Par une décision en date du 3 avril 2020, le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité transmise par le Conseil d’État, relative à la conformité du dernier alinéa du paragraphe I de l’article L. 612-3 du code de l’éducation aux droits et libertés que la Constitution garantit. Ces dispositions, issues de la loi du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants, encadrent la communication des informations relatives à la procédure nationale de préinscription dans les formations du premier cycle de l’enseignement supérieur. Une association de défense des étudiants soutenait que ce texte, en restreignant l’accès aux documents administratifs relatifs aux traitements algorithmiques utilisés pour l’examen des candidatures, méconnaissait le droit d’accès aux documents administratifs découlant de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi que le droit à un recours juridictionnel effectif garanti par son article 16. La question posée aux juges constitutionnels était de déterminer si le fait de déroger aux obligations de droit commun en matière de transparence des algorithmes publics, afin de protéger le secret des délibérations des équipes pédagogiques, constituait une atteinte justifiée et proportionnée à ces exigences constitutionnelles. Le Conseil constitutionnel a déclaré les dispositions conformes à la Constitution, mais a assorti sa décision d’une importante réserve d’interprétation, imposant une obligation de publicité a posteriori.
Il convient d’analyser la consécration d’un accès restreint aux informations durant la procédure (I), avant d’étudier la garantie constitutionnelle d’une transparence différée et encadrée (II).
I. La validation d’une transparence limitée au nom de la protection des délibérations
Le Conseil constitutionnel admet que la loi restreigne l’accès aux informations relatives aux algorithmes d’examen des candidatures, en reconnaissant d’une part la légitimité de l’objectif poursuivi (A) et en considérant, d’autre part, que l’atteinte qui en résulte demeure proportionnée durant la procédure de sélection (B).
A. La reconnaissance du secret des délibérations comme objectif d’intérêt général
Le Conseil constitutionnel commence son raisonnement en identifiant la finalité des dispositions contestées. Il relève que le législateur, en écartant les règles de droit commun sur la transparence des algorithmes, a entendu « garantir la nécessaire protection du secret des délibérations des équipes pédagogiques chargées de l’examen des candidatures ». En agissant ainsi, le législateur a cherché à préserver l’indépendance et la sérénité des équipes chargées de l’appréciation des dossiers, considérant que la divulgation prématurée des critères précis et de leur mise en œuvre technique pourrait nuire à la qualité de leur travail. Le juge constitutionnel valide cette démarche en considérant que le législateur « a ainsi entendu assurer l’indépendance de ces équipes pédagogiques et l’autorité de leurs décisions » et que, ce faisant, il « a poursuivi un objectif d’intérêt général ». Cette qualification est déterminante, car elle permet de justifier une limitation à un droit constitutionnellement garanti, tel que le droit d’accès aux documents administratifs, à condition que cette limitation ne soit pas excessive.
B. Une atteinte proportionnée au droit d’accès durant la procédure d’examen
Une fois l’objectif d’intérêt général établi, le Conseil s’attache à vérifier que l’atteinte portée au droit d’accès aux documents administratifs n’est pas disproportionnée. Il constate que la restriction n’est pas absolue et que plusieurs garanties sont maintenues pour les candidats. D’abord, le processus d’examen n’est pas entièrement automatisé et requiert une appréciation humaine. Ensuite, les candidats disposent, en amont de leurs vœux, d’informations substantielles sur les « connaissances et compétences attendues » pour chaque formation. Enfin, et surtout, après la décision, chaque candidat peut obtenir communication « des informations relatives aux critères et modalités d’examen de leurs candidatures ainsi que des motifs pédagogiques qui justifient la décision prise ». Ces éléments conduisent le Conseil à juger que, pendant la durée de la procédure, l’équilibre entre la nécessaire transparence et la protection des délibérations est respecté. La restriction d’accès est donc validée, mais uniquement de manière temporaire, ce qui ouvre la voie à l’exigence d’une transparence ultérieure plus complète.
II. L’encadrement de la dérogation par une exigence de transparence a posteriori
La décision prend toute sa dimension à travers la réserve d’interprétation formulée par le Conseil, qui conditionne la constitutionnalité du texte à une lecture imposant une publicité différée. Cette réserve constitue une condamnation implicite d’une opacité totale (A) et définit la portée réelle de la décision en créant une nouvelle obligation pour les établissements (B).
A. La censure implicite d’une opacité permanente par la réserve d’interprétation
Le Conseil constitutionnel opère un revirement dans la dernière partie de son analyse du grief tiré de l’article 15. Après avoir validé la restriction d’accès pour les candidats et les tiers durant la procédure, il considère ce qu’il adviendrait après la clôture de celle-ci. Il juge que « l’absence d’accès des tiers à toute information relative aux critères et modalités d’examen des candidatures effectivement retenus par les établissements porterait au droit garanti par l’article 15 de la Déclaration de 1789 une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi ». C’est par cette affirmation que le Conseil sauve la loi de la censure. Pour éviter cette inconstitutionnalité, il énonce que les dispositions « ne sauraient, sans méconnaître le droit d’accès aux documents administratifs, être interprétées comme dispensant chaque établissement de publier, à l’issue de la procédure nationale de préinscription et dans le respect de la vie privée des candidats, […] les critères en fonction desquels les candidatures ont été examinées ». Cette technique de la réserve d’interprétation constructive permet de rendre le texte conforme à la Constitution en lui ajoutant une condition qu’il ne prévoyait pas explicitement.
B. La portée de la décision : une obligation de publication à la charge des établissements
La conséquence directe de cette réserve est la création d’une obligation de transparence a posteriori, qui incombe à chaque établissement d’enseignement supérieur. La portée de la décision est donc considérable, car elle impose une reddition des comptes une fois que le secret des délibérations n’a plus lieu d’être protégé. Cette publication doit préciser « dans quelle mesure des traitements algorithmiques ont été utilisés pour procéder à cet examen ». Ainsi, le public et notamment les futurs candidats, les organisations syndicales ou encore les chercheurs peuvent exercer un contrôle démocratique sur la manière dont les universités sélectionnent les étudiants. En conciliant la protection des délibérations en temps réel et l’exigence de transparence a posteriori, le Conseil constitutionnel façonne un équilibre subtil qui renforce l’effectivité du droit d’accès aux documents administratifs dans le contexte nouveau des décisions administratives fondées sur des algorithmes.