Deuxième chambre civile de la Cour de cassation, le 19 juin 2025, n°23-20.322

Par un arrêt du 19 juin 2025, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a cassé un arrêt rendu par la cour d’appel de Pau le 27 juin 2023, dans un litige portant sur l’étendue d’une garantie pertes d’exploitation consécutive à une fermeture administrative liée à la crise sanitaire. Le contrat en cause était une police multirisque de l’hôtellerie, comportant des conditions générales et des conditions particulières.

L’établissement hôtelier avait subi, à la suite d’arrêtés nationaux et préfectoraux, des restrictions d’accueil du public et une interdiction temporaire de location touristique. L’assurée a déclaré un sinistre visant l’indemnisation de pertes d’exploitation et a assigné son assureur devant une juridiction consulaire. La cour d’appel a rejeté ses demandes, retenant que les conditions générales définissaient l’offre de garanties et que seules les garanties mentionnées aux conditions particulières étaient effectivement souscrites.

Les prétentions opposées étaient nettes. L’assurée soutenait que la garantie pertes d’exploitation, incluant la fermeture administrative, figurait parmi les garanties « en inclusion ». L’assureur arguait qu’une telle garantie n’avait pas été expressément choisie, donc non acquise, au regard des seules mentions des conditions particulières. La question de droit tenait au point de savoir si, au vu de l’économie contractuelle, la garantie de pertes d’exploitation consécutive à une fermeture administrative relevait des garanties incluses, ou d’une option devant être spécifiquement souscrite, et si le juge du fond avait dénaturé les écrits contractuels.

La Cour vise l’exigence classique selon laquelle le juge ne doit pas dénaturer les écrits qui lui sont soumis. Elle relève d’abord que, selon l’arrêt commenté, « il en déduit que si les conditions générales proposent des “garanties en inclusion”, dont la perte d’exploitation, et des “garanties en option”, le souscripteur reste libre de ne pas souscrire l’une des garanties incluses dans le contrat ». Puis elle censure ce raisonnement en énonçant que « la garantie des pertes d’exploitation, en ce compris la perte de marge brute due à la fermeture de l’établissement sur décision administrative, fait partie des garanties “en inclusion” et non des garanties optionnelles devant être spécifiquement souscrites ». Partant, « Vu l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis », la Cour casse l’arrêt de Pau, renvoie devant la cour d’appel de Bordeaux, et statue sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile.

I – Le sens de la décision: non‑dénaturation et économie d’une police standardisée

A – La lecture combinée des conditions générales et particulières

La Cour rappelle avec sobriété la règle cardinale de non‑dénaturation. L’arrêt visé ouvre sur la formule: « Vu l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis ». Cette exigence commande que les juges du fond n’altèrent ni la lettre ni l’économie des clauses, surtout lorsqu’elles structurent la hiérarchie des garanties offertes et souscrites.

Le cœur du malentendu tient à l’articulation entre conditions générales et conditions particulières. La cour d’appel a déduit que les premières offraient un catalogue et que les secondes, seules, consacraient l’adhésion effective. En reprenant le motif, la Cour note: « il en déduit que […] le souscripteur reste libre de ne pas souscrire l’une des garanties incluses dans le contrat ». La formulation ainsi citée révèle le glissement: ériger en option ce que le texte place en inclusion.

B – La qualification de la garantie pertes d’exploitation en « inclusion »

La Cour tranche la qualification de manière explicite. Elle déclare que « la garantie des pertes d’exploitation, en ce compris la perte de marge brute due à la fermeture de l’établissement sur décision administrative, fait partie des garanties “en inclusion” ». Cette affirmation, d’une clarté notable, fixe le périmètre du socle garanti par les conditions générales.

Le contrôle de dénaturation se comprend alors aisément. En traitant la fermeture administrative comme une option non reprise aux conditions particulières, les juges du fond ont contrarié la lettre précise du contrat. La cassation s’impose dès lors, car la solution d’appel méconnaît la structure normative de la police, et substitue à l’inclusion une logique d’option injustifiée.

II – Valeur et portée: protection du souscripteur et sécurisation des polices d’entreprise

A – L’encadrement des exclusions et la lisibilité des garanties

La décision renforce une exigence de lisibilité contractuelle dans les polices d’adhésion. Affirmer la nature « en inclusion » de la perte d’exploitation liée à la fermeture administrative empêche des exclusions déguisées par une simple absence de reprise aux conditions particulières. Le contrôle de dénaturation opère ici comme une garantie de stabilité de l’offre standard.

Cette approche rejoint une ligne jurisprudentielle attachée à l’effectivité des garanties annoncées par les conditions générales. Elle incite les rédacteurs à distinguer fermement les garanties de base, d’une part, et les options réelles, d’autre part, en évitant les formulations ambiguës sur la portée des « inclusions ». La sécurité juridique du souscripteur s’en trouve consolidée.

B – Les incidences pratiques sur les litiges sanitaires et au‑delà

La portée immédiate concerne les contentieux issus des fermetures administratives. En retenant que la perte d’exploitation, « en ce compris » la fermeture administrative, relève du socle, la Cour facilite l’accès à l’indemnisation lorsque le texte interne de la police le prévoit ainsi de façon claire et précise. La qualification emporte un effet direct sur le traitement des sinistres.

À plus long terme, l’arrêt signale une vigilance accrue contre les lectures réductrices des garanties. Les juridictions du fond devront s’en tenir à la lettre des polices, sans réinterpréter l’inclusion comme une option. L’onde de choc touche les branches où la segmentation entre garanties de base et garanties optionnelles structure l’équilibre économique des contrats, et invite à une rédaction sans équivoque.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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