Décision n° 84-181 DC du 11 octobre 1984

Le Conseil constitutionnel a rendu, le 10 octobre 1984, une décision capitale concernant la loi visant à limiter la concentration des entreprises de presse. Ce texte législatif ambitionnait de réformer le secteur de l’information pour garantir une transparence financière accrue et assurer la diversité des courants d’opinion. Les parlementaires auteurs de la saisine contestaient la conformité de nombreux articles au regard de la liberté de communication et du principe de légalité des délits. Ils invoquaient également une atteinte au droit de propriété et aux prérogatives de l’autorité judiciaire face à une nouvelle instance administrative de contrôle. Le litige portait sur la capacité du pouvoir législatif à imposer des plafonds de diffusion tout en respectant les garanties fondamentales des citoyens. Le juge constitutionnel devait ainsi arbitrer entre la sauvegarde du pluralisme et le respect des situations juridiques déjà constituées sous l’empire des textes antérieurs. La décision valide l’objectif de pluralisme mais censure les mesures rétroactives ainsi que le pouvoir de sanction automatique attribué à l’autorité administrative. La reconnaissance de cette exigence démocratique permet d’encadrer l’activité économique des médias pour protéger la liberté réelle des lecteurs de choisir leurs sources d’information.

I. L’affirmation du pluralisme comme objectif de valeur constitutionnelle

A. La reconnaissance d’une condition essentielle à la démocratie

Le juge constitutionnel énonce que « le pluralisme des quotidiens d’information politique et générale (…) est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ». Cette proclamation s’appuie sur l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen pour protéger la libre communication des pensées. Le Conseil estime que la liberté ne serait pas effective si le public ne disposait pas d’un nombre suffisant de publications de tendances différentes. L’objectif consiste à permettre aux citoyens d’exercer un libre choix sans que les puissances financières ou publiques ne puissent substituer leurs propres décisions. Le législateur peut donc légitimement réglementer l’exercice de cette liberté fondamentale pour en assurer l’effectivité et prévenir la constitution de monopoles d’opinion. Cette mission législative doit néanmoins se concilier avec d’autres règles constitutionnelles pour éviter de porter une atteinte disproportionnée à la liberté de créer des journaux.

B. La validation des instruments de la transparence financière

La décision souligne que la transparence financière « tend à renforcer un exercice effectif » de la liberté de la presse au lieu de la limiter. En exigeant la connaissance des dirigeants réels et des sources de financement, la loi permet à l’opinion de porter un jugement éclairé. Le Conseil valide ainsi les obligations relatives à la forme nominative des actions et à la déclaration préalable des opérations de cession de contrôle. Ces mécanismes sont jugés conformes dès lors qu’ils visent à éclairer les lecteurs sur les intérêts engagés derrière chaque titre de presse écrite. Le droit de consultation des comptes de valeurs nominatives par les actionnaires et les rédactions est également admis comme une mesure de protection nécessaire. La transparence constitue le corollaire indispensable du pluralisme car elle dévoile les liens économiques susceptibles d’influencer la ligne éditoriale des publications quotidiennes. Cependant, la poursuite de cet idéal démocratique ne saurait s’affranchir du respect des principes fondamentaux qui encadrent l’action du pouvoir législatif.

II. La limitation du pouvoir d’intervention du législateur

A. La protection rigoureuse des situations juridiques existantes

Le Conseil constitutionnel censure l’application des plafonds de concentration aux entreprises dont la situation s’était constituée régulièrement avant la publication de la nouvelle loi. Il rappelle que le législateur « ne peut, s’agissant de situations existantes intéressant une liberté publique, les remettre en cause » de manière arbitraire. Une telle remise en cause n’est possible que si les situations ont été acquises illégalement ou si leur modification est réellement nécessaire. Les juges estiment que la diversité actuelle de la presse nationale ne justifie pas de procéder à des suppressions forcées de titres existants. La protection de la liberté de communication impose au pouvoir législatif de respecter le principe de non-rétroactivité lorsqu’il édicte des règles plus rigoureuses. Les seuils de diffusion ne peuvent donc s’appliquer qu’aux acquisitions futures pour ne pas léser les droits acquis par les opérateurs économiques.

B. Le refus d’une répression confiée à l’autorité administrative

L’examen des pouvoirs de la commission pour la transparence et le pluralisme révèle une méconnaissance des garanties fondamentales liées à l’exercice des libertés. Le Conseil invalide les dispositions permettant à cette autorité administrative d’adresser des mises en demeure exécutoires assorties de sanctions financières ou fiscales automatiques. Il considère que « cette répression ne saurait être confiée à une autorité administrative » sans méconnaître les principes constitutionnels régissant la protection des droits. La privation immédiate d’avantages fiscaux sans intervention préalable du juge judiciaire équivaut à un régime d’autorisation préalable prohibé par la tradition républicaine. Cette censure protège l’équilibre des pouvoirs en réservant à la seule autorité judiciaire le soin de sanctionner les abus constatés dans la presse. Le maintien de la compétence du magistrat constitue le rempart ultime contre les risques d’ingérence du pouvoir exécutif dans le domaine de l’information.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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