Cour de justice de l’Union européenne, le 9 septembre 2021, n°C-855/19

La Cour de justice de l’Union européenne, par sa décision rendue, précise les conditions temporelles de l’obligation de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée. Le litige oppose un assujetti à l’administration fiscale nationale suite à des acquisitions intracommunautaires de carburant effectuées durant le mois de décembre 2016. Une réglementation nationale imposait le versement de la taxe dans un délai de cinq jours à compter de l’introduction des biens sur le territoire. L’autorité fiscale a ordonné un redressement immédiat face à l’absence de paiement anticipé et de déclaration mensuelle spécifique.

Le *Wojewódzki Sąd Administracyjny w Bydgoszczy* a rejeté le recours formé par l’assujetti par un jugement rendu le 10 juillet 2018. Saisi d’un pourvoi, le *Naczelny Sąd Administracyjny* a décidé d’interroger la Cour de justice sur la compatibilité de ce mécanisme de perception accélérée. Le juge national cherche à savoir si les articles 69, 206 et 273 de la directive 2006/112/CE s’opposent à un tel paiement anticipé. Il convient de déterminer si l’exigibilité de la taxe constitue un préalable nécessaire à toute obligation de versement effectif au Trésor public.

La Cour affirme que les dispositions européennes s’opposent à une législation nationale imposant le paiement de la taxe avant qu’elle ne devienne légalement exigible. Ce raisonnement repose sur une distinction stricte des étapes de l’imposition tout en encadrant les facultés de dérogation reconnues aux États membres.

I. La primauté du calendrier communautaire de l’exigibilité

La Cour rappelle que le système de la taxe sur la valeur ajoutée repose sur une chronologie précise définie par le droit de l’Union. Le fait générateur, l’exigibilité et le paiement constituent ainsi trois étapes successives dans le processus conduisant à la perception de cette taxe.

A. La distinction conceptuelle entre fait générateur et exigibilité

L’article 62 de la directive définit le fait générateur comme la réalisation des conditions légales nécessaires pour que la taxe puisse être due. À l’inverse, l’exigibilité correspond au droit que le Trésor peut faire valoir à partir d’un moment donné auprès du redevable. La Cour souligne que « la naissance de l’obligation de paiement de la TVA suppose que ladite taxe soit devenue exigible ». Cette exigibilité est elle-même subordonnée à l’intervention préalable d’un fait générateur selon les dispositions de l’article 68 de la directive mentionnée.

Pour les acquisitions intracommunautaires, la taxe ne devient exigible qu’à la date d’émission de la facture ou au plus tard le mois suivant. Le droit national polonais créait une obligation de paiement indépendante de ces critères temporels en fixant un délai de seulement cinq jours. Cette déconnexion entre le calendrier fiscal national et les règles européennes remet en cause la structure même de la taxe commune. L’exigence de paiement ne peut légalement précéder le moment où l’administration est autorisée à réclamer la créance fiscale définitive.

B. L’interdiction du paiement prématuré de la taxe

La décision relève que l’obligation de paiement anticipé imposée par la loi nationale intervient avant que la taxe ne soit devenue exigible. En effet, la législation querellée exigeait le versement de la taxe indépendamment de l’émission d’une facture par l’assujetti lors de son acquisition. La Cour juge que cette obligation est « imposée avant que la TVA ne devienne exigible en vertu de l’article 69 » de la directive. Cette exigence est contraire au droit de l’Union car elle ignore le délai maximal octroyé pour la facturation des opérations de livraison.

Le juge européen protège ainsi la prévisibilité de la charge fiscale pour les opérateurs économiques réalisant des échanges au sein du marché unique. Le paiement ne peut constituer une étape autonome qui s’affranchirait des conditions de fond prévues par les articles 62 et 69. La perception de la taxe suppose nécessairement que le créancier public dispose d’un titre fondé sur une exigibilité certaine et préalablement établie. Toute anticipation forcée par un État membre constitue une charge indue qui perturbe le fonctionnement harmonisé du système fiscal communautaire.

II. L’encadrement des prérogatives de perception des États membres

Si les États membres conservent une autonomie pour assurer la collecte de l’impôt, celle-ci doit s’exercer dans les limites du cadre communautaire. La Cour de justice limite strictement les possibilités de percevoir des acomptes ou de lutter contre la fraude par des mesures anticipatives.

A. L’impossibilité de détourner la notion d’acompte provisionnel

L’article 206 de la directive autorise les États à percevoir des acomptes provisionnels par dérogation au principe du paiement lors de la déclaration. Cependant, la Cour précise que cette faculté ne saurait être exercée que dans la mesure où elle vise une taxe déjà exigible. L’acompte permet d’avancer la date de paiement d’une créance existante, mais ne peut en aucun cas créer une dette fiscale inexistante. L’article 206 ne saurait établir une dérogation aux articles 62 et 69 de ladite directive relatifs au fait générateur.

Un État membre ne peut donc pas qualifier de simple acompte un paiement exigé avant que les conditions de l’exigibilité ne soient remplies. Cette interprétation garantit que les modalités de recouvrement n’altèrent pas les principes substantiels de la taxe sur la valeur ajoutée commune. La qualification d’acompte ne peut servir de fondement juridique pour contourner les règles impératives liées au calendrier de l’obligation fiscale. Le droit au paiement du Trésor public reste ancré dans la réalisation effective et documentée de l’opération économique taxable.

B. La soumission des mesures anti-fraude au droit de l’Union

Les États peuvent prévoir des obligations supplémentaires pour assurer l’exacte perception de la taxe et éviter la fraude selon l’article 273. Néanmoins, une disposition de droit national ne saurait être considérée comme compatible qu’à la condition qu’elle respecte les autres dispositions impératives. La lutte contre l’évasion fiscale ne justifie pas une rupture avec les mécanismes fondamentaux de l’exigibilité prévus par le législateur européen. Les compétences nationales en matière de recouvrement doivent obligatoirement s’exercer dans le respect du droit de l’Union et de sa cohérence.

La Cour conclut que les articles 69, 206 et 273 s’opposent à une obligation de paiement avant que la taxe ne soit devenue exigible. Cette solution assure une application uniforme du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur l’ensemble du territoire de l’Union. Le juge national devra donc écarter la règle locale au profit des principes protecteurs énoncés par la directive pour les acquisitions intracommunautaires. La neutralité de la taxe et la liberté de circulation des marchandises exigent une stabilité des règles de liquidation fiscale.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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