Décision n° 2022-1012 QPC du 6 octobre 2022

Par une décision en date du 6 octobre 2022, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité à la Constitution des dispositions de la loi du 7 août 2015, modifiée par la loi de finances pour 2021, instaurant une contribution exceptionnelle au profit de la métropole du Grand Paris. Ces dispositions prévoyaient les modalités de calcul d’une dotation d’équilibre due pour l’année 2021 par les établissements publics territoriaux et par la Ville de Paris.

Les faits ayant conduit à cette saisine trouvent leur origine dans une différence de traitement apparente entre les contributeurs. Un établissement public territorial a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité, estimant que le mécanisme de calcul de sa participation était moins favorable que celui applicable à la Ville de Paris. Saisi de cette question, le Conseil d’État l’a transmise au Conseil constitutionnel. Le requérant soutenait que la loi, en omettant de prévoir pour la Ville de Paris une majoration du produit de la cotisation foncière des entreprises prise en compte dans le calcul, créait une rupture d’égalité devant la loi et les charges publiques, contraire aux articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Le problème de droit soumis au Conseil constitutionnel consistait donc à déterminer si le législateur pouvait établir, pour le calcul d’une même contribution destinée à une fin identique, des modalités distinctes pour des collectivités placées dans une situation similaire, sans méconnaître le principe d’égalité.

À cette question, le Conseil constitutionnel répond par une décision de conformité sous réserve. Il juge que les dispositions contestées ne sauraient être interprétées, sauf à violer le principe d’égalité, que comme imposant un mode de calcul uniforme. La solution retenue consiste ainsi à étendre à la Ville de Paris la règle de majoration explicitement prévue pour les seuls établissements publics territoriaux, neutralisant par là même la différence de traitement.

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I. La correction par le juge d’une rupture d’égalité

Le Conseil constitutionnel, face à une loi dont la lettre instaure une différence de traitement injustifiée (A), a recours à la technique de la réserve d’interprétation pour en rétablir une lecture conforme au principe d’égalité (B).

A. La consécration légale d’un traitement financier différencié

Les dispositions soumises à l’examen du Conseil mettaient en place un mécanisme de financement exceptionnel pour la métropole du Grand Paris. La contribution était assise sur l’évolution du produit de la cotisation foncière des entreprises entre 2020 et 2021. Pour les établissements publics territoriaux, la loi précisait que le produit de 2021 devait être augmenté d’une compensation versée par l’État, comme le souligne la motivation de la décision : « Le produit de la cotisation foncière des entreprises perçue en 2021 est majoré du montant du prélèvement sur recettes prévu au 3 du A du III de l’article 29 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 ».

Cependant, le texte organisant la contribution due par la Ville de Paris était silencieux sur cette majoration. Cette omission créait une distorsion manifeste, puisque la base de calcul de la dotation se trouvait artificiellement diminuée pour une collectivité et non pour les autres. Une telle différenciation, si elle était appliquée littéralement, aurait pour conséquence d’alléger la charge de l’une des parties prenantes au détriment des autres, alors même que toutes poursuivaient le même objectif de financement de l’échelon métropolitain. Le législateur avait ainsi, par une rédaction imparfaite, institué une rupture d’égalité entre des contributeurs placés dans une situation identique au regard de l’objet de la loi.

B. Le rétablissement de l’égalité par la réserve d’interprétation

Face à cette imperfection textuelle, le Conseil constitutionnel a choisi de ne pas censurer la disposition. Il a préféré recourir à une réserve d’interprétation, une technique lui permettant de fixer le sens dans lequel une loi doit être lue pour rester conforme à la Constitution. Le Conseil constate d’abord que, au regard de l’objectif de la loi, « la Ville de Paris n’est pas placée dans une situation différente de celle des établissements publics territoriaux ». Il en déduit logiquement qu’« Aucun motif d’intérêt général ne justifie non plus que le calcul de la dotation versée par la Ville de Paris à la métropole soit différent de celui de la dotation versée par les établissements publics territoriaux ».

Fort de ce constat, le juge formule une directive d’interprétation contraignante. Il énonce que « les dispositions contestées ne sauraient être interprétées que comme impliquant que le produit de la cotisation foncière des entreprises perçu par la Ville de Paris en 2021 soit majoré du montant du prélèvement sur recettes que l’État lui a versé ». Par cette réserve, le Conseil complète en réalité la loi. Il étend une règle de calcul à une hypothèse que le texte ne visait pas expressément, afin d’assurer le respect du principe d’égalité. La disposition est ainsi déclarée conforme, mais son application est désormais conditionnée à l’interprétation unificatrice posée par le juge.

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II. La portée d’une censure évitée par le pragmatisme du juge

Cette décision illustre le rôle normatif que peut exercer le juge constitutionnel pour préserver la cohérence du droit (A) et adresse un rappel à l’ordre au législateur quant à la nécessaire rigueur dans la rédaction des normes (B).

A. La confirmation du rôle normatif du juge constitutionnel

En choisissant de formuler une réserve d’interprétation plutôt que de prononcer une censure, même partielle, de la loi, le Conseil constitutionnel fait preuve de pragmatisme. Une annulation de la disposition aurait créé un vide juridique et potentiellement compromis l’équilibre financier de la métropole du Grand Paris pour l’année concernée. La méthode retenue permet de sauver le dispositif tout en le purgeant de son inconstitutionnalité. Elle confirme la fonction du Conseil non seulement comme un « législateur négatif » qui abroge la loi, mais aussi comme un interprète souverain qui en guide l’application.

Cette approche démontre que le juge constitutionnel peut se livrer à une véritable ingénierie juridique pour parfaire l’œuvre législative. Il ne se contente pas de sanctionner une erreur, il la corrige. La valeur de cette décision réside dans sa capacité à atteindre l’objectif du législateur tout en restaurant un principe constitutionnel que la rédaction initiale avait malmené. La solution est à la fois respectueuse de l’intention du Parlement et garante des droits et libertés fondamentaux. Elle témoigne d’une volonté de ne pas paralyser l’action administrative par une sanction trop radicale, préférant une solution constructive.

B. Une solution d’espèce rappelant une exigence de principe

Bien que la décision porte sur un mécanisme financier très spécifique et limité dans le temps, sa portée dépasse le simple cas d’espèce. Elle constitue un rappel de l’exigence de clarté et de cohérence qui pèse sur le législateur. En relevant l’absence de justification à la différence de traitement, le Conseil souligne que toute dérogation au principe d’égalité doit être fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport direct avec l’objet de la loi. Le silence ou l’oubli du législateur ne sauraient suffire à établir une telle justification.

Cette décision pourrait ainsi inciter les pouvoirs publics à une vigilance accrue lors de l’élaboration de textes complexes, notamment en matière de finances locales. Elle renforce la prévisibilité du droit pour les collectivités territoriales, qui peuvent légitimement s’attendre à être traitées de manière équivalente lorsqu’elles se trouvent dans des situations identiques. Si la solution est techniquement une décision d’espèce, le principe qu’elle réaffirme possède une portée générale. Il rappelle que l’égalité devant la loi et les charges publiques est un principe cardinal de l’État de droit, dont le respect s’impose avec la même force dans tous les domaines de l’action publique.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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