Avocats en escroquerie à Paris : Défense experte des infractions économiques
L’escroquerie mobilise chaque année plusieurs milliers de procédures judiciaires en France. Cette infraction économique, définie par l’article 313-1 du Code pénal, expose les personnes poursuivies à cinq ans d’emprisonnement et trois cent soixante-quinze mille euros d’amende. Les techniques frauduleuses évoluent rapidement, du spoofing bancaire aux montages commerciaux sophistiqués, multipliant les risques de poursuites.
La frontière entre litige commercial et escroquerie constitue une zone juridique délicate. Un contentieux contractuel mal défendu bascule facilement en procédure pénale si l’accusation démontre des manœuvres antérieures à la signature du contrat. Cette distinction, cruciale pour votre défense, nécessite une analyse technique rigoureuse des éléments matériels et intentionnels de l’infraction.
Le Cabinet Kohen Avocats défend les personnes physiques et dirigeants poursuivis pour escroquerie devant les juridictions parisiennes. Notre pratique conjugue droit pénal des affaires et analyse comptable, permettant d’examiner les dossiers complexes avec précision. Nous contestons la caractérisation des manœuvres frauduleuses, démontrons l’absence d’intention délictuelle, négocions la requalification en litige civil ou obtenons des transactions réparatrices favorables.
Qu'est-ce que l'escroquerie ?
Définition juridique :
L’article 313-1 du Code pénal définit l’escroquerie comme le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge.
La jurisprudence constante précise que de simples allégations mensongères ne constituent pas, en elles-mêmes, des manœuvres frauduleuses. Il faut des actes matériels extérieurs confortant le mensonge. Cette exigence protège la frontière entre contentieux pénal et civil.
Formes d’escroquerie :
Escroquerie commerciale : vente de produits inexistants, établissement de fausses factures, non-exécution de prestations payées d’avance avec manœuvres antérieures déterminant le consentement de la victime.
Escroquerie aux prestations sociales : obtention frauduleuse d’allocations par dissimulation de ressources ou déclarations volontairement inexactes auprès des organismes sociaux.
Escroquerie à l’assurance : déclaration de sinistres fictifs ou majoration intentionnelle de sinistres réels pour obtenir des indemnisations indues. La jurisprudence sanctionne sévèrement cette forme.
Escroquerie en ligne : utilisation d’internet pour tromper les consommateurs, faux sites marchands, phishing, usurpation d’identité numérique. Le spoofing bancaire constitue une forme moderne particulièrement sophistiquée.
Escroquerie au jugement : production de mauvaise foi de pièces mensongères pour surprendre le juge. La Chambre criminelle rappelle dans son arrêt du 13 avril 2022 (n°21-81.090) que cette pratique caractérise le délit même sans constituer un faux documentaire au sens strict.
Éléments constitutifs de l'escroquerie
Pour que l’escroquerie soit constituée, quatre éléments cumulatifs doivent être réunis. L’absence d’un seul élément entraîne la relaxe.
Des manœuvres frauduleuses :
Il faut des actes matériels trompeurs caractérisant l’escroquerie. Trois moyens sont prévus par la loi :
Usage d’un faux nom ou fausse qualité : se faire passer pour quelqu’un d’autre ou prétendre avoir une qualité, un titre ou une fonction inexistants.
Abus d’une qualité vraie : utiliser une fonction réelle de manière abusive pour tromper la victime et obtenir sa confiance. Un agent immobilier détournant des fonds de garantie illustre cette hypothèse.
Manœuvres frauduleuses : mise en scène, production de faux documents, intervention d’un tiers complice, création d’une apparence commerciale trompeuse. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence précise le 25 novembre 2016 que la prétention mensongère selon laquelle des sommes n’ont pas été reçues alors que le bénéficiaire possède les relevés bancaires peut constituer ces manœuvres.
Le simple mensonge verbal ne suffit pas. La Chambre criminelle rappelle dans son arrêt du 16 juin 1999 (n°98-84.564) que le simple mensonge écrit, sans acte externe lui donnant force et crédit, ne constitue pas une manœuvre frauduleuse. Cette distinction protège la liberté contractuelle.
Remise d’un bien, fonds, valeur ou service :
La victime doit avoir remis quelque chose de valeur : argent, bien immobilier ou mobilier, prestation de service, signature d’un engagement financier ou renonciation à un droit.
Lien de causalité :
La remise doit être la conséquence directe des manœuvres frauduleuses. Sans ces manœuvres, la victime n’aurait jamais consenti à la remise. Ce lien causal constitue souvent le point de contestation principal.
Élément intentionnel :
L’escroquerie est une infraction intentionnelle. La Chambre criminelle précise dans son arrêt du 10 mai 2007 (n°06-86.455) que l’agent doit avoir su qu’il enfreignait la loi et avoir eu conscience d’employer des moyens frauduleux déterminant la remise. Cette intention se déduit généralement de la matérialité des manœuvres, mais la bonne foi peut être démontrée.
Peines encourues
Escroquerie simple :
Article 313-1 du Code pénal. Peine : cinq ans d’emprisonnement et trois cent soixante-quinze mille euros d’amende. Tribunal compétent : Tribunal correctionnel.
Escroquerie aggravée :
Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et sept cent cinquante mille euros d’amende si l’escroquerie est commise : – Par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public – Par une personne se prétendant telle – Par une personne abusant de sa qualité de chef de file d’un groupement momentané d’entreprises – Au préjudice d’une personne vulnérable en raison de son âge, d’une maladie ou d’une déficience – Au préjudice d’une personne publique – Par une personne faisant appel au public en vue de l’émission de titres
Escroquerie en bande organisée :
Peine : dix ans d’emprisonnement et un million d’euros d’amende. Cette qualification nécessite la démonstration d’une structure organisée, stable et préétablie.
Peines complémentaires :
Interdiction des droits civiques : pour une durée maximale de cinq ans.
Interdiction d’exercer une activité professionnelle : pour cinq ans maximum. Cette peine frappe particulièrement les dirigeants d’entreprise.
Confiscation : confiscation du produit de l’infraction et des biens ayant servi à la commettre.
Obligation d’indemniser la victime : dommages-intérêts correspondant au préjudice subi. Cette réparation peut s’avérer supérieure au montant détourné si un préjudice moral est établi.
Comment votre avocat vous défend
Contestation de l’élément matériel : absence de manœuvres frauduleuses :
Nous démontrons l’absence de manœuvres frauduleuses caractérisant l’escroquerie. Le simple désaccord commercial, le non-respect d’un contrat ou le mensonge verbal ne suffisent pas à cette qualification.
Simples pourparlers commerciaux : nous établissons que les informations fournies relevaient d’arguments commerciaux, d’estimations ou de prévisions sans engagement ferme. La liberté contractuelle protège ces discussions préalables.
Documents authentiques : nous démontrons que les documents produits étaient authentiques et que la victime a pris sa décision après vérification des informations essentielles. La diligence normale du cocontractant exclut la caractérisation de l’escroquerie.
Absence de mise en scène : nous contestons la qualification de manœuvres en l’absence d’actes matériels extérieurs confortant un éventuel mensonge, conformément à la jurisprudence constante.
Contestation de l’intention frauduleuse :
L’élément intentionnel est central. La Cour d’appel de Versailles rappelle dans son arrêt du 30 mai 2024 que la bonne foi est présumée conformément à l’article 2274 du Code civil. Nous démontrons :
Croyance légitime : vous croyiez légitimement en l’exactitude des informations fournies et pensiez pouvoir exécuter vos engagements au moment de leur souscription.
Difficultés imprévues : l’impossibilité d’exécuter résulte de circonstances extérieures imprévisibles, non d’une intention initiale de ne pas exécuter. Les aléas économiques ne constituent pas une escroquerie.
Tentatives d’exécution : vous avez tenté d’exécuter vos obligations, démontrant ainsi l’absence d’intention de tromper dès l’origine. Les échanges commerciaux, relances et négociations établissent cette bonne foi.
Requalification en litige civil :
De nombreux dossiers pénalisés pour escroquerie relèvent du simple litige contractuel. La Chambre criminelle rappelle dans son arrêt du 22 mars 1993 (n°92-84.252) que l’existence d’un litige civil ne fait pas obstacle à la caractérisation de l’escroquerie, mais cette caractérisation doit être rigoureusement démontrée.
Inexécution contractuelle : le non-respect d’un contrat ne constitue pas une escroquerie s’il n’y a pas eu de manœuvres frauduleuses antérieures à la conclusion. Cette démonstration chronologique s’avère décisive.
Litige sur la qualité : le désaccord sur la conformité d’une prestation relève du droit commercial, non du droit pénal. La juridiction pénale doit se dessaisir au profit du juge civil.
Contestation du lien de causalité :
Nous démontrons que la victime a contracté pour d’autres motifs que les prétendues manœuvres. Sa décision résultait de sa propre analyse économique, de conseils indépendants ou de vérifications personnelles.
Négociation de la réparation :
La réparation intégrale du préjudice avant le jugement constitue un élément favorable déterminant. Nous négocions un protocole transactionnel avec la partie civile permettant de démontrer votre bonne foi.
Le remboursement des sommes litigieuses peut conduire le tribunal à prononcer une relaxe ou une peine d’amende sans emprisonnement. Cette stratégie s’avère particulièrement efficace pour les primo-délinquants.
Procédures applicables
Plainte de la victime :
L’escroquerie est généralement révélée par la plainte de la victime estimant avoir été trompée et lésée. La victime se constitue partie civile pour obtenir réparation de son préjudice.
Enquête préliminaire :
Le procureur ouvre une enquête. Vous êtes convoqué pour audition libre ou placé en garde à vue selon la gravité des faits. Les enquêteurs recueillent les preuves : documents, témoignages, expertises comptables, relevés bancaires.
Citation directe :
La victime peut vous citer directement devant le tribunal correctionnel en se constituant partie civile. Cette procédure, fréquente en matière d’escroquerie commerciale, nécessite une préparation technique rigoureuse.
Instruction judiciaire :
Pour les dossiers complexes impliquant plusieurs victimes ou des montages sophistiqués, le procureur requiert l’ouverture d’une information judiciaire. Un juge d’instruction mène les investigations, procède à des auditions, ordonne des expertises.
Jugement :
Vous comparaissez devant le tribunal correctionnel. Votre avocat plaide votre défense, conteste les éléments constitutifs, présente les éléments de bonne foi, sollicite votre relaxe ou une peine clémente.
Le tribunal rend sa décision après l’audience. Vous disposez de dix jours pour faire appel du jugement si vous êtes condamné.
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Un manquement aux obligations contractuelles avait conduit un organisme national à déclarer acquise la caution constituée par une entreprise dans le cadre d’un régime d’aide communautaire au stockage privé. Cette décision administrative fut contestée devant la juridiction nationale, laquelle a sursis à statuer pour interroger la Cour de justice sur la compatibilité d’une telle mesure avec le droit communautaire. Les faits à l’origine du litige concernaient une entreprise s’étant engagée à stocker une quantité de viande bovine fraîche en contrepartie d’aides financières, conformément au règlement n°1071/68 de la Commission. Pour garantir l’exécution de ses obligations, elle avait constitué une caution sous forme de garantie bancaire. À l’issue de la période de stockage contractuelle, l’organisme national compétent avait procédé à la libération de cette caution. Cependant, une enquête ultérieure révéla que l’opérateur économique avait en réalité stocké un produit non conforme, en l’occurrence de la viande congelée provenant d’un pays tiers. L’organisme national décida alors de retirer sa décision de libération de la caution et de déclarer celle-ci acquise, procédant à une compensation avec une autre créance que l’entreprise détenait à son encontre. Saisie d’un recours par l’entreprise, la juridiction de renvoi a exprimé des doutes quant à l’existence d’une base juridique en droit communautaire autorisant une telle récupération a posteriori, une fois la période de stockage expirée. Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si le règlement communautaire organisant le régime de cautionnement permettait à une autorité nationale, après l’expiration de la période de stockage, de recouvrer une caution indûment libérée ou d’imposer une sanction pécuniaire équivalente. La Cour de justice a répondu par la négative, jugeant que le droit communautaire ne prévoyait pas une telle faculté de récupération, mais a souligné que cette situation laissait intacte l’obligation pour les autorités nationales de poursuivre les manœuvres frauduleuses sur le fondement de leur droit interne.
La solution retenue par la Cour repose sur une interprétation stricte de la finalité du mécanisme de cautionnement (I), tout en opérant une distinction claire entre le régime de garantie communautaire et la répression des fraudes qui relève de la compétence nationale (II).
I. La conception restrictive du régime de cautionnement
La Cour de justice encadre précisément le mécanisme de la caution, en en limitant la fonction à la seule période d’exécution de l’engagement (A) et en refusant de lui attacher le caractère d’une sanction pécuniaire autonome en l’absence de fondement textuel clair (B).
A. Une garantie limitée à la période d’exécution de l’engagement
La Cour analyse la caution comme un instrument préventif destiné à garantir l’accomplissement effectif des obligations assumées par l’opérateur économique. Elle précise que ce régime vise à « garantir la realite des importations et exportations », un raisonnement qu’elle transpose au stockage privé pour assurer le respect de l’engagement pris. La nature même de la garantie s’oppose à ce qu’elle puisse être mobilisée une fois le risque qu’elle couvre entièrement réalisé ou, comme en l’espèce, une fois la période contractuelle achevée. La Cour considère que l’engagement de stockage ne peut plus être exécuté après l’expiration du délai, rendant sans objet une garantie qui visait précisément à en assurer la bonne fin. Ainsi, exiger la reconstitution ou le paiement d’un montant équivalent à la caution ne servirait plus à garantir l’opération de stockage, mais prendrait la nature d’une sanction pour sa non-exécution. La Cour affirme donc clairement qu’« il N ‘ est pas possible D ‘ exiger la reconstitution D ‘ une garantie lorsque le risque pour lequel elle avait ete constituee S ‘ est deja realise ». Cette position ancre la fonction de la caution dans une temporalité stricte, celle de l’exécution du contrat, et lui refuse toute capacité à produire des effets au-delà.
B. Le rejet d’une sanction en l’absence de base légale explicite
Poursuivant son raisonnement, la Cour examine si, au-delà de la garantie elle-même, la réglementation contient une obligation distincte de payer une pénalité en cas de manquement. Elle rappelle avec force un principe fondamental selon lequel « une sanction , meme de caractere non penal , ne peut etre infligee que si elle repose sur une base legale claire et non ambigue ». Or, l’analyse de l’article 4 du règlement n°1071/68 ne révèle aucune disposition expresse permettant d’imposer une sanction pécuniaire équivalente à la caution après la libération de cette dernière. Les juges rejettent ainsi l’idée que le système contiendrait une pénalité contractuelle implicite qui survivrait à la libération de la garantie. La Cour refuse de combler ce qu’elle reconnaît pourtant comme une potentielle « lacune dans le regime du cautionnement », considérant que l’argument de l’efficacité ne peut suffire à créer une base légale pour une sanction. Cette approche légaliste et protectrice des droits des opérateurs économiques empêche les autorités nationales d’extrapoler les textes communautaires pour imposer des charges non explicitement prévues.
En définissant ainsi les limites strictes du régime de cautionnement, la Cour se tourne vers la répartition des compétences pour déterminer comment les manquements frauduleux doivent être traités.
II. La répartition des compétences répressives entre l’ordre juridique communautaire et les ordres nationaux
La Cour affirme que le règlement constitue un système complet ne pouvant être amendé par les droits nationaux (A), mais elle rappelle que ces derniers conservent la compétence et le devoir de sanctionner les fraudes sur leur propre fondement (B).
A. L’affirmation du caractère complet du système communautaire
La Cour de justice établit que la réglementation sur les aides au stockage forme un « systeme complet en ce sens qu ‘ il ne laisse pas aux etats membres la faculte de prevoir dans leur droit national […] une obligation pour les operateurs economiques qui N ‘ a pas de fondement dans la reglementation communautaire ». Cette affirmation est capitale car elle consacre la primauté et l’uniformité du droit communautaire dans ce domaine. Une législation nationale qui autoriserait le retrait d’une décision de libération de caution et la récupération de son montant serait incompatible avec le droit communautaire. La Cour écarte également l’applicabilité de l’article 8 du règlement n°729/70 relatif au financement de la politique agricole commune, considérant que l’obligation de récupérer les sommes indûment versées ne peut s’étendre au recouvrement d’une pénalité dépourvue de base légale dans la réglementation sectorielle. En conséquence, les États membres ne peuvent unilatéralement instaurer des mécanismes de sanction pour combler les silences des textes communautaires, garantissant ainsi une application homogène des règles à travers l’Union.
B. Le renvoi au droit national pour la sanction des manœuvres frauduleuses
Si le droit communautaire ne permet pas de récupérer la caution, il n’offre pas pour autant une impunité à l’opérateur frauduleux. La Cour opère une distinction fondamentale en précisant que sa décision « laisse entiers le droit et le devoir des autorites nationales de poursuivre , selon leur droit national , un operateur economique qui a obtenu la liberation de la caution par des manoeuvres frauduleuses ». Cette précision est essentielle : elle réaffirme que la lutte contre les irrégularités et la fraude portant atteinte aux finances communautaires relève de la compétence des États membres. Ces derniers doivent utiliser les instruments de leur propre ordre juridique, qu’ils soient de nature pénale ou administrative, pour sanctionner de tels comportements. La Cour souligne ainsi que la solution aux agissements illicites ne se trouve pas dans une extension prétorienne du mécanisme de cautionnement, mais dans la mise en œuvre effective des prérogatives de puissance publique nationales, conformément au principe de coopération loyale. La sanction de la fraude est ainsi assurée, mais sur un fondement juridique distinct de celui du régime de garantie.
Par un arrêt en date du 24 avril 2025, la Cour administrative d’appel de Marseille a été amenée à se prononcer sur la régularité d’une procédure de redressement fiscal initiée à l’encontre d’une société et de son gérant. En l’espèce, une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée exploitant un bar a fait l’objet d’une vérification de comptabilité à l’issue de laquelle l’administration fiscale a écarté les documents présentés comme non probants. Procédant à une reconstitution du chiffre d’affaires, le service a notifié des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée. Par voie de conséquence, l’associé unique de cette société a été personnellement assujetti à des suppléments d’impôt sur le revenu, les recettes non déclarées par la société étant considérées comme des revenus distribués.
Saisi d’un recours par la société et son gérant, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande tendant à la décharge de ces impositions. Les requérants ont alors interjeté appel de ce jugement, contestant le bien-fondé du rejet de la comptabilité de l’entreprise. Ils soutenaient principalement ne pas avoir réalisé les achats non comptabilisés qui leur étaient reprochés, alléguant une usurpation d’identité auprès d’un fournisseur. Le ministre de l’Économie et des Finances a, pour sa part, conclu au rejet de la requête, la jugeant infondée sur le fond.
Le problème de droit soumis à la cour consistait à déterminer si un ensemble d’irrégularités comptables graves et concordantes pouvait suffire à justifier le rejet d’une comptabilité, indépendamment de la validité d’un motif supplémentaire avancé par l’administration et contesté par le contribuable. De plus, il s’agissait de savoir si la simple production d’une plainte pénale suffisait à établir la réalité d’une usurpation d’identité pour écarter des éléments retenus lors d’une reconstitution de recettes.
La Cour administrative d’appel a rejeté l’appel, confirmant ainsi le jugement de première instance. Elle a jugé que les graves manquements comptables constatés suffisaient à eux seuls à priver la comptabilité de tout caractère probant, rendant inopérante la critique d’un motif de rejet qu’elle a qualifié de surabondant. Elle a également estimé que la preuve de l’usurpation d’identité n’était pas rapportée par les requérants. Enfin, la Cour a rappelé que le sursis de paiement n’est pas applicable en instance d’appel.
Il conviendra d’analyser, dans une première partie, la confirmation par le juge d’appel du caractère non probant de la comptabilité en raison de manquements multiples (I), avant d’examiner, dans une seconde partie, le caractère inopérant des moyens présentés par les requérants pour contester leur redressement (II).
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I. La confirmation du caractère non probant de la comptabilité
La décision de la Cour administrative d’appel s’appuie sur une appréciation rigoureuse des obligations comptables qui incombent à toute entreprise. Elle valide la démarche de l’administration fiscale en s’attachant d’abord à un faisceau d’indices révélant des carences structurelles (A), ce qui justifie ensuite la mise en œuvre d’une procédure de reconstitution des bases d’imposition (B).
A. L’accumulation d’irrégularités graves et concordantes
Le juge d’appel rappelle que la charge de la preuve de l’absence de force probante d’une comptabilité pèse sur l’administration fiscale. Pour autant, cette preuve peut résulter d’un ensemble de faits qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement dirimants, mais dont l’accumulation démontre l’impossibilité pour le vérificateur de procéder à un contrôle fiable. En l’espèce, la Cour relève avec précision plusieurs manquements significatifs.
Elle constate ainsi que la société « n’utilisait pas de caisse enregistreuse, n’a pas été en mesure de présenter au vérificateur le détail de ses recettes ». Cette absence de formalisation du chiffre d’affaires quotidien est une irrégularité majeure, car elle empêche toute vérification de la cohérence entre les flux de marchandises et les recettes déclarées. De surcroît, la Cour note que « ses écritures comptables ont été validées postérieurement à la date de dépôt des déclarations de résultats ». Cette pratique anormale est de nature à jeter un doute sérieux sur la sincérité des comptes, qui doivent en principe être arrêtés et validés avant d’être transcrits dans les déclarations fiscales. L’absence de présentation de l’inventaire des stocks pour l’un des exercices contrôlés vient compléter ce tableau. Ces éléments, réunis, suffisaient à eux seuls pour que l’administration considère la comptabilité comme dépourvue de toute valeur probante.
B. La justification de la reconstitution du chiffre d’affaires
Dès lors que la comptabilité est valablement écartée, l’administration est en droit de reconstituer le chiffre d’affaires de l’entreprise selon une méthode qu’elle choisit, à condition que celle-ci ne soit pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. La Cour confirme implicitement la légitimité de cette prérogative. L’argumentaire des requérants, qui se focalisait sur la question d’achats spécifiques, ne pouvait donc prospérer face au constat préalable de carences bien plus fondamentales.
En déclarant que « ces seuls éléments suffisaient à faire considérer la comptabilité présentée […] comme non probante », la Cour valide entièrement l’analyse de l’administration et du tribunal. Elle souligne que le rejet de la comptabilité ne dépendait pas de la seule question des achats prétendument frauduleux. Cette approche pragmatique permet de sécuriser la procédure de contrôle fiscal en la fondant sur les manquements les plus évidents et les moins contestables du contribuable. La reconstitution des recettes devient alors la conséquence logique et nécessaire de l’impossibilité matérielle de contrôler des comptes lacunaires et non fiables.
L’échec de la contestation des requérants s’explique donc non seulement par la solidité des motifs de rejet de leur comptabilité, mais également par la faiblesse de leur propre argumentation en appel.
II. Le caractère inopérant des moyens soulevés en appel
Les requérants ont tenté de contester la décision de première instance en concentrant leur argumentation sur un point spécifique et en soulevant des conclusions annexes vouées à l’échec. La Cour écarte ces moyens en soulignant leur portée limitée face aux constats opérés par l’administration, qu’il s’agisse de l’argument tiré d’un motif surabondant (A) ou de l’insuffisance des preuves apportées pour d’autres prétentions (B).
A. Le rejet d’un argumentaire centré sur un motif surabondant
La stratégie des requérants consistait à attaquer le redressement en contestant avoir réalisé des achats non comptabilisés auprès d’un fournisseur déterminé, en raison d’une usurpation d’identité. Or, la Cour qualifie ce point de « motif de rejet surabondant ». En droit administratif, un motif est dit surabondant lorsque, même en son absence, la décision de l’administration aurait été identique en se fondant sur d’autres motifs légaux et suffisants. En l’espèce, les irrégularités comptables fondamentales (absence de détail des recettes, validation tardive des écritures) justifiaient à elles seules le rejet de la comptabilité.
En conséquence, même si les requérants avaient obtenu gain de cause sur la question des achats litigieux, la solution du litige n’aurait pas été modifiée. La critique d’un motif surabondant est donc par nature inopérante. La Cour souligne d’ailleurs l’incohérence de leur position, relevant qu’ils « ne contestent pas la comptabilisation d’achats de la société auprès de ce fournisseur et la présentation des factures correspondantes ». Cette contradiction affaiblit considérablement la crédibilité de leur allégation d’usurpation d’identité et démontre une erreur dans leur stratégie contentieuse, qui aurait dû s’attacher à contester les motifs principaux et déterminants du rejet.
B. L’insuffisance de la preuve de l’usurpation et le rejet des autres conclusions
Subsidiairement, la Cour examine tout de même le moyen relatif à l’usurpation d’identité et le juge non fondé. Elle estime que les requérants « ne démontrent pas la réalité de l’usurpation alléguée en se bornant à produire la copie d’une plainte datée du 15 mars 2019, sans d’ailleurs préciser les suites qui lui ont été données ». Une telle décision rappelle une règle constante en matière de preuve : la simple allégation d’un fait, même appuyée par le dépôt d’une plainte, ne suffit pas à l’établir. Il appartient au contribuable d’apporter des éléments concrets et circonstanciés pour étayer ses dires, ce qui n’a pas été fait en l’espèce.
Enfin, la Cour écarte sans surprise la demande de sursis de paiement. Elle rappelle de manière pédagogique que les dispositions de l’article L. 277 du livre des procédures fiscales, qui organisent ce sursis, ne s’appliquent que durant l’instruction de la réclamation préalable et de l’instance devant le tribunal administratif. Aucune procédure similaire n’étant prévue pour l’instance d’appel, la demande ne pouvait qu’être rejetée. Cet arrêt constitue ainsi une application classique des règles de procédure fiscale, tant sur le fond que sur les aspects procéduraux.
Un litige porté devant la cour administrative d’appel offrait l’occasion de préciser les conditions de déductibilité fiscale des dépenses engagées par une entreprise pour stimuler son réseau commercial. En l’espèce, une société spécialisée dans la gestion de patrimoine et l’apport d’affaires auprès de compagnies d’assurance avait fait l’objet d’une vérification de comptabilité à l’issue de laquelle l’administration fiscale avait remis en cause la déduction de diverses charges. Ces charges concernaient principalement des cadeaux offerts à des mandataires intermédiaires, des dépenses de sponsoring sportif et d’autres gratifications à des clients ou des tiers. Saisie d’une demande en décharge des impositions supplémentaires qui en résultaient, la juridiction de première instance avait partiellement fait droit à la requête de la société, notamment en annulant une partie des pénalités pour manquement délibéré, mais en maintenant l’essentiel des redressements. La société a interjeté appel de ce jugement, contestant le bien-fondé des impositions restantes, tandis que l’administration, par la voie de l’appel incident, a demandé le rétablissement intégral des pénalités. Il revenait donc aux juges du second degré de se prononcer sur la question de savoir dans quelles conditions probatoires une entreprise peut justifier que des dépenses de cadeaux et de sponsoring sont exposées dans l’intérêt direct de son exploitation. Par sa décision, la cour a adopté une solution nuancée, en admettant la déductibilité des charges pour lesquelles la société a pu établir un lien direct et individualisé entre la dépense et l’atteinte d’objectifs commerciaux, tout en confirmant le rejet des dépenses insuffisamment justifiées. Cette décision, qui applique de manière rigoureuse les règles de preuve en matière fiscale, permet de clarifier la frontière entre une gestion commerciale audacieuse mais déductible et des libéralités non admises en charge (I), tout en offrant une interprétation protectrice du contribuable quant à la caractérisation de l’intention frauduleuse (II).
I. L’exigence probatoire renforcée pour la déduction des frais généraux
La décision de la cour administrative d’appel rappelle avec fermeté que la déductibilité des charges est subordonnée à une justification précise de leur intérêt pour l’exploitation. Elle réaffirme ainsi la charge de la preuve pesant sur le contribuable (A), tout en admettant, de manière pragmatique, la validité des dépenses dont le lien avec la performance commerciale est directement et individuellement démontré (B).
A. Le maintien d’une charge probatoire stricte pour le contribuable
Conformément aux dispositions de l’article 39 du code général des impôts, le bénéfice net s’établit sous déduction de toutes charges, à la condition que celles-ci soient exposées « dans l’intérêt direct de l’exploitation ». La cour rappelle la règle de preuve en la matière, selon laquelle il appartient au contribuable « de justifier tant du montant des charges qu’il entend déduire (…) que de la correction de leur inscription en comptabilité ». Ce n’est que si cette preuve est apportée que la charge se déplace vers l’administration, qui doit alors démontrer l’absence de contrepartie ou le caractère excessif de la dépense.
En l’espèce, la cour applique ce principe avec rigueur à plusieurs catégories de dépenses. Concernant les cadeaux à des clients dans le cadre d’un programme de parrainage, les juges estiment que « la société appelante n’a fourni aucun document probant de nature à justifier de l’organisation effective du dispositif de parrainage dont elle fait état ». De même, pour les cadeaux attribués à des tiers, la cour considère que les éléments produits ne permettent pas « d’établir un lien certain entre le rôle attribué aux bénéficiaires de ces cadeaux » et un avantage pour l’entreprise. Enfin, s’agissant des importantes dépenses de sponsoring, la société « ne justifie ni de la réalité du soutien apporté par elle à ces manifestations sportives, ni, en tout état de cause, de la correcte imputation des dépenses correspondantes ». Dans tous ces cas, la simple affirmation d’une stratégie de développement, même corroborée par une croissance du chiffre d’affaires, est jugée insuffisante. La cour exige des preuves tangibles et spécifiques, refusant de se contenter de tableaux récapitulatifs produits par la société elle-même sans pièces justificatives externes.
B. L’admission de la déduction pour les opérations de stimulation individualisées
Si la cour se montre stricte, elle n’en ferme pas pour autant la porte à toute déduction. Elle admet en effet la déductibilité de certaines dépenses de cadeaux offerts à des mandataires intermédiaires en assurance. La différence de traitement ne tient pas à la nature de la dépense, mais à la qualité de la preuve apportée. Pour les charges admises, la cour relève qu’il est « tenu pour établi que la dépense exposée (…) s’inscrit dans le cadre d’un concours, fût-il individuel, organisé par cette société pour motiver » ses mandataires et que ces derniers « avaient atteint les objectifs commerciaux qui leur avaient été assignés ».
La cour opère ainsi une distinction subtile mais fondamentale : elle valide les dépenses qui ne sont pas de simples gratifications, mais la contrepartie directe d’une performance mesurable et préalablement définie. Le mécanisme du concours individuel, avec des objectifs chiffrés et la preuve de leur atteinte, constitue le critère décisif. En acceptant la déduction d’un « chèque voyage d’une valeur de 2 700 euros attribué à un autre MIA pour avoir atteint (…) les objectifs commerciaux assignés », la juridiction reconnaît que motiver la force de vente par des récompenses exceptionnelles peut relever d’une gestion commerciale normale et donc être dans l’intérêt direct de l’exploitation. Cette approche pragmatique valide les stratégies de stimulation commerciale, à la condition expresse qu’elles soient structurées, documentées et directement liées à des résultats concrets pour l’entreprise.
II. Une appréciation restrictive du manquement délibéré
Au-delà de la question du bien-fondé des impositions, l’arrêt se prononce sur la majoration de 40 % pour manquement délibéré, en apportant une précision sur la preuve de l’intentionnalité. La cour distingue clairement l’erreur ou l’optimisation fiscale risquée de la volonté délibérée de se soustraire à l’impôt (A), limitant ainsi la capacité de l’administration à appliquer cette lourde pénalité (B).
A. La distinction entre l’erreur d’appréciation et l’intention d’éluder l’impôt
La cour confirme la décision des premiers juges d’annuler une partie de la majoration de 40 %. Pour ce faire, elle analyse les différents chefs de redressement. Elle admet implicitement le bien-fondé de la pénalité pour les avantages en nature non déclarés, considérant que sur ce point, l’administration apporte la preuve « de l’intention délibérée d’éluder l’impôt ». En revanche, elle juge que cette preuve n’est pas rapportée pour les autres chefs de redressement, notamment la déduction des dépenses de cadeaux et de sponsoring.
La cour estime que « la circonstance que les charges irrégulièrement déduites ont représenté une fraction notable des bénéfices réalisés (…) n’étant pas de nature, même en y ajoutant le caractère répété sur les deux exercices de ces déductions, à caractériser une intention délibérée de la société appelante de se soustraire à ses obligations fiscales ». Ce faisant, elle refuse de déduire automatiquement l’intention de la matérialité, de l’importance ou de la répétition de l’infraction. Elle considère que la déduction de charges, dont la justification au regard de l’intérêt de l’entreprise est sujette à débat et dépend de l’appréciation des faits, ne relève pas de la même logique qu’une dissimulation pure et simple de revenus. L’erreur dans l’appréciation du caractère déductible d’une charge complexe n’est pas synonyme de fraude.
B. La portée de la solution : une garantie pour le contribuable
En se montrant aussi exigeante sur la preuve de l’élément intentionnel, la cour administrative d’appel adresse un signal clair. Elle rappelle que la majoration de 40 % n’est pas une conséquence automatique du rejet d’une charge, mais une pénalité qui sanctionne un comportement frauduleux avéré. La charge de la preuve de ce comportement incombe entièrement à l’administration, qui ne peut se contenter de présomptions ou d’arguments d’ordre général, tels que la compétence des dirigeants de la société.
Cette solution a une portée protectrice pour le contribuable. Elle préserve le droit à l’erreur et reconnaît qu’une entreprise peut, de bonne foi, mettre en œuvre des stratégies commerciales dont la traduction comptable et fiscale peut être contestée par l’administration, sans pour autant être animée d’une intention de frauder. En refusant de suivre l’appel incident de la ministre, la cour confirme qu’une divergence d’appréciation sur l’intérêt commercial d’une dépense doit, sauf preuve contraire, rester sur le terrain du débat technique et non basculer sur celui de la sanction pour fraude. L’arrêt, bien qu’étant une décision d’espèce, réaffirme ainsi un principe essentiel de la procédure fiscale, garantissant une proportionnalité dans la répression des manquements.
Par un arrêt rendu dans l’affaire C-170/03, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions d’application du régime des franchises douanières lors du transfert de résidence d’un particulier d’un État membre à un autre. En l’espèce, un particulier avait travaillé en tant que salarié en Autriche, où son employeur lui avait mis à disposition un véhicule de fonction pour un usage mixte, à la fois professionnel et personnel. Avant de transférer sa résidence aux Pays-Bas, l’intéressé a exercé un droit de préemption et a acquis la pleine propriété de ce véhicule. Il a ensuite sollicité auprès des autorités néerlandaises une exonération de la taxe due à l’importation du véhicule, se prévalant du régime des franchises douanières.
Cette exonération lui fut initialement refusée par l’administration fiscale, au motif que les conditions posées par le règlement communautaire n° 918/83 n’étaient pas remplies. Saisi en appel, le Gerechtshof te’s‑Hertogenbosch a infirmé cette décision et accordé l’exonération. L’administration néerlandaise a alors formé un pourvoi en cassation devant le Hoge Raad der Nederlanden. Cette juridiction suprême, constatant que le droit national néerlandais renvoyait directement aux dispositions du règlement communautaire pour l’octroi de la franchise, a décidé de surseoir à statuer. Elle a saisi la Cour de justice de plusieurs questions préjudicielles visant à clarifier l’interprétation des notions de « biens personnels » et de « possession » au sens de ce règlement.
Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si un véhicule de tourisme, mis à la disposition d’un salarié par son employeur pour un usage mixte et sur lequel l’intéressé n’exerçait pas un droit de propriété durant la majeure partie de la période de référence, pouvait néanmoins être qualifié de bien personnel ayant été en la possession de celui-ci pendant la durée minimale de six mois requise pour bénéficier de la franchise douanière. À cette question, la Cour de justice a répondu par l’affirmative, considérant qu’un tel véhicule est bien susceptible de bénéficier de la franchise douanière prévue par le règlement.
Cette solution repose sur une interprétation extensive des conditions d’exonération, s’attachant à la réalité de la situation du particulier plutôt qu’à un formalisme juridique strict. Il convient ainsi d’analyser la manière dont la Cour a assoupli la notion de bien personnel (I), avant d’examiner la portée de cette décision qui favorise la libre circulation des personnes (II).
I. L’interprétation téléologique des conditions d’éligibilité à la franchise
Pour admettre le véhicule au bénéfice de la franchise, la Cour a procédé à une analyse finaliste des conditions posées par le règlement, en définissant de manière autonome les notions de bien personnel (A) et de possession (B), en pleine conformité avec les objectifs du texte.
A. La qualification de bien personnel étendue à l’usage mixte
La première question portait sur le point de savoir si une voiture utilisée à des fins tant professionnelles que privées pouvait être considérée comme un « bien personnel » au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous c), du règlement. Ce texte définit les biens personnels comme ceux « affectés à l’usage personnel des intéressés ou aux besoins de leur ménage ». La Cour relève d’emblée que si le texte ne tranche pas explicitement cette question, une interprétation stricte qui exigerait un usage personnel exclusif serait contraire à l’esprit du règlement.
En effet, la Cour souligne que le critère essentiel réside dans le fait que les biens « ne traduisent, par leur nature ou leur quantité, aucune préoccupation d’ordre commercial ». Or, l’utilisation partielle d’un véhicule de tourisme à des fins professionnelles dans le cadre d’un contrat de travail ne dénote pas une telle préoccupation. La Cour adopte une approche pragmatique, considérant qu’un usage mixte ne dénature pas le caractère personnel du bien. En l’absence de disposition contraire, elle estime qu’« un usage personnel exclusif ne saurait dès lors être considéré comme nécessaire en toutes circonstances ». Cette interprétation souple permet d’inclure des situations courantes dans la vie professionnelle, où un bien est indissociablement lié à l’activité du salarié et à sa vie privée.
B. La consécration d’une notion autonome de la possession
La seconde difficulté concernait la condition de « possession » du bien par l’intéressé pendant une période minimale de six mois avant le transfert de résidence, comme l’exige l’article 3, premier alinéa, sous a), du règlement. La Cour rappelle d’abord la nécessité d’une interprétation autonome et uniforme des notions de droit communautaire, afin de garantir l’égalité de traitement et l’application cohérente de la loi. La notion de « possession » ne saurait donc dépendre des définitions variables des droits nationaux, qui la lient souvent à la propriété.
La Cour définit alors la possession, pour les besoins du règlement, comme l’exercice d’un « contrôle effectif et réel » sur la chose. Elle se détache ainsi délibérément de la notion de propriété. En l’espèce, le fait que l’employeur ait mis le véhicule « à l’entière et exclusive disposition » du salarié, tout en lui accordant un droit de préemption, démontre que ce dernier exerçait un tel contrôle. La possession est donc entendue dans un sens factuel plutôt que juridique. Peu importe que le salarié n’ait pas été propriétaire du bien pendant la période requise ; ce qui compte, c’est qu’il en avait la maîtrise et la jouissance effective et continue.
Cette interprétation pragmatique, fondée sur la réalité du contrôle exercé sur le bien, est déterminante pour la solution. Elle conduit logiquement à une valorisation de la substance économique et factuelle de la situation, dont il convient d’apprécier la portée au regard des objectifs du droit communautaire.
II. Une solution pragmatique au service de la libre circulation des personnes
La décision commentée, en privilégiant la réalité factuelle sur le formalisme juridique (A), renforce de manière significative l’effectivité de l’une des libertés fondamentales du marché intérieur (B).
A. Le rejet du formalisme au profit de la réalité de la jouissance du bien
En dissociant la possession de la propriété, la Cour de justice fait prévaloir une approche substantialiste. Elle refuse de s’arrêter au montage juridique par lequel le bien était détenu. Une solution contraire, qui aurait exigé un titre de propriété pendant six mois, aurait abouti à un résultat inéquitable et contraire aux objectifs du règlement. En effet, de nombreux travailleurs salariés bénéficient de véhicules de fonction qu’ils n’acquièrent formellement qu’au moment de leur départ de l’entreprise ou de leur déménagement. Exclure ces situations du bénéfice de la franchise aurait créé une discrimination injustifiée et un obstacle à la mobilité professionnelle.
La Cour juge donc que la maîtrise effective du bien est l’élément pertinent pour apprécier le lien entre la personne et le bien. La solution est empreinte de réalisme économique et social, car elle prend en compte des modalités de jouissance des biens qui sont devenues courantes. Le droit de préemption dont bénéficiait le salarié, même s’il n’était qu’optionnel, vient renforcer la démonstration de ce contrôle réel, en ce qu’il lui conférait une prérogative excédant celle d’un simple utilisateur précaire. C’est donc la substance de la relation au bien, et non sa qualification juridique formelle, qui emporte la conviction de la Cour.
B. Le renforcement de l’effectivité de la liberté de circulation
En définitive, cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante visant à lever les entraves à la libre circulation des personnes. Le régime des franchises douanières a précisément pour objet de faciliter le transfert de résidence d’un État membre à un autre en neutralisant les charges fiscales qui pourraient dissuader les citoyens d’exercer leur droit à la mobilité. Une interprétation restrictive des conditions d’exonération aurait contrecarré cet objectif fondamental du traité.
En adoptant une définition large des notions de « bien personnel » et de « possession », la Cour confère une pleine portée pratique au règlement. Elle évite que des situations légitimes, dépourvues de toute intention de fraude ou de spéculation commerciale, ne soient pénalisées par une lecture trop littérale des textes. La solution assure ainsi que le droit à la franchise ne soit pas vidé de sa substance pour une large catégorie de travailleurs européens. La portée de cet arrêt est donc considérable : il clarifie le droit applicable de manière favorable aux citoyens et consolide l’un des piliers de la construction européenne, en garantissant que les règles techniques ne viennent pas faire obstacle à l’exercice effectif des libertés fondamentales.
Par un arrêt en date du 7 janvier 2025, la Cour administrative d’appel de Versailles a statué sur la légalité d’une mesure d’éloignement et d’une interdiction de retour sur le territoire français. En l’espèce, un ressortissant algérien, entré irrégulièrement en France en 2019, s’était rendu dans les locaux d’une préfecture sur convocation pour déposer une demande de titre de séjour. Il y fut interpellé et fit l’objet, le même jour, d’un arrêté préfectoral l’obligeant à quitter le territoire français sans délai, assorti d’une interdiction de retour de trois ans. Saisi par l’intéressé, qui invoquait notamment son mariage récent avec une ressortissante française, le tribunal administratif de Versailles avait rejeté sa demande d’annulation par un jugement du 13 avril 2023. Le requérant a interjeté appel de cette décision.
La question de droit posée à la cour était double. D’une part, il s’agissait de déterminer si l’autorité administrative pouvait légalement édicter une obligation de quitter le territoire à l’encontre d’un étranger en situation irrégulière au moment même où celui-ci engageait des démarches de régularisation. D’autre part, la cour devait apprécier si une interdiction de retour de trois ans, fondée sur une unique condamnation passée et le maintien en situation irrégulière, ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’intéressé, marié à une citoyenne française.
La Cour administrative d’appel de Versailles répond de manière différenciée à ces deux interrogations. Elle confirme la légalité de l’obligation de quitter le territoire français, considérant que ni la procédure d’interpellation ni le dépôt d’une demande de titre de séjour ne peuvent y faire obstacle. En revanche, elle annule l’interdiction de retour sur le territoire français, jugeant cette mesure disproportionnée au regard de la situation familiale du requérant et des faits qui lui sont reprochés. Cette décision illustre ainsi une application rigoureuse des conditions d’édiction d’une mesure d’éloignement (I), tempérée par un contrôle approfondi de la proportionnalité des sanctions qui l’accompagnent (II).
I. La validation rigoureuse de la mesure d’obligation de quitter le territoire
La cour confirme la légalité de l’obligation de quitter le territoire en se fondant sur une stricte séparation des contentieux et une interprétation restrictive des droits de l’étranger sollicitant sa régularisation. Elle écarte ainsi toute influence des conditions de l’interpellation sur la légalité de l’acte administratif (A) et refuse de conférer un effet protecteur au simple dépôt d’une demande de titre de séjour (B).
**A. L’indifférence des conditions de l’interpellation sur la légalité de la décision administrative**
Le requérant soutenait que son interpellation résultait d’un procédé déloyal, la convocation en préfecture pour le dépôt de son dossier ayant servi de prétexte à son arrestation. La cour écarte ce moyen en rappelant une distinction fondamentale entre la procédure judiciaire et la procédure administrative. Elle juge que « les conditions d’interpellation, de retenue ou de garde à vue, dont il appartient au seul juge judiciaire de connaître, sont sans incidence sur la légalité de la décision du préfet ». Cette position réaffirme le principe de l’autonomie du droit administratif et du contentieux de l’éloignement.
La légalité de l’arrêté préfectoral s’apprécie uniquement au regard des motifs de droit et de fait qui le fondent, en l’occurrence la situation irrégulière de l’étranger. Les éventuelles irrégularités entachant l’interpellation ne peuvent vicier la décision administrative elle-même, laquelle repose sur des critères objectifs prévus par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. La cour se refuse ainsi à exercer un contrôle sur une procédure qui ne relève pas de sa compétence, maintenant une frontière étanche entre le contrôle de l’action de police administrative et celui de l’action de police judiciaire.
**B. Le refus de reconnaître un effet suspensif à une demande de régularisation**
L’étranger faisait valoir que la décision d’éloignement ne pouvait être prise sans un examen préalable de sa demande de titre de séjour. La cour rejette cet argument en s’appuyant sur une jurisprudence constante et en citant sa propre logique juridique. Elle énonce que « le seul dépôt d’une demande de titre de séjour ne saurait faire obstacle à ce que l’autorité administrative décide d’obliger à quitter le territoire français un étranger » se trouvant dans un des cas prévus par la loi, notamment celui d’une entrée et d’un séjour irréguliers.
Cette solution confirme que la démarche de régularisation n’ouvre pas une période de protection pour l’étranger en situation irrégulière. Tant qu’un droit au séjour n’est pas légalement constitué, l’autorité administrative conserve sa pleine compétence pour prononcer une mesure d’éloignement. La cour précise que la seule exception concerne les cas où « la loi prescrit l’attribution de plein droit d’un titre de séjour », situation dans laquelle le requérant ne se trouvait pas. En agissant de la sorte, le juge administratif préserve l’efficacité des politiques de lutte contre le séjour irrégulier, en évitant que la procédure de régularisation ne devienne un instrument dilatoire.
Si la cour valide la légalité de l’obligation de quitter le territoire, elle adopte une approche distincte pour l’interdiction de retour en exerçant un contrôle plus approfondi.
II. Le contrôle de proportionnalité comme limite à la rigueur administrative
La Cour administrative d’appel de Versailles censure l’interdiction de retour sur le territoire français en se livrant à une analyse concrète de la situation du requérant. Elle examine avec attention la réalité des liens personnels et familiaux de l’intéressé (A) pour conclure au caractère disproportionné de la sanction qui lui a été infligée (B).
**A. La prise en compte de la réalité des liens personnels et familiaux**
Pour apprécier l’atteinte portée au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la cour ne s’arrête pas au caractère récent du mariage ou à la situation irrégulière de l’étranger. Elle examine les pièces produites, y compris celles postérieures à l’arrêté, pour constater que « la majeure partie des documents qu’il fournit (…) permettent d’établir la réalité de sa relation conjugale ». Cette démarche pragmatique témoigne de la volonté du juge de ne pas se contenter d’une appréciation formelle.
De plus, la cour minimise la portée de l’argument du préfet relatif au trouble à l’ordre public. Elle relève que l’intéressé « n’a été condamné qu’une fois, en 2021, à un emprisonnement délictuel de deux mois pour usage et tentative d’obtention frauduleuse de faux document administratif ». En replaçant cette condamnation dans son contexte, unique et non récente, le juge en réduit la gravité et la pertinence pour justifier une mesure aussi sévère qu’une interdiction de retour de longue durée.
**B. La sanction d’une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale**
Forte de cette analyse factuelle, la cour procède à une mise en balance des intérêts en présence. D’un côté, l’intérêt général de la défense de l’ordre public et de la maîtrise des flux migratoires ; de l’autre, le droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale, matérialisé par un mariage réel avec une ressortissante française. Au terme de ce contrôle de proportionnalité, la cour conclut que « l’interdiction de retour sur le territoire français d’une durée de trois ans prise à son encontre porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale du requérant ».
Cette annulation partielle illustre parfaitement le rôle de rempart du juge administratif dans la protection des droits fondamentaux. Tout en reconnaissant la légitimité de l’action administrative en matière d’éloignement, il rappelle que les sanctions accessoires doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées au but poursuivi. En l’espèce, la durée de trois ans est jugée excessive au regard de l’intensité des liens familiaux et de la faible gravité du trouble causé à l’ordre public. La décision démontre que la situation administrative d’un étranger ne le prive pas de la protection garantie par la Convention européenne, le juge se devant d’examiner chaque situation dans sa singularité.
Par un arrêt du 20 juillet 2021, la Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée sur la compatibilité d’une mesure de confiscation totale d’une somme d’argent non déclarée à la douane avec le droit au respect des biens. En l’espèce, un agriculteur se rendant dans un autre État membre de l’Union européenne fut intercepté à l’aéroport en possession de 34 300 euros en espèces, somme qu’il destinait à l’achat de matériel agricole. N’ayant pas procédé à la déclaration écrite de cette somme, il fit l’objet d’une procédure administrative à l’issue de laquelle les autorités douanières lui infligèrent une amende et ordonnèrent la confiscation de l’intégralité des fonds. Saisi du litige, le tribunal de district annula cette décision, considérant notamment que l’élément moral de l’infraction n’était pas constitué. Sur appel des autorités douanières, le tribunal administratif de la capitale infirma ce jugement et confirma la sanction, jugeant que l’infraction était constituée par négligence et que les sanctions étaient légalement justifiées. Le particulier a alors saisi la juridiction européenne, estimant que la sanction violait son droit au respect de ses biens.
La question posée à la Cour était donc de déterminer si la sanction cumulative d’une amende administrative et de la confiscation de la totalité d’une somme d’argent, en raison du seul manquement à une obligation déclarative lors d’un déplacement au sein de l’Union européenne, constitue une atteinte disproportionnée au droit de propriété garanti par l’article 1er du Protocole n° 1 à la Convention, particulièrement lorsque l’origine licite des fonds n’est pas mise en cause.
La Cour européenne des droits de l’homme répond par l’affirmative. Elle juge que si l’ingérence était prévue par la loi et poursuivait un but légitime de contrôle des mouvements de capitaux, la confiscation de la totalité de la somme, ajoutée à l’amende, était disproportionnée. Elle considère qu’une telle mesure a fait peser une charge excessive sur l’intéressé, rompant le juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et la protection de son droit au respect des biens.
La Cour, par cette décision, rappelle fermement la nécessité de distinguer la nature de l’infraction commise afin d’ajuster la sévérité de la peine (I), ce qui la conduit à exercer un contrôle rigoureux de la proportionnalité de la sanction au regard de la seule faute établie (II).
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I. La qualification nécessaire de l’infraction comme condition de la juste sanction
La Cour s’attache à une analyse minutieuse des faits pour qualifier l’infraction, en la distinguant nettement de tout agissement frauduleux. Elle constate d’abord que le manquement reproché est un simple oubli procédural (A), ensuite que l’origine licite des fonds est un élément déterminant de cette appréciation (B).
A. Un manquement réduit à sa dimension purement administrative
La Cour prend soin de souligner que la procédure pénale initialement engagée contre le particulier a été rapidement classée sans suite. Les autorités judiciaires nationales avaient en effet conclu à l’absence de toute intention frauduleuse, retenant que le voyageur n’avait pas cherché à dissimuler l’argent. Le procureur avait estimé que « le requérant n’avait pas dissimulé de manière intentionnelle l’argent qu’il portait et qu’il l’avait au contraire déclaré oralement à la douane ». Cette absence de faute intentionnelle est un élément central de l’analyse de la Cour. L’infraction est ainsi cantonnée à sa plus simple expression : une négligence administrative, consistant en l’omission de remplir un formulaire de déclaration. La sanction ne saurait donc viser à punir une volonté de fraude ou de dissimulation qui a été formellement écartée par les autorités nationales elles-mêmes. En limitant la faute à sa dimension purement formelle, la Cour prépare le terrain pour l’examen de la proportionnalité de la peine.
B. L’origine licite des fonds comme facteur d’exclusion de la fraude
La Cour relève que le particulier a pu justifier sans difficulté de la provenance des fonds. L’argent provenait de ses économies et de retraits bancaires effectués en vue de l’acquisition d’un tracteur pour son activité professionnelle. La Cour note à ce titre que « la légalité de l’origine de cet argent n’inspirait pas le moindre soupçon ». Ce faisant, elle écarte toute hypothèse de blanchiment de capitaux ou de financement d’activités illicites, qui aurait pu justifier une mesure d’une plus grande sévérité. L’obligation de déclaration vise précisément à prévenir de tels agissements, mais en l’absence du moindre indice en ce sens, la sanction ne peut être appliquée avec la même rigueur. La confiscation, mesure souvent associée à la lutte contre la criminalité économique, perd sa justification principale lorsque l’infraction est dépouillée de toute dimension délictuelle et que les fonds sont d’origine légale. Cette distinction est fondamentale, car elle impose que la sanction soit évaluée non pas au regard d’une infraction grave présumée mais non avérée, mais au regard de la seule faute réellement commise.
Ayant ainsi établi que l’infraction était une simple négligence administrative portant sur des fonds d’origine licite, la Cour se tourne logiquement vers l’examen de la proportionnalité des sanctions infligées.
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II. Le contrôle strict de la proportionnalité de la sanction
La Cour exerce un contrôle rigoureux sur la sanction, en analysant d’une part sa nature essentiellement punitive (A), et d’autre part l’effet excessif de la cumuler avec une autre peine (B).
A. Le caractère purement punitif de la confiscation totale
La juridiction strasbourgeoise constate que la confiscation de l’intégralité de la somme de 34 300 euros ne visait à réparer aucun préjudice matériel pour l’État. Le manquement à l’obligation déclarative n’a causé aucune perte financière aux autorités publiques. Dans ces conditions, la mesure ne peut être considérée comme compensatoire. Elle revêt un caractère purement répressif. La Cour l’affirme sans détour : « Force est de constater que la confiscation de cette somme poursuivait un but purement punitif puisqu’elle ne visait à compenser aucun préjudice qui aurait été subi par l’État et qui aurait résulté de l’infraction du requérant ». Or, une sanction purement punitive doit être d’autant plus attentivement mesurée pour ne pas devenir excessive. En l’espèce, priver le particulier de la totalité de la somme transportée apparaît comme une réaction disproportionnée à une simple omission déclarative, déconnectée de la gravité réelle du comportement.
B. L’illégitimité du cumul des sanctions créant une charge excessive
La Cour censure finalement la combinaison de l’amende administrative et de la confiscation totale. Elle relève que le Gouvernement n’a pas démontré en quoi le cumul de ces deux peines était nécessaire pour assurer l’effet dissuasif de la sanction. Une amende, même substantielle, ou une confiscation partielle aurait pu suffire à atteindre l’objectif de prévention de futures infractions. La confiscation de cent pour cent de la somme, en plus de l’amende déjà infligée, constitue une sanction d’une sévérité extrême. La Cour conclut que « la confiscation de cent pour cent du montant non déclaré infligée au requérant pour son manquement à l’obligation déclarative était disproportionnée et qu’elle lui a imposé un fardeau excessif ». Cette charge rompt manifestement le juste équilibre qui doit exister entre l’intérêt général, qui commande de sanctionner les manquements aux obligations déclaratives, et le droit de l’individu au respect de ses biens. La décision réaffirme ainsi avec force que même dans le cadre de la réglementation de l’usage des biens, les États ne sauraient imposer des sanctions qui, par leur nature ou leur cumul, s’avèrent confiscatoires au point de nier la substance même du droit de propriété.
Par un arrêt en date du 22 décembre 2020, la Cour européenne des droits de l’homme a été amenée à se prononcer sur la conformité de la durée d’une procédure pénale avec l’exigence du délai raisonnable, telle que garantie par l’article 6 § 1 de la Convention.
En l’espèce, une personne avait déposé une plainte pénale le 23 août 2006 pour abus de confiance et gestion déloyale à l’encontre d’un ancien associé, se constituant partie civile et chiffrant ses prétentions en dommages-intérêts. Face à l’inertie de la procédure, il obtint par deux fois la condamnation de l’État pour déni de justice et retard injustifié par le Tribunal cantonal du canton du Valais, les 7 octobre 2008 et 18 février 2013. Le ministère public prononça finalement une ordonnance de classement le 7 février 2014, confirmée en appel par le Tribunal cantonal le 30 septembre 2014. Le Tribunal fédéral rejeta le recours du plaignant le 8 octobre 2015, considérant ses griefs sur le fond irrecevables et estimant que les délais les plus récents, bien que longs, n’étaient pas excessifs. Saisie de l’affaire, la Cour européenne des droits de l’homme devait donc déterminer si une procédure s’étendant sur plus de neuf ans, marquée par de longues périodes d’inactivité des autorités judiciaires, portait atteinte au droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable, nonobstant la reconnaissance partielle de ces manquements par les juridictions internes.
À cette question, la Cour répond par l’affirmative, concluant à une violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Elle juge que la durée globale de la procédure s’avère excessive et que les mesures adoptées au niveau national n’ont pas fourni une réparation adéquate pour le préjudice enduré par le requérant. La décision met ainsi en lumière la persistance d’une violation du délai raisonnable malgré les constats opérés par les juridictions nationales (I), ce qui justifie l’octroi d’une satisfaction équitable pour un préjudice jugé insuffisamment réparé (II).
***
I. La consécration d’une violation continue du délai raisonnable malgré les constats internes
La Cour européenne, pour parvenir à sa conclusion, a d’abord procédé à une appréciation globale de la durée de la procédure qu’elle a jugée manifestement excessive (A), avant de relativiser la portée des décisions internes qui avaient déjà sanctionné le manque de célérité de l’État (B).
A. L’appréciation globale d’une durée procédurale manifestement excessive
La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure doit être évalué en fonction des circonstances propres à chaque cas, en utilisant les critères établis par sa jurisprudence. En l’espèce, la période à considérer, qui s’étend du dépôt de la plainte le 23 août 2006 à la notification de l’arrêt du Tribunal fédéral le 27 octobre 2015, couvre « plus de neuf ans et deux mois ». Une telle durée interpelle d’emblée au regard de l’exigence de célérité.
L’analyse de la Cour se porte ensuite sur la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes. Sur le premier point, elle écarte toute complexité particulière, notant que « l’enquête de la police portait uniquement sur quatorze transactions considérées comme douteuses » et que l’examen juridique se limitait à deux chefs d’accusation. Le comportement du requérant n’est pas non plus jugé comme ayant contribué de manière significative à l’allongement de la procédure. Le véritable enjeu réside dans le comportement des autorités nationales, où la Cour identifie « plusieurs périodes d’inactivités imputables » à celles-ci. Elle souligne en particulier que « le procureur n’a entrepris aucune démarche afin de donner suite à la procédure entre le 23 août 2006 et le 5 février 2009, puis entre le 14 avril 2010 et le 8 janvier 2014 ». Ces longues phases de stagnation, qui totalisent près de six ans, constituent le cœur de la violation.
B. La relativisation de l’autorité des décisions judiciaires nationales
L’un des arguments de l’État défendeur consistait à soutenir que le requérant avait perdu sa qualité de victime, les juridictions internes ayant déjà constaté à deux reprises la violation du principe de célérité. La Cour écarte cette objection en appliquant sa jurisprudence constante, selon laquelle une décision favorable ne suffit à retirer la qualité de victime que si les autorités ont non seulement reconnu la violation, mais l’ont également réparée de manière appropriée.
Or, en l’espèce, les constats opérés par le Tribunal cantonal en 2008 et 2013, bien qu’explicites, « n’ont pas été suivis d’une réparation ». Les indemnités de dépens allouées ne sont considérées que comme une participation aux frais d’avocat et jugées « insuffisantes pour réparer le dommage subi ». De plus, la Cour note qu’« il n’existe aucun constat de violation relatif à la période ultérieure au 18 février 2013 ». En refusant de se pencher à nouveau sur la question de la célérité, le Tribunal fédéral a lui-même contribué à priver le requérant d’un recours effectif pour la dernière phase de la procédure. La Cour démontre ainsi que des constats partiels de violation, non suivis d’une réparation adéquate, ne sauraient purger la violation dans sa globalité.
II. Une réparation jugée lacunaire face à l’ampleur du préjudice
Une fois la violation de l’article 6 § 1 établie, la Cour se penche sur l’application de l’article 41 et la juste satisfaction due au requérant. Elle opère une distinction nette entre le dommage matériel, dont la réparation est rejetée en l’absence de lien de causalité (A), et le tort moral, qui fait l’objet d’une indemnisation spécifique (B).
A. Le rejet d’une réparation matérielle en l’absence de lien de causalité direct
Le requérant sollicitait une somme conséquente au titre du dommage matériel, correspondant aux prétentions qu’il espérait faire valoir contre son ancien associé si la procédure pénale avait été correctement instruite. La Cour rejette cette demande en se fondant sur une logique causale rigoureuse. Elle rappelle que la violation constatée ne porte pas sur le bien-fondé des accusations ou des conclusions civiles, mais uniquement sur le dépassement du délai raisonnable.
Par conséquent, « la Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande ». L’issue de la procédure pénale, si elle avait été menée avec célérité, reste hypothétique. La Cour se refuse ainsi à spéculer sur les chances de succès qu’aurait eues l’action du requérant pour indemniser une perte de chance qui n’est ni certaine ni directement liée à la lenteur de la justice. Cette position réaffirme que la réparation au titre de l’article 41 vise à compenser le préjudice découlant de la violation de la Convention elle-même, et non à se substituer aux juridictions internes pour trancher le fond du litige.
B. L’octroi d’une satisfaction équitable pour un tort moral certain et persistant
À l’inverse, la Cour reconnaît sans ambiguïté l’existence d’un préjudice moral. Le requérant a été maintenu dans un état d’incertitude et d’anxiété pendant plus de neuf ans, une situation qui constitue en soi un dommage indemnisable. En affirmant que « le requérant a subi un tort moral certain », la Cour prend en compte la souffrance psychologique inhérente à l’attente prolongée d’une décision de justice.
Le Gouvernement arguait que le constat de violation par la Cour constituerait une satisfaction équitable suffisante. La Cour n’est pas de cet avis. Statuant en équité, elle accorde au requérant une somme de 6 000 euros pour ce préjudice. Cette indemnisation vient compléter les mesures internes, jugées insuffisantes, et sanctionne l’incapacité de l’État à offrir une réparation adéquate pour un manquement qu’il avait lui-même partiellement reconnu. La décision confirme que le simple constat d’un retard par les juridictions nationales, sans une indemnisation effective du tort moral qui en découle, ne suffit pas à satisfaire aux exigences de l’article 41.
Par une décision en date du 3 mars 2020, la Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée sur la recevabilité d’une requête dirigée contre un État membre, concernant une procédure de classement sans suite d’une plainte pénale. En l’espèce, un avocat, précédemment condamné pour escroquerie aggravée, avait déposé plainte pour calomnie et faux témoignage à l’encontre de son ancienne cliente et du beau-fils de celle-ci, estimant que leurs déclarations avaient conduit à sa condamnation. Cette plainte fit l’objet d’une première ordonnance de classement sans suite par un juge des investigations préliminaires. Le plaignant forma un pourvoi en cassation qui aboutit à l’annulation de cette ordonnance, au motif que la demande de classement ne lui avait pas été notifiée. Suite à cette annulation, le même juge déclara vouloir s’abstenir de connaître de l’affaire, ce qui fut accepté par le président du tribunal qui désigna un autre magistrat. Après des investigations complémentaires, le parquet requit de nouveau un classement sans suite. Cependant, ce fut le juge qui s’était initialement abstenu qui, sans tenir d’audience, statua sur l’opposition du requérant, la déclara irrecevable et ordonna le classement définitif des poursuites. Le requérant n’a pas formé de pourvoi en cassation contre cette seconde ordonnance de classement. Saisissant la Cour européenne, il alléguait une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, arguant d’un défaut d’impartialité du juge qui avait statué en dépit de son abstention. Il appartenait donc à la Cour de déterminer si un requérant, qui se plaint d’une violation du droit à un tribunal impartial, peut valablement la saisir sans avoir préalablement exercé un recours interne spécifiquement prévu pour sanctionner une telle irrégularité. La Cour déclare la requête irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention. Si la Cour admet l’applicabilité de l’article 6 de la Convention dans sa dimension civile (I), elle sanctionne fermement le défaut d’exercice par le requérant d’un recours effectif qui lui était pourtant ouvert (II).
***
I. L’applicabilité retenue de l’article 6 au profit de la partie lésée
Avant d’examiner le moyen d’irrecevabilité tiré du non-épuisement des voies de recours, la Cour prend soin de vérifier que la procédure litigieuse entrait bien dans le champ d’application de l’article 6 § 1 de la Convention. Elle y répond par l’affirmative en se fondant sur une jurisprudence établie, rappelant que la plainte du requérant, bien que pénale, tendait à la protection d’un droit de caractère civil (A) et que son comportement procédural excluait toute renonciation à son droit à réparation (B).
A. La confirmation du caractère civil du droit à la réputation
La Cour rappelle d’emblée que la Convention ne garantit pas un droit de faire poursuivre ou condamner pénalement des tiers. Toutefois, l’article 6 § 1 sous son volet civil peut trouver à s’appliquer lorsqu’une telle action vise à protéger un droit de caractère civil. En l’occurrence, la Cour considère que la plainte pour calomnie et faux témoignage déposée par le requérant avait pour objet de défendre son honneur et sa considération professionnelle, mis à mal par sa condamnation antérieure. Elle estime ainsi que la plainte « visait à faire valoir un droit de caractère civil – à savoir le droit à la protection de sa réputation – dont il pouvait de manière défendable se prétendre titulaire ». Cette analyse s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle constante qui reconnaît que des procédures internes, même pénales, peuvent avoir une incidence déterminante sur des droits et obligations de caractère civil. La protection de la réputation est l’un de ces droits, permettant d’attraire sous l’empire de l’article 6 des procédures qui, autrement, en seraient exclues. La Cour n’exige pas que le requérant se soit formellement constitué partie civile, l’enjeu civil de la procédure étant suffisant.
B. L’exercice actif des prérogatives procédurales comme indice de la volonté de réparation
Pour que l’article 6 soit applicable, il faut non seulement que l’issue de la procédure soit déterminante pour un droit de caractère civil, mais également que le requérant n’ait pas renoncé à faire valoir ce droit. La Cour examine donc le comportement de l’intéressé tout au long de la procédure interne. Elle relève que le requérant a joué un rôle actif, en s’opposant aux demandes de classement et en utilisant avec succès une première fois le pourvoi en cassation. Pour la Cour, le fait que le requérant se soit « activement prévalu des droits procéduraux qui lui étaient reconnus par la loi en tant que partie lésée » démontre qu’on ne saurait considérer qu’il avait « renoncé à exercer son droit à réparation ». Cet engagement procédural manifeste son intention de voir reconnaître le préjudice subi, notamment celui porté à sa réputation, et de ne pas se contenter d’une simple sanction pénale des mis en cause. Cette approche pragmatique permet à la Cour d’étendre la protection de l’article 6 à la partie lésée qui, sans avoir initié une action civile formelle, démontre par ses actes sa volonté d’obtenir une forme de réparation.
***
Une fois l’applicabilité de l’article 6 établie, la Cour se devait d’examiner l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le gouvernement défendeur. C’est sur ce terrain que la requête échoue, la Cour constatant que le requérant disposait d’un recours apte à redresser la violation alléguée, mais qu’il a délibérément choisi de ne pas l’utiliser.
II. Le non-épuisement des voies de recours internes, cause dirimante d’irrecevabilité
La Cour applique avec rigueur la règle de l’épuisement des recours internes prévue à l’article 35 § 1 de la Convention. Elle constate l’existence d’un recours interne qui était à la fois accessible et adéquat pour contester la partialité du juge (A), tout en écartant les justifications avancées par le requérant pour son inaction (B).
A. L’existence d’un recours interne accessible et adéquat
La Cour rappelle que l’obligation d’épuiser les voies de recours internes n’impose l’exercice que des recours effectifs, c’est-à-dire ceux susceptibles d’offrir au requérant le redressement de ses griefs. Le gouvernement soutenait que le requérant aurait dû former un pourvoi en cassation contre la seconde ordonnance de classement du 5 novembre 2009. La Cour valide cette argumentation en se référant au droit interne pertinent. Elle observe que le code de procédure pénale italien prévoit expressément que la décision prise par un juge après l’acceptation de sa déclaration d’abstention est frappée de « nullité absolue et est irrémédiable (insanabile) au sens de l’article 178 § 1 a) du CPP ». De plus, cette nullité constitue un moyen de cassation. Par conséquent, un pourvoi en cassation aurait permis au requérant de faire annuler l’ordonnance litigieuse, prise par un juge qui n’avait plus la compétence pour statuer. Ce recours était donc parfaitement adéquat pour remédier à la violation principale alléguée devant la Cour, à savoir le défaut d’impartialité du tribunal. L’efficacité de ce recours était d’autant plus avérée que le requérant l’avait lui-même utilisé avec succès une première fois dans la même procédure.
B. Le rejet des justifications avancées par le requérant
Face à son inaction, le requérant avançait deux arguments : le coût de la procédure et le caractère illusoire du recours en raison de l’imminence de la prescription des faits. La Cour balaie ces justifications. D’une part, elle estime que « l’on ne saurait justifier le non-exercice du recours en cassation par le risque encouru par le requérant d’être condamné au paiement des frais de procédure ». Admettre un tel argument reviendrait à vider de sa substance l’exigence de l’épuisement des recours internes. D’autre part, concernant l’imminence de la prescription, la Cour souligne que l’intéressé n’a fourni aucune précision sur le délai applicable ni sur la manière dont cette circonstance aurait privé le recours de toute perspective raisonnable de succès. Elle rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle « le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison valable pour justifier la non-utilisation de recours internes ». En ne saisissant pas la Cour de cassation, le requérant a ainsi privé l’État défendeur de l’occasion de redresser lui-même la violation alléguée, ce qui constitue le fondement même du principe de subsidiarité sur lequel repose le système de la Convention.
Par une décision en date du 3 mars 2020, la Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée sur la recevabilité d’une requête dirigée contre un État membre, concernant une procédure de classement sans suite d’une plainte pénale. En l’espèce, un avocat, précédemment condamné pour escroquerie aggravée, avait déposé plainte pour calomnie et faux témoignage à l’encontre de son ancienne cliente et du beau-fils de celle-ci, estimant que leurs déclarations avaient conduit à sa condamnation. Cette plainte fit l’objet d’une première ordonnance de classement sans suite par un juge des investigations préliminaires. Le plaignant forma un pourvoi en cassation qui aboutit à l’annulation de cette ordonnance, au motif que la demande de classement ne lui avait pas été notifiée. Suite à cette annulation, le même juge déclara vouloir s’abstenir de connaître de l’affaire, ce qui fut accepté par le président du tribunal qui désigna un autre magistrat. Après des investigations complémentaires, le parquet requit de nouveau un classement sans suite. Cependant, ce fut le juge qui s’était initialement abstenu qui, sans tenir d’audience, statua sur l’opposition du requérant, la déclara irrecevable et ordonna le classement définitif des poursuites. Le requérant n’a pas formé de pourvoi en cassation contre cette seconde ordonnance de classement. Saisissant la Cour européenne, il alléguait une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, arguant d’un défaut d’impartialité du juge qui avait statué en dépit de son abstention. Il appartenait donc à la Cour de déterminer si un requérant, qui se plaint d’une violation du droit à un tribunal impartial, peut valablement la saisir sans avoir préalablement exercé un recours interne spécifiquement prévu pour sanctionner une telle irrégularité. La Cour déclare la requête irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention. Si la Cour admet l’applicabilité de l’article 6 de la Convention dans sa dimension civile (I), elle sanctionne fermement le défaut d’exercice par le requérant d’un recours effectif qui lui était pourtant ouvert (II).
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I. L’applicabilité retenue de l’article 6 au profit de la partie lésée
Avant d’examiner le moyen d’irrecevabilité tiré du non-épuisement des voies de recours, la Cour prend soin de vérifier que la procédure litigieuse entrait bien dans le champ d’application de l’article 6 § 1 de la Convention. Elle y répond par l’affirmative en se fondant sur une jurisprudence établie, rappelant que la plainte du requérant, bien que pénale, tendait à la protection d’un droit de caractère civil (A) et que son comportement procédural excluait toute renonciation à son droit à réparation (B).
A. La confirmation du caractère civil du droit à la réputation
La Cour rappelle d’emblée que la Convention ne garantit pas un droit de faire poursuivre ou condamner pénalement des tiers. Toutefois, l’article 6 § 1 sous son volet civil peut trouver à s’appliquer lorsqu’une telle action vise à protéger un droit de caractère civil. En l’occurrence, la Cour considère que la plainte pour calomnie et faux témoignage déposée par le requérant avait pour objet de défendre son honneur et sa considération professionnelle, mis à mal par sa condamnation antérieure. Elle estime ainsi que la plainte « visait à faire valoir un droit de caractère civil – à savoir le droit à la protection de sa réputation – dont il pouvait de manière défendable se prétendre titulaire ». Cette analyse s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle constante qui reconnaît que des procédures internes, même pénales, peuvent avoir une incidence déterminante sur des droits et obligations de caractère civil. La protection de la réputation est l’un de ces droits, permettant d’attraire sous l’empire de l’article 6 des procédures qui, autrement, en seraient exclues. La Cour n’exige pas que le requérant se soit formellement constitué partie civile, l’enjeu civil de la procédure étant suffisant.
B. L’exercice actif des prérogatives procédurales comme indice de la volonté de réparation
Pour que l’article 6 soit applicable, il faut non seulement que l’issue de la procédure soit déterminante pour un droit de caractère civil, mais également que le requérant n’ait pas renoncé à faire valoir ce droit. La Cour examine donc le comportement de l’intéressé tout au long de la procédure interne. Elle relève que le requérant a joué un rôle actif, en s’opposant aux demandes de classement et en utilisant avec succès une première fois le pourvoi en cassation. Pour la Cour, le fait que le requérant se soit « activement prévalu des droits procéduraux qui lui étaient reconnus par la loi en tant que partie lésée » démontre qu’on ne saurait considérer qu’il avait « renoncé à exercer son droit à réparation ». Cet engagement procédural manifeste son intention de voir reconnaître le préjudice subi, notamment celui porté à sa réputation, et de ne pas se contenter d’une simple sanction pénale des mis en cause. Cette approche pragmatique permet à la Cour d’étendre la protection de l’article 6 à la partie lésée qui, sans avoir initié une action civile formelle, démontre par ses actes sa volonté d’obtenir une forme de réparation.
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Une fois l’applicabilité de l’article 6 établie, la Cour se devait d’examiner l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le gouvernement défendeur. C’est sur ce terrain que la requête échoue, la Cour constatant que le requérant disposait d’un recours apte à redresser la violation alléguée, mais qu’il a délibérément choisi de ne pas l’utiliser.
II. Le non-épuisement des voies de recours internes, cause dirimante d’irrecevabilité
La Cour applique avec rigueur la règle de l’épuisement des recours internes prévue à l’article 35 § 1 de la Convention. Elle constate l’existence d’un recours interne qui était à la fois accessible et adéquat pour contester la partialité du juge (A), tout en écartant les justifications avancées par le requérant pour son inaction (B).
A. L’existence d’un recours interne accessible et adéquat
La Cour rappelle que l’obligation d’épuiser les voies de recours internes n’impose l’exercice que des recours effectifs, c’est-à-dire ceux susceptibles d’offrir au requérant le redressement de ses griefs. Le gouvernement soutenait que le requérant aurait dû former un pourvoi en cassation contre la seconde ordonnance de classement du 5 novembre 2009. La Cour valide cette argumentation en se référant au droit interne pertinent. Elle observe que le code de procédure pénale italien prévoit expressément que la décision prise par un juge après l’acceptation de sa déclaration d’abstention est frappée de « nullité absolue et est irrémédiable (insanabile) au sens de l’article 178 § 1 a) du CPP ». De plus, cette nullité constitue un moyen de cassation. Par conséquent, un pourvoi en cassation aurait permis au requérant de faire annuler l’ordonnance litigieuse, prise par un juge qui n’avait plus la compétence pour statuer. Ce recours était donc parfaitement adéquat pour remédier à la violation principale alléguée devant la Cour, à savoir le défaut d’impartialité du tribunal. L’efficacité de ce recours était d’autant plus avérée que le requérant l’avait lui-même utilisé avec succès une première fois dans la même procédure.
B. Le rejet des justifications avancées par le requérant
Face à son inaction, le requérant avançait deux arguments : le coût de la procédure et le caractère illusoire du recours en raison de l’imminence de la prescription des faits. La Cour balaie ces justifications. D’une part, elle estime que « l’on ne saurait justifier le non-exercice du recours en cassation par le risque encouru par le requérant d’être condamné au paiement des frais de procédure ». Admettre un tel argument reviendrait à vider de sa substance l’exigence de l’épuisement des recours internes. D’autre part, concernant l’imminence de la prescription, la Cour souligne que l’intéressé n’a fourni aucune précision sur le délai applicable ni sur la manière dont cette circonstance aurait privé le recours de toute perspective raisonnable de succès. Elle rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle « le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison valable pour justifier la non-utilisation de recours internes ». En ne saisissant pas la Cour de cassation, le requérant a ainsi privé l’État défendeur de l’occasion de redresser lui-même la violation alléguée, ce qui constitue le fondement même du principe de subsidiarité sur lequel repose le système de la Convention.
Par une communication en date du 8 septembre 2020, la Cour européenne des droits de l’homme a été conduite à examiner la conformité d’une condamnation pénale pour prosélytisme avec la liberté de religion garantie par l’article 9 de la Convention. En l’espèce, un ressortissant grec, membre de l’Église de Pentecôte, s’est vu infliger une peine de quatre mois d’emprisonnement avec sursis ainsi qu’une amende de trois cents euros pour avoir enfreint une loi de 1938 réprimant le prosélytisme. L’intéressé, estimant cette sanction contraire à ses droits fondamentaux, a saisi la juridiction européenne après l’épuisement des voies de recours internes. La procédure devant la Cour met en lumière l’opposition entre la législation nationale, qui érige en infraction le fait de chercher à convertir autrui, et les prérogatives découlant de la liberté de manifester ses convictions religieuses. Le problème de droit qui se pose est donc de savoir si une condamnation pénale pour prosélytisme constitue une ingérence nécessaire et proportionnée dans l’exercice du droit à la liberté de religion, au sens de l’article 9 de la Convention. À travers les questions qu’elle adresse aux parties, la Cour oriente son contrôle non seulement sur la justification de l’ingérence, mais aussi sur la qualification juridique des actes commis par l’individu, que ce dernier décrit comme un simple « échange des idées que son interlocuteur était libre d’accepter ou de rejeter ».
La Cour rappelle ainsi le principe d’une liberté de conviction largement entendue, dont la restriction demeure strictement encadrée. Cette approche conduit à examiner la conciliation entre la liberté de témoignage religieux et la nécessité de protéger les droits et libertés d’autrui, avant d’analyser le contrôle rigoureux exercé par la Cour sur la proportionnalité d’une telle sanction pénale.
I. La conciliation de la liberté de témoignage religieux et de la protection des droits d’autrui
La liberté de religion, telle qu’interprétée par la Cour européenne des droits de l’homme, englobe le droit de chercher à convaincre son prochain. Cette faculté n’est cependant pas absolue et peut faire l’objet de limitations visant notamment à prévenir les dérives et les abus.
A. La consécration du droit de manifester sa foi
L’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme protège non seulement la liberté d’avoir des convictions, mais également celle de les manifester individuellement ou collectivement, en public ou en privé. La jurisprudence constante de la Cour considère que le témoignage et la tentative de persuasion font partie intégrante de cette liberté. Le droit de partager sa foi et d’en discuter avec autrui est donc une composante essentielle de la vie religieuse, à condition qu’il s’exerce dans le respect de la liberté de conscience de chacun. En l’occurrence, l’argument du requérant selon lequel ses actions relevaient d’un « échange des idées » s’inscrit directement dans cette conception extensive. La Cour est donc amenée à vérifier si les faits qui lui sont soumis correspondent à une forme légitime d’expression religieuse, protégée par la Convention.
B. La légitimité de l’encadrement du prosélytisme
La liberté de manifester sa religion n’est pas illimitée et le second paragraphe de l’article 9 autorise des ingérences si elles sont prévues par la loi, poursuivent un but légitime et sont nécessaires dans une société démocratique. La protection des droits et libertés d’autrui constitue l’un de ces buts légitimes. La Cour a ainsi distingué le témoignage chrétien du prosélytisme abusif, ce dernier se caractérisant par l’emploi de moyens de pression illégitimes, de contraintes ou de manœuvres frauduleuses pour obtenir une conversion. Une législation nationale peut donc légitimement viser à réprimer de tels comportements. La loi grecque de 1938, sur laquelle se fonde la condamnation, poursuit en théorie un objectif de protection de la liberté de conscience contre des formes de sollicitation agressives ou manipulatrices. La question centrale demeure toutefois de déterminer si son application en l’espèce était justifiée et proportionnée.
II. Le contrôle de la proportionnalité de la sanction pénale
La Cour exerce un contrôle approfondi sur la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique, ce qui la conduit à interroger tant la pertinence de l’incrimination elle-même que la rigueur avec laquelle les faits ont été qualifiés par les juridictions nationales.
A. La contestation de la nécessité de l’incrimination
Le requérant soutient en premier lieu que « le prosélytisme ne doit pas être puni par la loi », contestant ainsi le principe même de sa condamnation. Cette argumentation invite la Cour à évaluer si une sanction pénale, même assortie du sursis, constitue une réponse appropriée et proportionnée. La simple existence d’une infraction pénale générale réprimant le prosélytisme peut en effet avoir un effet dissuasif sur l’exercice de la liberté d’expression religieuse, dépassant ce qui est nécessaire pour protéger les droits d’autrui. La Cour doit alors vérifier si l’État n’aurait pas pu recourir à des mesures moins attentatoires aux libertés fondamentales pour prévenir les éventuels abus. La nature même de la sanction, par sa portée symbolique et ses conséquences pour l’individu, exige un examen particulièrement strict de sa justification.
B. L’exigence d’une caractérisation précise de l’infraction
Au-delà du principe de l’incrimination, la Cour examine avec une attention particulière si les faits reprochés au requérant pouvaient matériellement constituer une infraction. L’intéressé fait valoir que ses actes ne sauraient être qualifiés de « prosélytisme systématique et répétitif » et que les « éléments constitutifs de l’infraction n’avaient pas été établis ». Cette défense conduit la Cour à s’assurer que les juges nationaux ont opéré une distinction claire entre un simple dialogue religieux et des agissements abusifs. La condamnation ne peut se fonder sur une interprétation extensive de la loi ou sur des faits insuffisamment caractérisés au regard des exigences de la Convention. Si la condamnation repose sur une simple conversation que l’interlocuteur était libre d’interrompre, elle apparaîtrait comme une ingérence disproportionnée dans l’exercice du droit de manifester sa religion.
Par un arrêt en date du 19 décembre 2024, la Cour administrative d’appel de Nancy se prononce sur la légalité du refus de délivrance d’un titre de séjour opposé à un ressortissant étranger, au motif principal du caractère douteux des documents d’état civil produits à l’appui de sa demande.
Un individu se déclarant ressortissant malien, entré en France en 2019 et pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance, a sollicité la délivrance d’un titre de séjour après sa majorité. Le préfet de Meurthe-et-Moselle a rejeté sa demande par un arrêté du 6 décembre 2021, assorti d’une obligation de quitter le territoire français. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Nancy a rejeté la demande d’annulation de ce refus de séjour par un jugement du 25 mai 2022. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que l’administration n’avait pas légalement renversé la présomption d’authenticité de ses actes d’état civil étrangers. La question de droit posée à la cour était de déterminer si un faisceau d’indices matériels, relevés par un rapport technique, suffit à l’administration pour écarter la force probante d’actes d’état civil étrangers et, par conséquent, refuser un titre de séjour dont l’obtention est conditionnée à l’âge du demandeur. La Cour administrative d’appel de Nancy a confirmé le jugement de première instance, estimant que l’accumulation d’irrégularités et d’incohérences factuelles suffit à renverser la présomption de validité attachée aux documents d’état civil en vertu de l’article 47 du code civil.
La décision de la cour s’articule autour de la confirmation de la méthode d’appréciation de l’administration face à des actes contestés, avant d’en tirer les conséquences inéluctables sur le droit au séjour du demandeur.
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I. La consolidation de la méthode administrative d’appréciation de la force probante des actes d’état civil étrangers
La cour valide le raisonnement du préfet en rappelant d’abord que la présomption de validité des actes étrangers n’est pas absolue, puis en admettant qu’un ensemble d’indices techniques peut suffire à la renverser.
A. Le caractère réfragable de la présomption de validité attachée aux actes étrangers
La cour rappelle la règle posée par l’article 47 du code civil, selon lequel un acte d’état civil étranger fait foi en France. Elle précise cependant immédiatement la portée de cette présomption. En effet, cette dernière n’est pas irréfragable et peut être combattue par l’administration. Pour ce faire, il lui appartient d’établir le caractère frauduleux ou erroné du document. La charge de la preuve incombe donc à l’autorité administrative qui entend écarter un tel acte. L’arrêt souligne qu’il incombe à cette dernière « de renverser cette présomption en apportant la preuve, par tout moyen, du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question ».
Cette solution, classique en jurisprudence, réaffirme que le juge administratif exerce un plein contrôle sur l’appréciation des actes d’état civil. Il ne s’agit pas pour l’administration de simplement émettre un doute, mais bien de le fonder sur des éléments concrets et objectifs. La cour rappelle que le juge forme sa propre conviction « au vu de l’ensemble des éléments produits par les parties ». Ainsi, la présentation par l’étranger d’autres documents, comme une carte consulaire ou un passeport, doit être prise en compte, sans pour autant que ces pièces bénéficient d’une force probante supérieure par principe.
B. La reconnaissance du faisceau d’indices techniques comme preuve de la falsification
Dans cette affaire, pour écarter les documents produits, le préfet s’est appuyé sur un rapport d’examen technique documentaire. L’arrêt prend soin de détailler les nombreux éléments soulevés par ce rapport, démontrant une analyse approfondie et non une simple suspicion. Parmi les irrégularités constatées figuraient l’usage d’une technique d’impression inappropriée, l’absence d’informations obligatoires comme le numéro d’identification nationale (NINA) ou la qualité de l’officier d’état civil, des dimensions irrégulières du document et des incohérences entre les différents actes produits.
La cour considère que ces multiples anomalies techniques et factuelles constituent un faisceau d’indices suffisant pour caractériser la nature apocryphe des documents. Elle estime que « ces circonstances sont propres à établir le caractère apocryphe des documents présentés » et sont « de nature à renverser la présomption de validité ». La cour écarte par ailleurs l’argument du requérant, fondé sur une attestation consulaire relative au caractère non modernisé des services d’état civil maliens, jugeant cette pièce insuffisante pour remettre en cause les conclusions de l’expertise. En se fondant sur des éléments aussi précis qu’une « erreur grossière » dans le texte préimprimé, la cour valide le refus du préfet, le considérant exempt d’erreur de fait et d’erreur manifeste d’appréciation.
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II. Les conséquences du défaut de preuve de l’état civil sur le droit au séjour
Une fois le caractère non probant des actes d’état civil établi, la cour en déduit logiquement l’impossibilité pour le requérant de bénéficier du régime de protection spécifique qu’il invoquait, tout en écartant les autres fondements possibles à sa demande de régularisation.
A. L’impossibilité de bénéficier du titre de séjour destiné aux jeunes majeurs
Le requérant fondait sa demande de titre de séjour sur l’article L. 423-22 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ce texte prévoit la délivrance d’une carte de séjour « vie privée et familiale » à l’étranger confié au service de l’aide sociale à l’enfance avant l’âge de seize ans, sous certaines conditions. L’âge du demandeur constitue donc un critère essentiel d’éligibilité à ce dispositif. Or, en l’espèce, les documents censés établir l’âge du requérant ayant été jugés dépourvus de valeur probante, ce dernier ne pouvait plus justifier remplir cette condition.
La cour applique un raisonnement syllogistique rigoureux. Elle énonce que « dès lors que le préfet a valablement constaté que les documents présentés par M. A… ne permettaient pas d’établir son âge (…), le préfet pouvait, pour ce seul motif, refuser la demande de titre de séjour présentée par le requérant ». La contestation de l’état civil anéantit donc la base même de la demande de titre de séjour. Le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 423-22 est ainsi logiquement écarté, sans que la cour ait à examiner les autres conditions posées par le texte, telles que le caractère réel et sérieux du suivi de la formation.
B. L’appréciation restrictive des autres possibilités de régularisation
L’arrêt examine ensuite les autres fondements juridiques potentiels pour une admission au séjour. La cour écarte d’abord le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 423-23 du même code, le jugeant « inopérant » dès lors que l’intéressé n’avait pas sollicité de titre sur cette base en première instance. Plus significativement, elle se penche sur l’admission exceptionnelle au séjour prévue par l’article L. 435-1 du même code, qui permet de délivrer un titre pour des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels.
Malgré les éléments d’intégration mis en avant par le requérant, tels que le suivi d’une formation, la conclusion d’un contrat d’apprentissage et le bénéfice d’un contrat jeune majeur, la cour estime que ces éléments ne « constituent pas des motifs exceptionnels ou des circonstances humanitaires ». Ce faisant, elle confirme le large pouvoir d’appréciation dont dispose le préfet en la matière et refuse de censurer sa décision pour erreur manifeste d’appréciation. La situation personnelle du requérant, célibataire, sans charges de famille en France et ne démontrant pas être dépourvu de toute attache dans son pays d’origine, a pesé dans la balance. La cour confirme ainsi une approche stricte de l’admission exceptionnelle au séjour, qui ne saurait se substituer aux voies de régularisation de droit commun lorsque leurs conditions ne sont pas remplies.
La Cour d’appel de Versailles, 3 juillet 2025 (chambre civile 1-6), statue sur la compétence internationale des juridictions françaises dans un litige bancaire transfrontalier. L’arrêt est rendu sur appel d’une ordonnance du 13 décembre 2024 ayant rejeté une exception d’incompétence.
Une épargnante, démarchée par un faux intermédiaire, a ordonné plusieurs virements entre novembre 2020 et janvier 2021, depuis un compte tenu en France, vers des comptes ouverts auprès d’un établissement de crédit allemand. S’estimant victime d’une escroquerie, elle a recherché la responsabilité de l’établissement exécutant français et de la banque bénéficiaire étrangère, à hauteur de 80 044,73 euros, sur le fondement de la responsabilité délictuelle.
La banque bénéficiaire a soulevé l’incompétence en invoquant le for du domicile du défendeur et l’interprétation stricte des fors spéciaux prévus par le règlement (UE) n° 1215/2012. Le juge de la mise en état a rejeté l’exception et renvoyé l’affaire à la mise en état. L’appel a été interjeté, l’établissement étranger sollicitant qu’il soit déclaré incompétent le tribunal français au profit d’une juridiction allemande.
La question posée tient à l’articulation des articles 4, 7, § 2 et 8, § 1 de Bruxelles I bis, dans l’hypothèse d’actions conjointes, l’une visant la banque exécutrice française, l’autre la banque bénéficiaire étrangère. L’arrêt confirme la compétence du juge français par application de la compétence dérivée fondée sur la connexité, dans une logique de prévisibilité et de bonne administration de la justice.
I — La reconnaissance d’une compétence dérivée en présence de demandes connexes
A — Le cadre normatif de Bruxelles I bis
La Cour rappelle d’abord le for de principe. Elle cite que « Le principe posé par l’article 4 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 est que :
1. les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre,
2. les personnes qui ne possèdent pas la nationalité de l’État membre dans lequel elles sont domiciliées sont soumises aux règles de compétence applicables aux ressortissants de cet État membre. » Ce rappel situe précisément la compétence générale au lieu du domicile du défendeur.
La juridiction énonce ensuite la règle de connexité. Elle reproduit que « Ce règlement prévoit, par son article 8, § 1, une règle de compétence dérivée : une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, s’il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément. » Le critère tient au risque d’inconciliabilité dans une même situation de fait et de droit.
La Cour situe enfin le for spécial délictuel. Elle précise l’article 7, § 2, en retenant que « Dès lors que le lieu où le fait dommageable s’est produit s’entend à la fois du lieu de matérialisation du dommage et de celui de l’événement causal, à l’origine du dommage, dans le cas où les fonds ont été virés depuis des comptes ouverts dans une banque située en France et ont été frauduleusement appréhendés sur un compte ouvert dans une banque située dans un autre Etat, alors le dommage survient dans cet Etat. » En droit, l’action dirigée contre la banque bénéficiaire relèverait donc, en principe, de la juridiction allemande.
B — L’application au litige : unité factuelle, questions communes et risque d’inconciliabilité
La Cour retient l’existence d’une situation unique, caractérisée par un enchaînement frauduleux où les virements exécutés en France ont abouti à l’appréhension des fonds sur des comptes tenus à l’étranger. La pluralité de défendeurs et la communauté d’intérêt de la demanderesse justifient l’analyse de connexité au sens de l’article 8, § 1, afin d’éviter des solutions irréconciliables.
Elle souligne que la différence de fondements juridiques ne fait pas obstacle, dès lors que les prétentions poursuivent la même finalité réparatrice, sur la base d’obligations prudentielles transposées dans des ordres juridiques distincts. L’arrêt énonce, de manière nette, que « Elles posent des questions communes qui appellent des réponses coordonnées, notamment sur la matérialité et l’étendue du préjudice, l’analyse des causes du dommage et la responsabilité éventuelle de chacune des banques. » Le lien étroit commande une instruction et un jugement communs.
Cette solution s’inscrit dans la ligne de la jurisprudence relative à l’article 8, § 1, qui admet la connexité en présence de moyens voisins et d’un risque crédible d’inconciliabilité (Civ. 1re, 26 sept. 2012, n° 11-26.022 ; 17 fév. 2021, n° 19-17.345). L’arrêt rappelle que l’économie du règlement favorise la réduction des procédures concurrentes, ce qui justifie une analyse concrète et non formaliste de l’unicité factuelle.
II — La valeur et la portée de la solution
A — Prévisibilité et bonne administration de la justice
La Cour ancre sa motivation dans les objectifs téléologiques du règlement. Elle indique que « Il doit cependant être retenu comme présidant à l’interprétation des règles de conflit de juridiction à l’échelle européenne, en vertu des points 15, 16, et 21 du règlement Bruxelles 1 bis dont il s’agit, que si les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur, ce for de principe doit être complété par d’autres fors autorisés, présentant un lien étroit entre la juridiction et le litige, en vue de faciliter un fonctionnement harmonieux de la justice qui commande de réduire au maximum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter que des décisions inconciliables ne soient rendues dans deux États membres. » La cohérence interne du système prime ainsi sur une lecture excessivement restrictive.
La juridiction rappelle également l’exigence de prévisibilité, gage de sécurité juridique. Elle reprend que « Par ailleurs, selon la jurisprudence de la CJUE, le principe de sécurité juridique exige notamment que les règles de compétence spéciales soient interprétées de façon à permettre à un défendeur normalement averti de prévoir raisonnablement devant quelle juridiction autre que celle de son domicile il pourrait être attrait. » L’établissement ayant reçu des fonds en provenance de France, à partir d’un compte français, devait anticiper le risque juridictionnel.
La valeur de l’arrêt tient à l’équilibre retenu. La Cour combine l’ancrage textuel des fors spéciaux et l’objectif d’une bonne administration, prévenant les décisions inconciliables par une interprétation finaliste, sans détacher la solution des exigences de prévisibilité. Cette harmonisation évite la fragmentation contentieuse des escroqueries d’investissement, fréquentes et transfrontières, au bénéfice d’une instruction coordonnée.
B — Limites et conséquences pratiques pour les litiges bancaires transfrontaliers
La solution ne méconnaît pas l’interprétation stricte des règles dérogatoires. La Cour circonscrit la compétence dérivée à une connexité effective, reposant sur des faits étroitement imbriqués, des questions communes et un risque réaliste d’inconciliabilité. La différence des lois applicables ne suffit pas, à elle seule, à écarter l’unité juridictionnelle lorsque l’économie du litige commande une réponse convergente.
Des réserves demeurent toutefois quant au risque de forum shopping. La prévention de ce risque dépend de l’examen rigoureux du lien factuel et de la finalité identique des prétentions. Le rappel du for de principe du domicile du défendeur conserve sa force normative, à défaut de lien étroit justifiant la dérogation, ce que l’arrêt marque avec constance.
La portée pratique est notable pour les contentieux de faux investissements. La décision incite les établissements recevant des flux transfrontières à évaluer le risque juridictionnel lorsque des fonds proviennent d’un compte français. L’exigence de prévisibilité, ainsi formulée, soutient une vigilance renforcée au stade de l’entrée en relation et du suivi des opérations sur comptes à risque.
Enfin, la détermination de la loi applicable demeure une question distincte, non préjugée par la solution de compétence. L’articulation entre les régimes nationaux de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, issus d’une directive commune mais transposés diversement, se résoudra au fond. L’arrêt concentre son contrôle sur la juridiction compétente, conformément à la logique processuelle du règlement, et laisse au juge du fond la maîtrise des normes substantielles.