Cour de justice de l’Union européenne, le 9 septembre 2021, n°C-546/18

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 9 septembre 2021 dans l’affaire C-546/18, précise l’articulation entre l’autorité administrative et les droits fondamentaux. Le litige porte sur le contrôle des offres publiques d’acquisition ainsi que sur les garanties procédurales entourant les sanctions administratives à caractère pénal.

Plusieurs acteurs auraient agi de concert afin de prendre le contrôle d’une société immobilière sans respecter l’obligation légale de présenter une offre publique d’acquisition. Une autorité de contrôle nationale a d’abord constaté objectivement cette violation par une décision devenue définitive après un contrôle juridictionnel limité aux seuls points de droit. L’autorité a ensuite engagé une procédure distincte pour infliger des amendes administratives aux personnes physiques impliquées dans la direction des entités en cause.

La juridiction de renvoi, saisie de recours contre ces sanctions, interroge la Cour sur la compatibilité européenne de l’effet contraignant attaché à la décision initiale. Le problème juridique consiste à déterminer si les articles 47 et 48 de la Charte interdisent de lier une procédure de sanction à une constatation administrative définitive. L’étude du sens de cette protection des droits fondamentaux précèdera l’analyse de la valeur ainsi que de la portée du contrôle juridictionnel de pleine juridiction.

I. La conciliation de la stabilité administrative avec les garanties fondamentales de la défense

A. L’encadrement de l’effet contraignant des décisions administratives définitives

Le droit de l’Union ne s’oppose pas par principe à une procédure scindée en une phase de constatation objective et une phase ultérieure de répression. La Cour rappelle que « la reconnaissance d’un caractère définitif à une décision administrative […] contribue à la sécurité juridique, qui est un principe fondamental ». L’autorité administrative peut ainsi valablement conférer un effet obligatoire à ses actes antérieurs pour assurer l’efficacité du contrôle des marchés de capitaux.

Toutefois, ce mécanisme ne doit pas rendre impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits fondamentaux conférés par l’ordre juridique de l’Union européenne. L’autonomie procédurale des États membres reste strictement subordonnée au respect du principe d’effectivité et aux exigences impérieuses de la Charte des droits fondamentaux. La stabilité des actes administratifs trouve sa limite nécessaire dans la protection des intérêts subjectifs des personnes physiques visées par une mesure répressive.

B. Le caractère subjectif et effectif des droits de la défense

Les droits de la défense constituent un principe général exigeant que toute personne puisse faire connaître utilement son point de vue avant toute mesure faisant grief. La Cour souligne que ces droits possèdent « un caractère subjectif, si bien que ce sont les parties concernées elles-mêmes qui doivent être en mesure de les exercer ». L’autorité ne peut opposer une décision passée à un individu qui n’était pas formellement partie à la procédure initiale de constatation.

Dès lors, une divergence d’intérêts peut exister entre une personne morale et ses dirigeants lors de l’établissement d’une responsabilité personnelle passible de sanctions de nature pénale. Il appartient à l’administration d’écarter l’effet contraignant des appréciations antérieures si l’intéressé n’a pu les contester personnellement lors de l’enquête préliminaire. Cette protection garantit que la vérité administrative ne se transforme pas en une présomption de culpabilité irréfragable durant le procès punitif mené ultérieurement.

II. L’exigence d’un contrôle juridictionnel de pleine juridiction en matière répressive

A. L’incidence du droit au silence et de la présomption d’innocence

Les sanctions administratives pécuniaires présentent souvent un caractère pénal au sens de la jurisprudence européenne, imposant le respect rigoureux des articles 47 et 48. Le droit au silence « couvre également des informations sur des questions de fait susceptibles d’être ultérieurement utilisées à l’appui de l’accusation » et de la sanction. La Cour précise que ce droit s’oppose à ce qu’une personne ne puisse contester les éléments de fait fondant sa propre responsabilité personnelle.

En effet, le principe de présomption d’innocence interdit d’imputer une infraction à un individu sur la seule base d’une décision administrative définitive qu’il n’a pu discuter. Les États membres doivent enserrer les présomptions de fait dans des limites raisonnables, en préservant systématiquement les droits de la défense ainsi que l’équité. La protection de l’individu contre l’arbitraire administratif nécessite une possibilité réelle de renverser les constatations factuelles préétablies lors de l’instance de sanction administrative.

B. La nécessité d’un recours devant un tribunal de pleine juridiction

Le droit à un recours effectif devant un tribunal indépendant et impartial exige que le juge puisse examiner l’ensemble des questions de fait et de droit. La Cour observe que si le contrôle juridictionnel est « limité aux seules questions de droit », il ne satisfait pas aux exigences minimales de la Charte. L’impartialité structurelle de l’autorité administrative doit être compensée par un accès direct à un organe juridictionnel doté d’une compétence de pleine juridiction.

En conséquence, le respect des garanties européennes impose d’écarter l’effet contraignant d’une décision administrative si celle-ci n’a pu faire l’objet d’un contrôle juridictionnel complet. Une autorité exerçant simultanément des fonctions d’enquête et de jugement ne saurait être assimilée à un tribunal indépendant sans une séparation fonctionnelle très rigoureuse. Cette solution assure une protection cohérente des citoyens face aux prérogatives répressives des autorités de régulation financière agissant dans le champ de l’Union.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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