Décision n° 2025-1128 QPC du 21 mars 2025

Par une décision en date du 21 mars 2025, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité à la Constitution du premier alinéa de l’article L. 621-12 du code monétaire et financier. Saisi par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité transmise par une association, le juge constitutionnel était interrogé sur la compatibilité avec le droit de ne pas s’auto-incriminer de la faculté reconnue aux enquêteurs de l’Autorité des marchés financiers de recueillir des explications lors de visites domiciliaires, sans obligation légale d’informer au préalable la personne sollicitée de son droit de se taire. L’association requérante soutenait que cette absence de notification méconnaissait les exigences découlant de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, dès lors que les propos recueillis étaient susceptibles d’être utilisés dans le cadre de procédures de sanction ultérieures. La question de droit qui se posait était donc de savoir si le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser impose que toute personne sollicitée pour fournir des explications lors d’une opération d’enquête administrative soit systématiquement informée de son droit de garder le silence. À cette question, le Conseil constitutionnel a répondu par la négative, jugeant les dispositions contestées conformes à la Constitution. Il a estimé que le recueil d’explications prévu par la loi ne visait pas à entendre une personne sur des faits pour lesquels elle serait mise en cause, ce qui a pour conséquence de ne pas rendre nécessaire la notification de son droit de se taire. Si la solution retenue repose sur une interprétation restrictive des prérogatives des enquêteurs (I), elle interroge néanmoins quant à sa portée et à la robustesse des garanties offertes aux personnes contrôlées (II).

I. Une validation conditionnée par une interprétation stricte des pouvoirs d’enquête

Le Conseil constitutionnel déclare la disposition conforme à la Constitution en se fondant sur une lecture finaliste du texte qui distingue le simple recueil d’explications de l’audition d’une personne mise en cause (A), cette distinction étant confortée par le rappel du rôle du juge en tant que garant de la loyauté de la procédure (B).

A. La distinction entre le recueil d’explications et l’audition d’une personne mise en cause

Le raisonnement du Conseil repose entièrement sur la qualification des informations recueillies par les enquêteurs de l’Autorité des marchés financiers. Il écarte le grief tiré de la violation du droit de se taire en affirmant que le mécanisme contesté n’est pas assimilable à une audition formelle où une personne serait interrogée sur sa propre responsabilité. Le Conseil précise que « les dispositions contestées n’ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de permettre le recueil par les enquêteurs de l’Autorité des marchés financiers des explications d’une personne sur des faits pour lesquels elle serait mise en cause ». Par cette réserve d’interprétation, il circonscrit la notion d’« explications » à des demandes d’éclaircissements ponctuels et matériels, nécessaires au bon déroulement des opérations de visite et de saisie. En dissociant ces échanges spontanés de l’interrogatoire d’un suspect, le juge constitutionnel considère que la situation ne tombe pas dans le champ d’application des garanties de l’article 9 de la Déclaration de 1789, qui supposent une accusation préexistante ou l’existence d’une procédure de sanction engagée. La notification du droit de se taire n’est donc pas jugée indispensable à ce stade de l’enquête.

B. Le contrôle a posteriori du juge, garantie de la loyauté de la procédure

Pour consolider son analyse et répondre implicitement au risque de dérive, le Conseil constitutionnel met en exergue le rôle du contrôle juridictionnel. Il rappelle qu’« il appartient en tout état de cause au juge compétent pour contrôler les opérations de visite et, le cas échéant, statuer sur leur régularité en cas de contestation, de s’assurer que le recueil des explications de la personne sollicitée sur place a lieu dans des conditions respectant la loyauté de l’enquête ». Cette précision souligne que la validité des explications recueillies demeure subordonnée au respect d’un principe général de loyauté de la preuve. Si les enquêteurs venaient à outrepasser le cadre strict défini par le Conseil et transformaient le recueil d’explications en un interrogatoire déguisé sans en respecter les formes, les éléments ainsi obtenus pourraient être écartés par le juge lors d’un contentieux ultérieur. Cette garantie procédurale a posteriori est donc présentée comme un garde-fou suffisant pour prévenir les atteintes aux droits de la défense, justifiant que la loi n’impose pas de notification préventive du droit au silence.

II. Une portée pratique ambiguë et une protection perfectible des droits de la défense

Bien que juridiquement fondée, la solution adoptée par le Conseil constitutionnel laisse subsister une zone d’incertitude quant à son application concrète, en raison de la frontière ténue entre simple explication et auto-incrimination (A). Elle apparaît également comme une occasion manquée de renforcer les garanties procédurales dès le stade de l’enquête administrative (B).

A. La frontière incertaine entre explication et auto-incrimination

La distinction opérée par le Conseil entre « explications » et interrogatoire sur une mise en cause, si elle est claire en théorie, risque de s’avérer particulièrement délicate à mettre en œuvre en pratique. Lors d’une visite domiciliaire, qui est par nature une mesure intrusive et coercitive, la personne sollicitée se trouve dans une situation de vulnérabilité. Une simple demande d’explication sur un document ou une transaction peut la conduire à fournir des informations qui, sans qu’elle en mesure immédiatement la portée, pourraient la mettre en cause par la suite. La nuance entre clarifier un fait matériel et commencer à s’expliquer sur le fond est subtile, et il est peu réaliste d’attendre d’une personne non avertie, agissant sous la pression de l’instant, qu’elle opère elle-même cette distinction pour préserver ses droits. Le risque est donc réel que, sous couvert de recueillir des explications techniques, les enquêteurs obtiennent des aveux implicites ou des déclarations incriminantes, en contournant les garanties qui s’attachent à une audition formelle.

B. L’opportunité manquée d’un renforcement des garanties procédurales

En validant les dispositions sans émettre de réserve d’interprétation constructive imposant une information, même sommaire, sur le droit de ne pas répondre, le Conseil constitutionnel a fait le choix d’une protection minimale. Il aurait pu s’inspirer de l’évolution du droit processuel, tant interne qu’européen, qui tend à renforcer les droits de la personne dès les premières phases de l’enquête. Une telle obligation d’information aurait permis de clarifier la procédure et de garantir une meilleure effectivité du principe de non auto-incrimination, sans pour autant paralyser le pouvoir d’investigation de l’Autorité administrative. La décision s’inscrit donc dans une logique de confiance envers le contrôle a posteriori du juge pour rectifier d’éventuels abus, plutôt que dans une logique de prévention des atteintes aux droits fondamentaux. En se contentant d’une interprétation stricte du texte, le Conseil laisse perdurer une situation qui, bien que jugée conforme à la Constitution, demeure perfectible au regard de l’équilibre entre l’efficacité des poursuites et la protection des libertés individuelles.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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