier du territoire national. L’autorité compétente soutenait que cette mesure visait exclusivement à dynamiser la place financière locale par une incitation ciblée sur les investissements de proximité géographique. Le tribunal administratif de première instance a rejeté le recours de la société qui a ensuite formé un pourvoi devant la Cour administrative suprême de Lisbonne. La juridiction de renvoi a décidé, le 22 septembre 2020, de surseoir à statuer pour interroger les juges européens sur la compatibilité de cette pratique fiscale. Le litige porte sur la licéité d’une différence de traitement fondée sur l’origine géographique des dividendes au regard des articles 63 et 65 du traité. La Cour de justice déclare que ces dispositions s’opposent à une réglementation réservant un avantage fiscal aux seuls dividendes issus d’actions cotées nationalement. L’analyse du raisonnement suivi par la juridiction européenne révèle une protection rigoureuse de la liberté de circulation contre les objectifs économiques purement domestiques.

I. L’identification d’une restriction injustifiée à la libre circulation des capitaux

A. La caractérisation d’une entrave aux investissements transfrontaliers

L’article 63 du traité interdit les mesures dissuadant les résidents d’investir dans d’autres États ou favorisant indûment les placements effectués sur le seul marché intérieur. Une différence de traitement fiscal entraîne un régime moins favorable pour les revenus étrangers par rapport à ceux qui possèdent une origine strictement nationale. La pratique litigieuse subordonne le bénéfice d’une déduction partielle à la condition que les actions soient admises aux négociations sur le marché boursier de l’État. Une telle exigence favorise les investissements dans les sociétés résidentes car leurs titres sont plus fréquemment admis sur le marché réglementé de leur siège social. La Cour souligne que « le traitement fiscal avantageux de dividendes est soumis à la condition que les actions soient cotées sur le marché boursier national ». Ce critère objectif nuit aux situations transfrontalières en dissuadant les contribuables de placer leurs capitaux auprès d’entités juridiques établies hors des frontières étatiques. La caractérisation de cette restriction appelle une vérification de la comparabilité entre les actionnaires percevant des revenus nationaux et ceux détenant des titres étrangers.

B. L’affirmation de la comparabilité objective des situations fiscales

L’article 65 du traité permet des distinctions fondées sur le lieu d’investissement mais impose une interprétation strictement proportionnée aux différences de situations constatées. La comparabilité des situations doit s’apprécier au regard de l’objectif poursuivi par la réglementation nationale sans pour autant vider de sa substance la liberté fondamentale. Un investisseur plaçant ses capitaux dans des actions cotées nationalement ou à l’étranger recherche la réalisation de bénéfices par l’exploitation de ses actifs financiers. Les dividendes perçus font l’objet d’une imposition par l’État de résidence qui traite ainsi des revenus possédant une nature économique identique pour le contribuable. La possibilité de déduire l’impôt payé à l’étranger ne modifie pas la situation des bénéficiaires dont les profits subissent une imposition en chaîne. La Cour affirme que les investisseurs se trouvent dans une position similaire puisque les profits réalisés sont assujettis aux règles fiscales du même État membre. Cette assimilation des situations au regard de l’objectif fiscal conduit alors à interroger la légitimité des motifs impérieux d’intérêt général invoqués pour restreindre la liberté.

II. Le rejet des motifs de justification de la mesure nationale

A. L’exclusion des objectifs de nature purement économique

L’administration fiscale justifie la restriction par la volonté de développer le marché boursier national en encourageant les entreprises à solliciter directement l’épargne publique locale. La jurisprudence européenne rejette systématiquement les objectifs de nature purement économique comme motifs capables de valider une entrave aux libertés fondamentales du traité. Une promotion des investissements domestiques est étroitement liée à un protectionnisme financier que le droit de l’Union cherche à éradiquer par l’intégration des marchés. La Cour précise qu’admettre une telle distinction reviendrait à priver de tout effet utile les interdictions posées par les traités concernant les mouvements de capitaux. Elle rappelle qu’« un objectif de nature purement économique ne saurait justifier une restriction à une liberté fondamentale garantie par le traité » dans sa décision. L’avantage fiscal n’apparaît pas indispensable à la réalisation du développement boursier si les titres étrangers bénéficiaient également de cette mesure sans discrimination arbitraire. L’insuffisance de la promotion boursière comme motif de dérogation souligne la nécessité d’encadrer l’exercice de la souveraineté fiscale au sein de l’espace européen intégré.

B. La limitation nécessaire de l’autonomie fiscale des États membres

Les États membres conservent la compétence pour organiser leurs systèmes d’imposition des bénéfices distribués et définir librement l’assiette applicable aux actionnaires sur leur territoire. Cette autonomie fiscale doit impérativement s’exercer dans le respect du droit de l’Union afin de garantir une conception non-discriminatoire de l’ensemble des prélèvements obligatoires. L’arrêt confirme que les impératifs budgétaires ou le développement d’un secteur financier ne sauraient primer sur les exigences de neutralité imposées par les traités. La solution retenue impose aux administrations nationales une mise en conformité de leurs régimes de faveur pour inclure les revenus financiers issus de l’espace communautaire. Cette décision renforce la sécurité juridique des investisseurs en garantissant que le choix de la place boursière ne soit plus dicté par des distorsions fiscales.

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Hassan KOHEN
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