Décision n° 2024-6391 AN du 6 juin 2025

Par une décision en date du 6 juin 2025, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur les conséquences du non-respect des règles de financement des campagnes électorales par un candidat à une élection législative. En l’espèce, à la suite du scrutin, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques avait constaté que le mandataire financier d’un candidat n’avait pas procédé à l’ouverture d’un compte bancaire unique destiné à retracer les opérations financières de la campagne. Estimant que cette omission constituait une violation des dispositions du code électoral, la commission a pris la décision de rejeter le compte de campagne de l’intéressé. Conformément à la procédure applicable, elle a ensuite transmis le dossier au Conseil constitutionnel afin que celui-ci se prononce sur l’application d’une éventuelle sanction. Le candidat, bien que régulièrement informé de la procédure engagée à son encontre, n’a pas présenté d’observations en défense. Il revenait donc au juge constitutionnel de déterminer si l’absence d’ouverture d’un compte bancaire dédié constituait un manquement d’une particulière gravité de nature à justifier le prononcé d’une peine d’inéligibilité. Le Conseil constitutionnel répond par l’affirmative, en confirmant d’abord que c’est « à bon droit que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté son compte de campagne », puis en prononçant à l’encontre du candidat une sanction d’inéligibilité pour une durée d’un an.

Cette décision illustre la rigueur avec laquelle le juge électoral contrôle le respect des obligations de transparence financière, en confirmant le caractère substantiel de l’exigence d’un compte bancaire unique (I), avant d’en tirer les conséquences en termes de sanction personnelle, réaffirmant ainsi la portée du manquement (II).

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I. La confirmation du caractère substantiel de l’obligation d’un compte bancaire unique

Le Conseil constitutionnel valide sans réserve l’analyse de la Commission, considérant que l’absence d’un compte dédié est une irrégularité qui vicie fondamentalement le compte de campagne. Cette position repose sur la reconnaissance du rôle essentiel de cette obligation formelle (A), entraînant inévitablement le rejet du compte (B).

A. Le rôle essentiel de l’obligation d’ouverture d’un compte dédié

L’obligation pour le mandataire financier d’ouvrir un compte bancaire ou postal unique, prévue par l’article L. 52-6 du code électoral, n’est pas une simple formalité administrative. Elle constitue la pierre angulaire du dispositif de contrôle du financement politique, en assurant la traçabilité de l’ensemble des opérations financières, qu’il s’agisse des recettes perçues ou des dépenses engagées. L’ouverture de ce compte unique permet de matérialiser un périmètre financier clair et étanche, exclusivement dédié aux activités de campagne. En son absence, toute vérification de la sincérité des comptes, de l’origine des fonds et de la nature des dépenses devient quasiment impossible pour l’organe de contrôle. Le Conseil constitutionnel, en s’appuyant sur ce manquement pour fonder sa décision, réaffirme que cette exigence est une condition substantielle de la régularité et de la transparence du financement électoral, et non une simple prescription accessoire.

B. Le rejet inéluctable du compte de campagne

Dès lors que le manquement à une règle aussi fondamentale est établi, sa sanction administrative s’impose avec une quasi-automaticité. Le Conseil constitutionnel constate que la circonstance de l’absence de compte bancaire est « établie » et en déduit que « c’est à bon droit que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté son compte de campagne ». Le juge opère ici un contrôle de la légalité de la décision de la commission, et non une appréciation en opportunité. L’irrégularité est d’une nature telle qu’elle rend le compte insusceptible d’être approuvé, car il ne respecte pas les conditions de présentation et de fond prévues par la loi. La validation du rejet du compte par le juge constitutionnel apparaît donc comme la conséquence logique et inévitable de la violation d’une règle cardinale du financement électoral, préparant le terrain à l’examen d’une sanction personnelle.

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II. La portée du manquement appréciée à l’aune de la sanction de l’inéligibilité

Au-delà de la confirmation du rejet du compte, la décision prend toute sa dimension dans le prononcé d’une sanction d’inéligibilité. Le Conseil constitutionnel procède à une appréciation souveraine de la gravité du manquement pour justifier cette peine (A), adressant ainsi un message pédagogique sur l’impératif de rigueur qui s’impose à tout candidat (B).

A. L’appréciation de la particulière gravité du manquement

En application de l’article L.O. 136-1 du code électoral, le prononcé de l’inéligibilité est une faculté laissée à la discrétion du juge, subordonnée à l’existence d’une « volonté de fraude ou d’un manquement d’une particulière gravité ». En l’espèce, le Conseil ne retient pas la fraude mais se fonde exclusivement sur la gravité intrinsèque du manquement. Il la déduit du fait qu’il s’agit d’une « règle dont [le candidat] ne pouvait ignorer la portée ». Cette formule révèle que le juge estime que l’obligation d’ouvrir un compte dédié est une règle si essentielle et notoire que son ignorance est inexcusable pour quiconque prétend à un mandat électif. Le Conseil constitutionnel fait ainsi peser sur le candidat une obligation de vigilance et de connaissance des règles fondamentales de l’élection, même lorsque la défaillance est imputable à son mandataire. La gravité ne résulte pas d’un montant ou d’une dépense spécifique, mais de l’atteinte portée au principe même de transparence.

B. La portée pédagogique de la sanction prononcée

En déclarant le candidat inéligible pour une durée d’un an, le Conseil constitutionnel confère à sa décision une portée qui dépasse le cas d’espèce. Cette sanction a une fonction dissuasive et pédagogique, rappelant à tous les futurs candidats et à leurs mandataires l’importance cruciale de cette obligation. Le juge électoral signifie que le respect scrupuleux des règles de forme relatives à la transparence financière n’est pas négociable et que toute négligence sur ce point sera sévèrement sanctionnée. La décision réaffirme la primauté de l’intégrité du processus électoral sur les intérêts particuliers d’un candidat. En qualifiant de manquement d’une particulière gravité une omission qui peut paraître purement administrative, le Conseil envoie un signal clair sur son niveau d’exigence et son absence de tolérance pour les failles qui sapent la confiance des citoyens dans le financement de la vie politique.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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