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La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt du 19 juin 2025, apporte une clarification importante sur le régime du délai de forclusion applicable aux demandes d’indemnisation des victimes d’infractions mineures au moment des faits.
En mars 2001, un nourrisson âgé de cinq mois a présenté un hématome sous-dural lui ayant laissé des séquelles. Une instruction pénale ouverte pour violences volontaires sur mineur de quinze ans a abouti à une ordonnance de non-lieu le 30 septembre 2002, faute de charges suffisantes contre quiconque. Les parents de la victime ont saisi une commission d’indemnisation des victimes d’infractions le 16 octobre 2014. Devenu majeur le 9 mars 2018, l’intéressé a lui-même saisi la CIVI le 9 mars 2020.
La cour d’appel de Versailles, par arrêt du 12 septembre 2024, a déclaré la victime irrecevable en ses demandes. Elle a considéré que les dispositions de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription civile ne permettaient plus d’appliquer les causes de suspension aux délais de forclusion. Elle en a déduit que le délai de forclusion prévu pour saisir la CIVI n’était pas suspendu pendant la minorité de la victime.
La question posée à la Cour de cassation était de déterminer si le délai de forclusion pour saisir la commission d’indemnisation des victimes d’infractions est suspendu pendant la minorité de la victime.
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel. Elle relève que la victime, devenue majeure le 9 mars 2018, avait saisi la CIVI le 9 mars 2020, soit dans le délai de trois ans suivant sa majorité. La saisine était donc recevable pour des faits remontant à 2001.
Cette décision consacre la protection procédurale du mineur victime d’infraction (I) tout en révélant les enjeux de l’articulation entre forclusion et suspension (II).
I. La consécration de la protection procédurale du mineur victime d’infraction
La Cour de cassation affirme sans équivoque le bénéfice de la suspension du délai de forclusion au profit du mineur (A), ce qui traduit une interprétation protectrice du droit des victimes (B).
A. L’affirmation du bénéfice de la suspension au profit du mineur
La Cour de cassation adopte une position claire : le délai de forclusion pour saisir la CIVI est suspendu pendant la minorité de la victime. Cette solution s’inscrit dans la logique protectrice qui anime l’ensemble du droit de l’indemnisation des victimes d’infractions.
L’article 706-5 du code de procédure pénale prévoit un délai de trois ans pour saisir la commission d’indemnisation. Ce délai court, selon les cas, à compter de la date de l’infraction ou de la décision de la juridiction pénale. La question de sa nature juridique, prescription ou forclusion, emporte des conséquences déterminantes sur l’application des causes de suspension.
La réforme de la prescription civile opérée par la loi du 17 juin 2008 a modifié l’article 2234 du code civil. Celui-ci dispose désormais que « la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ». La minorité constitue un tel empêchement légal d’agir.
La cour d’appel de Versailles avait estimé que cette cause de suspension ne pouvait s’appliquer aux délais de forclusion. Elle s’était fondée sur la distinction classique entre prescription et forclusion, la seconde étant traditionnellement considérée comme insusceptible de suspension ou d’interruption. La Cour de cassation refuse cette lecture restrictive.
En relevant que la saisine était intervenue « dans le délai de trois ans suivant sa majorité », la haute juridiction valide le mécanisme de suspension. Le point de départ du délai ne court qu’à compter de la majorité de la victime. Cette solution garantit à tout mineur victime d’infraction la possibilité effective d’accéder à l’indemnisation une fois devenu capable d’agir en justice.
B. Une interprétation protectrice du droit des victimes
La solution retenue par la Cour de cassation procède d’une lecture téléologique des textes applicables. Le régime d’indemnisation des victimes d’infractions poursuit une finalité sociale évidente : assurer la réparation des préjudices subis lorsque l’auteur est inconnu, insolvable ou non assuré.
Priver le mineur du bénéfice de la suspension reviendrait à le sanctionner pour une inaction dont il n’est pas responsable. Un enfant de cinq mois, comme en l’espèce, ne peut évidemment pas saisir lui-même une juridiction. Il dépend entièrement de l’initiative de ses représentants légaux. Or ceux-ci peuvent, pour diverses raisons, ne pas exercer cette action dans les délais impartis.
La Cour de cassation refuse que l’inertie ou la négligence des représentants légaux puisse définitivement compromettre les droits de l’enfant. La victime devenue majeure doit pouvoir agir personnellement pour obtenir réparation de son préjudice. Le délai de trois ans à compter de la majorité lui offre cette possibilité.
Cette approche s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel favorable aux victimes. La Cour de cassation a déjà admis, dans d’autres domaines, que certains délais préfix puissent être suspendus au profit des personnes protégées. L’arrêt commenté étend cette logique au contentieux de l’indemnisation des victimes d’infractions.
II. Les enjeux de l’articulation entre forclusion et suspension
La décision invite à réexaminer la distinction traditionnelle entre prescription et forclusion (A) et emporte des conséquences pratiques significatives pour les victimes mineures (B).
A. Le dépassement de la distinction traditionnelle entre prescription et forclusion
La doctrine classique oppose nettement prescription extinctive et forclusion. La première sanctionne l’inaction prolongée du titulaire d’un droit. Elle peut être suspendue ou interrompue selon les mécanismes prévus par la loi. La seconde constitue un délai préfix, insusceptible en principe de suspension ou d’interruption, qui conditionne l’exercice d’une action.
La loi du 17 juin 2008 a partiellement remis en cause cette distinction. L’article 2220 du code civil dispose que « les délais de forclusion ne sont pas, sauf dispositions contraires prévues par la loi, régis par le présent titre ». Cette formulation suggère que les règles relatives à la prescription ne s’appliquent pas automatiquement aux délais de forclusion. Elle n’exclut pas toutefois toute application par renvoi légal.
La cour d’appel de Versailles avait tiré de cette disposition une conséquence radicale. Elle avait considéré que les causes de suspension de la prescription, notamment la minorité, ne pouvaient jamais bénéficier au titulaire d’une action enfermée dans un délai de forclusion. Cette interprétation littérale méconnaissait la spécificité du contentieux CIVI.
La Cour de cassation ne se prononce pas explicitement sur la qualification juridique du délai de l’article 706-5 du code de procédure pénale. Elle se contente de constater que la saisine est intervenue dans les trois ans suivant la majorité. Cette motivation laconique suggère que la suspension s’applique de plein droit, quelle que soit la qualification retenue.
Cette approche pragmatique privilégie l’effectivité des droits sur les constructions doctrinales. La distinction entre prescription et forclusion perd de sa pertinence lorsqu’elle aboutit à priver d’action un justiciable qui se trouvait dans l’impossibilité légale d’agir.
B. Les conséquences pratiques pour les victimes mineures
La portée de l’arrêt commenté dépasse le cas d’espèce. Elle concerne l’ensemble des mineurs victimes d’infractions dont les représentants légaux n’ont pas saisi la CIVI dans les délais. Ces victimes conservent désormais la faculté d’agir personnellement une fois devenues majeures.
Le délai de trois ans court à compter du jour de la majorité. En l’espèce, la victime devenue majeure le 9 mars 2018 disposait jusqu’au 9 mars 2021 pour saisir la commission. Sa requête du 9 mars 2020 était donc recevable, bien que les faits remontassent à dix-neuf ans.
Cette solution permet de prendre en compte des préjudices qui n’apparaissent parfois qu’à l’âge adulte. Les séquelles d’un traumatisme infantile peuvent se révéler tardivement. La consolidation de l’état de santé intervient parfois bien après la majorité. Le mécanisme de suspension garantit à la victime le temps nécessaire pour évaluer son préjudice et constituer son dossier.
La décision comporte néanmoins une limite temporelle importante. Le délai de trois ans demeure applicable. La victime qui tarde trop après sa majorité se trouve forclose. La suspension ne constitue pas une dispense définitive mais un report du point de départ. La Cour de cassation concilie ainsi protection de la victime et sécurité juridique.
L’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Versailles autrement composée. La juridiction de renvoi devra examiner au fond la demande d’indemnisation. La victime pourra enfin faire valoir ses droits à réparation pour des faits survenus pendant sa petite enfance, près d’un quart de siècle auparavant.