Décision n° 2021-958 QPC du 17 décembre 2021

Par une décision en date du 17 décembre 2021, le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer sur la conformité à la Constitution des dispositions de l’article 706-19 du code de procédure pénale. En l’espèce, une information judiciaire avait été ouverte sur le fondement d’une qualification terroriste, justifiant la compétence des juridictions d’instruction parisiennes spécialisées. Au cours de la procédure, cette qualification a été abandonnée au profit d’une qualification de droit commun, mais la juridiction d’instruction parisienne est demeurée saisie de l’affaire. Le requérant a soutenu que le maintien de cette compétence portait atteinte à plusieurs de ses droits fondamentaux, ce qui a conduit la Cour de cassation, par un arrêt du 6 octobre 2021, à transmettre une question prioritaire de constitutionnalité. Il revenait donc au Conseil constitutionnel de déterminer si la règle de prorogation de compétence territoriale des juridictions spécialisées en matière de terrorisme, même après abandon de cette qualification, était compatible avec les principes constitutionnels d’égalité devant la justice et le droit à un procès équitable. En réponse, le Conseil a déclaré la disposition conforme à la Constitution, estimant que la différence de traitement qui en résulte est justifiée et que les garanties offertes aux justiciables sont préservées. Cette décision valide ainsi une règle de compétence dérogatoire au nom de l’efficacité procédurale (I), tout en la jugeant respectueuse des droits fondamentaux du justiciable (II).

I. La consécration d’une prorogation de compétence au nom de la bonne administration de la justice

Le Conseil constitutionnel justifie la validité de la disposition contestée en la présentant comme une règle pragmatique de compétence (A), qui assure la continuité de la saisine juridictionnelle indépendamment des requalifications ultérieures (B).

A. L’objectif pragmatique d’une règle de compétence dérogatoire

Les dispositions contestées instaurent une exception notable aux règles de compétence territoriale de droit commun, qui désignent en principe la juridiction du lieu de l’infraction, du domicile du prévenu ou du lieu de son arrestation. En matière de terrorisme, l’article 706-17 du code de procédure pénale établit une compétence concurrente au profit des juridictions parisiennes, centralisant ainsi le traitement d’un contentieux particulièrement complexe. La première phrase de l’article 706-19 prolonge cette logique en prévoyant que « la juridiction saisie en application de la présente section reste compétente quelles que soient les incriminations retenues lors du règlement ou du jugement de l’affaire ». Le Conseil constitutionnel relève que l’objectif de ce mécanisme est « d’éviter que l’abandon en cours de procédure de la qualification terroriste des faits conduise au dessaisissement de la juridiction initialement saisie et au renvoi de l’affaire vers une autre juridiction ». Cette justification met en lumière un impératif de bonne administration de la justice, visant à prévenir les retards et les complications procédurales qu’engendrerait un changement de juridiction en cours d’instance. La solution retenue assure ainsi une continuité et une stabilité dans le traitement du dossier, la juridiction qui a instruit l’affaire étant jugée la plus à même de la juger, même sous une qualification différente.

B. L’indifférence de la nature des faits pour la pérennité de la saisine

La règle validée par le Conseil constitutionnel consacre le principe d’une cristallisation de la compétence au moment de la saisine initiale. Dès lors que les juridictions parisiennes ont été légitimement saisies sur le fondement d’une qualification terroriste, leur compétence est maintenue pour juger les faits, y compris si ceux-ci se révèlent être des infractions de droit commun. Cette pérennité de la compétence ne dépend donc pas de la nature finalement retenue des faits, mais de la qualification qui a déclenché la saisine. La disposition écarte ainsi toute remise en cause de la compétence territoriale pour des motifs de requalification, sous les réserves expresses des articles 181 et 469 du code de procédure pénale, qui concernent le renvoi en cour d’assises ou la correctionnalisation. La décision du Conseil entérine une approche fonctionnelle de la compétence, où l’organisation judiciaire prime sur une stricte application des critères territoriaux de droit commun, dès lors que l’affaire est entrée dans le champ d’une justice spécialisée.

Ainsi justifiée par des considérations d’efficacité, cette règle dérogatoire devait néanmoins être confrontée aux droits et libertés que la Constitution garantit, ce qui a conduit le Conseil à en vérifier la compatibilité avec les principes d’égalité et du procès équitable.

II. La validation d’une règle de compétence à l’épreuve des droits fondamentaux

Le Conseil constitutionnel a écarté les griefs soulevés par le requérant en opérant une analyse stricte du principe d’égalité devant la justice (A) et en relativisant l’impact de la mesure sur les droits de la défense (B).

A. Le rejet du grief tiré de la rupture d’égalité devant la justice

Le requérant soutenait que la disposition créait une différence de traitement injustifiée entre les justiciables, selon que les faits qui leur sont imputés ont été ou non initialement qualifiés d’actes de terrorisme. Pour écarter ce grief, le Conseil constitutionnel examine les conséquences concrètes de cette prorogation de compétence. Il constate que la mesure « se borne à prévoir une règle spéciale de compétence territoriale » et que la juridiction parisienne qui demeure compétente « est formée et composée dans les conditions de droit commun et fait application des mêmes règles de procédure et de fond que celles applicables devant les autres juridictions ». De ce fait, le Conseil en déduit que sont « assurées aux justiciables des garanties égales ». L’analyse se concentre sur l’égalité formelle des garanties procédurales, considérant que le seul changement de lieu du procès ne constitue pas une rupture d’égalité dès lors que le cadre légal appliqué et les droits offerts au prévenu demeurent identiques. La différence de situation, résultant de la qualification initiale des faits, justifie donc une différence de traitement, celle-ci étant jugée proportionnée à l’objectif de bonne administration de la justice poursuivi par le législateur.

B. La minimalisation de l’atteinte potentielle aux droits de la défense

Le requérant invoquait également une atteinte au droit à un procès équitable et aux droits de la défense, en raison des contraintes matérielles et financières engendrées par l’éloignement géographique de la juridiction parisienne. Cet éloignement pourrait en effet compliquer l’organisation de la défense, la comparution de l’accusé ou l’audition de témoins. Le Conseil constitutionnel écarte cet argument de manière lapidaire, en affirmant que les dispositions contestées « ne méconnaissent pas non plus le droit à un procès équitable ou les droits de la défense ». Sans détailler son raisonnement sur ce point, il opère une mise en balance implicite des intérêts en présence. L’inconvénient pratique subi par le justiciable est considéré comme secondaire par rapport à l’objectif d’intérêt général de bonne administration de la justice. Cette appréciation suggère que les contraintes logistiques, bien que réelles, ne sont pas d’une gravité telle qu’elles porteraient une atteinte substantielle aux droits de la défense, ceux-ci étant par ailleurs garantis par l’ensemble des autres règles de procédure pénale. La solution s’inscrit ainsi dans une logique où les exigences d’organisation d’une justice spécialisée peuvent légitimement primer sur le confort du justiciable.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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