Par une décision en date du 31 octobre 2024, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité de certaines dispositions du code général des collectivités territoriales relatives au sort des restes mortels exhumés des sépultures en terrain commun.
En l’espèce, un litige était né à la suite de la décision d’une commune de procéder à la reprise d’une concession funéraire située en terrain commun. Le maire, en application de la législation en vigueur, envisageait de faire procéder à la crémation des restes exhumés. Un requérant a contesté cette procédure, arguant que la loi ne prévoyait pas de mécanisme d’information suffisant pour permettre aux proches de faire valoir une éventuelle opposition à la crémation de la part du défunt. Saisi de cette question, le Conseil d’État a décidé, par une décision du 30 juillet 2024, de la transmettre au Conseil constitutionnel sous la forme d’une question prioritaire de constitutionnalité. Le requérant soutenait que l’absence d’obligation d’information portait atteinte au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, à la liberté de conscience et au droit au respect de la vie privée.
Il était ainsi demandé au Conseil constitutionnel de déterminer si les dispositions législatives qui autorisent le maire à ordonner la crémation des restes exhumés d’une sépulture en terrain commun, en se fondant uniquement sur l’absence d’opposition « connue ou attestée » du défunt et sans imposer une obligation d’information des tiers, offraient des garanties suffisantes au regard des droits et libertés que la Constitution garantit.
Le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions méconnaissaient le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. Il a estimé que l’absence de toute obligation d’information ne permettait pas de s’assurer que la volonté du défunt serait effectivement respectée, privant ainsi de garantie légale un principe à valeur constitutionnelle. Cette décision, qui consacre une nouvelle exigence procédurale au nom du respect dû aux défunts (I), se distingue également par la manière dont elle aménage les effets de sa déclaration d’inconstitutionnalité (II).
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I. La consécration d’une protection effective de la volonté du défunt
Le Conseil constitutionnel fonde sa censure sur une interprétation exigeante du principe de dignité de la personne humaine, qu’il applique au respect de la volonté du défunt en matière de sépulture (A), ce qui le conduit à sanctionner une disposition législative dont les garanties se sont avérées purement théoriques (B).
A. Le respect de la volonté du défunt comme composante de la dignité post mortem
Le Conseil constitutionnel ancre sa décision dans le Préambule de la Constitution de 1946, d’où découle le principe à valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. Il prend soin de rappeler une jurisprudence constante en affirmant que « Le respect dû à la dignité de la personne humaine ne cesse pas avec la mort ». Cette formule, bien qu’établie, trouve ici une application particulière. Alors que le législateur avait déjà prévu une protection en mentionnant l’opposition du défunt, le Conseil estime que le respect de la dignité impose non seulement de tenir compte d’une volonté connue, mais aussi de se donner les moyens de la connaître.
La décision confère ainsi une portée concrète à la liberté de conscience et au droit de disposer de son corps, même après la mort. Le choix du mode de sépulture est une expression des convictions personnelles, qu’elles soient religieuses ou philosophiques. En liant le respect de ce choix au principe de dignité, le Conseil constitutionnel élève le niveau de protection. La volonté du défunt n’est plus un simple élément à vérifier passivement, mais un droit dont l’effectivité doit être activement garantie par les pouvoirs publics, en l’occurrence le maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police des funérailles et des cimetières.
B. La censure d’une garantie légale jugée insuffisante
Le cœur du raisonnement du Conseil réside dans la critique de l’insuffisance du dispositif légal. L’article L. 2223-4 du code général des collectivités territoriales permettait la crémation « en l’absence d’opposition connue ou attestée du défunt ». Si l’intention du législateur était bien de respecter la volonté de la personne décédée, le mécanisme prévu se révélait défaillant. Le Conseil le constate en soulignant que « ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative ne prévoient, dans le cas où le défunt est inhumé en terrain commun, d’obligation pour le maire d’informer les tiers susceptibles de faire connaître son opposition à la crémation ».
Cette absence de procédure d’information rendait la garantie légale largement illusoire. En effet, comment une opposition pourrait-elle être « connue ou attestée » si les personnes qui en ont connaissance, généralement les proches, ne sont pas informées de l’imminence d’une décision de crémation ? Le Conseil constitutionnel met en lumière cette incohérence et en déduit que les dispositions contestées « ne permettent pas de garantir que la volonté attestée ou connue du défunt est effectivement prise en compte ». La censure n’est donc pas dirigée contre le principe même de la crémation des restes exhumés, mais contre l’absence de garanties procédurales qui seules permettent d’assurer le respect de la dignité du défunt.
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II. Une censure aux effets aménagés pour l’avenir
Après avoir déclaré l’inconstitutionnalité de la disposition, le Conseil constitutionnel fait usage des pouvoirs qu’il détient de l’article 62 de la Constitution pour en organiser les conséquences. Il décide de reporter l’abrogation de la norme pour éviter un vide juridique (A), tout en édictant une mesure transitoire à effet immédiat pour faire cesser l’inconstitutionnalité (B).
A. Le report de l’abrogation pour éviter un vide juridique
Conscient des effets d’une abrogation immédiate, le Conseil choisit de la différer au 31 décembre 2025. Cette technique de la déclaration d’inconstitutionnalité à effet différé est devenue classique dans le contentieux constitutionnel. Elle vise à prévenir des « conséquences manifestement excessives » qui résulteraient d’une disparition brutale de la norme. En l’espèce, l’abrogation immédiate des mots « en l’absence d’opposition connue ou attestée du défunt » aurait créé une situation paradoxale et encore plus attentatoire à la dignité des défunts. En effet, sans ce membre de phrase, le texte aurait pu être interprété comme autorisant la crémation y compris en présence d’une opposition connue.
Le Conseil juge qu’une telle conséquence serait inacceptable. Le report de l’abrogation a donc pour finalité de laisser au législateur le temps nécessaire pour adopter une nouvelle loi conforme aux exigences constitutionnelles. Cette nouvelle loi devra intégrer une procédure d’information adéquate, comblant ainsi la lacune sanctionnée par la décision. Cette approche pragmatique témoigne de la volonté du Conseil d’inscrire son contrôle dans un dialogue avec le Parlement, en l’incitant à corriger une imperfection législative sans pour autant paralyser l’action administrative.
B. L’édiction d’une mesure transitoire à effet immédiat
Le simple report de l’abrogation n’aurait toutefois pas suffi à remédier à la situation, puisqu’il aurait maintenu en vigueur une disposition inconstitutionnelle pendant plus d’un an. Pour éviter cette situation et donner une portée utile à sa décision, notamment pour le requérant, le Conseil constitutionnel édicte une règle provisoire. Il juge que « jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou jusqu’à la date de l’abrogation des dispositions déclarées inconstitutionnelles, le maire doit informer par tout moyen utile les tiers susceptibles de faire connaître la volonté du défunt ».
Cette mesure transitoire, directement applicable dès la publication de la décision, transforme le Conseil en législateur supplétif. Il ne se contente pas de censurer, il prescrit une obligation de faire à l’administration. Le choix des termes « par tout moyen utile » confère aux maires une certaine souplesse dans la mise en œuvre de cette nouvelle obligation, tout en la rendant impérative. Cette intervention normative directe assure l’effectivité de la décision et garantit que le principe de dignité humaine, tel qu’interprété par le Conseil, soit immédiatement respecté. Elle illustre la portée créatrice que peut revêtir le contrôle de constitutionnalité a posteriori.