Décision n° 76-68 DC du 15 juillet 1976

Dans une décision du 6 juillet 1976, le Conseil constitutionnel a été saisi par le pouvoir exécutif, sur le fondement des articles 46 et 61 de la Constitution, d’une loi organique visant à modifier l’article LO 274 du code électoral. Les faits à l’origine de cette saisine sont d’ordre purement normatif. Le législateur a adopté un texte dont l’unique objet est d’augmenter le nombre de sénateurs élus dans les départements, le portant de 271 à 304, tout en précisant que les nouveaux sièges seraient pourvus au fur et à mesure des renouvellements par série de chaque département. La procédure se limite donc au contrôle de constitutionnalité a priori de cette loi organique, une étape obligatoire avant sa promulgation. Les prétentions des autorités de saisine se résument à obtenir la validation de la conformité du texte à la Constitution. Le problème de droit soulevé par cette décision ne portait pas tant sur le bien-fondé de l’augmentation du nombre de sénateurs que sur la portée du contrôle exercé par le juge constitutionnel. Il s’agissait de déterminer si le Conseil constitutionnel, saisi d’un texte ne modifiant qu’un aspect quantitatif du droit électoral sénatorial, pouvait de sa propre initiative étendre son examen à des questions connexes mais non formellement incluses dans la loi déférée, telles que la répartition des sièges entre les départements. À cette question, la haute juridiction a répondu en délimitant strictement son office. Elle a jugé que son contrôle devait se borner à la seule disposition qui lui était soumise, à savoir la fixation du nombre global de sénateurs, et qu’elle n’était pas compétente pour apprécier les règles de répartition des sièges, dès lors que la loi organique examinée ne les abordait pas. Par conséquent, la décision affirme une conception restrictive de l’étendue de la saisine, cantonnant le juge au texte voté par le Parlement.

Cette décision illustre une conception rigoureuse de l’office du juge constitutionnel, fondée sur une stricte délimitation de sa compétence (I), ce qui emporte des conséquences notables quant à la nature et à l’efficacité du contrôle de constitutionnalité (II).

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I. L’affirmation d’une compétence d’attribution strictement délimitée

Le Conseil constitutionnel, par cette décision, définit son rôle de manière restrictive, en se cantonnant à l’objet précis de la loi qui lui est déférée (A) et en refusant explicitement d’examiner des éléments pourtant matériellement liés mais juridiquement distincts (B).

A. Un contrôle borné à la disposition législative déférée

Le raisonnement du Conseil s’articule autour d’une interprétation littérale de sa saisine. Il constate que la loi organique a pour « seul objet » de modifier le nombre de sénateurs et d’organiser l’entrée en vigueur de cette modification. Dès lors, son analyse ne saurait excéder ce cadre. La juridiction affirme qu’elle « ne peut porter d’appréciation que sur la conformité à la Constitution de la fixation du nombre des sénateurs des départements ». Cette formule révèle une volonté de ne pas outrepasser le champ de la question posée par le législateur, incarnant une forme d’autolimitation. Le juge s’en tient à la matérialité de la norme soumise à son examen, vérifiant sa conformité formelle aux exigences constitutionnelles, notamment le respect de la procédure d’adoption prévue à l’article 46 de la Constitution. L’analyse se concentre ainsi sur le contenant, c’est-à-dire la procédure législative, et sur le contenu explicite de la loi, sans chercher à en explorer les implications ou le contexte plus large.

Cette posture conduit logiquement le juge constitutionnel à écarter tout examen des aspects du droit électoral qui ne sont pas directement modifiés par le texte.

B. Le refus d’examiner les règles de répartition des sièges

Le Conseil prend soin de préciser les questions qu’il n’abordera pas, soulignant ainsi les limites de son intervention. Il énonce clairement qu’il n’est « saisi ni de la répartition des sièges de sénateurs entre les départements, ni des règles selon lesquelles cette répartition est opérée ». Cette exclusion est significative, car le nombre total de sièges et leur répartition entre les circonscriptions électorales constituent les deux faces d’une même réalité démographique et politique. En dissociant ces deux éléments, le juge opère une distinction technique entre l’aspect quantitatif global, seul objet de la loi, et l’aspect qualitatif de sa distribution, qui relève d’autres dispositions du code électoral non visées par la saisine. Cette approche témoigne d’une volonté de ne pas s’immiscer dans des débats connexes qui, bien que pertinents, n’ont pas été formellement portés à sa connaissance par les auteurs de la saisine. Le Conseil se refuse ainsi à exercer un contrôle d’opportunité sur l’équilibre général du système électoral sénatorial à l’occasion de l’examen d’une de ses composantes.

Cette méthode de contrôle, bien que juridiquement rigoureuse, n’est pas sans portée sur la nature et l’étendue de la justice constitutionnelle.

II. La portée d’une autolimitation du contrôle de constitutionnalité

La posture adoptée par le Conseil constitutionnel en 1976 consacre une approche formaliste du contrôle qui garantit une certaine sécurité juridique (A), mais qui peut également présenter un risque de fragmentation de l’appréciation de la constitutionnalité (B).

A. Une approche formaliste garante de la sécurité juridique

En se limitant strictement à la loi déférée, le Conseil constitutionnel fait preuve de déférence envers le législateur et le pouvoir de saisine. Cette retenue judiciaire prévient le risque d’un « gouvernement des juges » où le juge s’emparerait de questions non soulevées pour imposer sa propre vision de la législation. La méthode est prévisible et claire : seules les dispositions contenues dans la loi déférée seront examinées. Cette orthodoxie procédurale assure la sécurité juridique pour le Parlement, qui sait précisément quelles normes sont susceptibles d’être censurées. La décision renforce ainsi la séparation des pouvoirs en cantonnant le juge dans le rôle d’arbitre de la constitutionnalité des textes qui lui sont soumis, sans lui permettre de redéfinir de lui-même les termes du débat politique et juridique. Cette approche garantit une application mesurée et circonscrite du contrôle de constitutionnalité.

Toutefois, une application trop stricte de ce principe peut conduire à une vision parcellaire de la constitutionnalité, en ignorant les effets systémiques d’une loi.

B. Le risque d’un contrôle parcellaire de la constitutionnalité

La principale critique que l’on pourrait adresser à une telle méthode est qu’elle risque de laisser subsister des inconstitutionnalités dans l’ordonnancement juridique. En effet, une disposition peut être intrinsèquement conforme à la Constitution tout en créant, par sa combinaison avec d’autres règles non déférées, une situation d’ensemble qui y serait contraire. En refusant d’examiner la répartition des sièges, le Conseil pourrait valider une augmentation du nombre de sénateurs qui, appliquée aux règles de répartition existantes, aggraverait une éventuelle rupture d’égalité devant le suffrage. Le contrôle « par morceau » empêche une appréciation globale et cohérente de la matière électorale. Cette décision illustre ainsi le dilemme du juge constitutionnel, partagé entre le respect de sa saisine et la nécessité d’assurer la pleine effectivité des principes constitutionnels, lesquels peuvent être affectés par les interactions entre différentes normes juridiques. La portée de cette décision est donc de consacrer une vision dans laquelle la constitutionnalité s’évalue disposition par disposition, au risque d’ignorer les inconstitutionnalités qui naîtraient de leur articulation.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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