Juge des référés du Conseil d’État, le 12 août 2025, n°507190

Par une ordonnance du 12 août 2025, le juge des référés du Conseil d’État a été saisi d’une demande sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Un requérant sollicitait l’intervention de mesures utiles afin de faire cesser une atteinte qu’il estimait grave et manifestement illégale à plusieurs de ses libertés fondamentales. Cette démarche s’inscrivait dans un contexte procédural dense, le justiciable ayant précédemment engagé plusieurs actions devant la juridiction administrative. Il avait notamment contesté le refus implicite du garde des Sceaux de sanctionner des magistrats, demande qui fut rejetée comme irrecevable par une ordonnance de la section du contentieux du Conseil d’État en date du 7 octobre 2024. Un recours en révision contre cette ordonnance avait également été écarté le 24 juillet 2025, suivi par le rejet d’une première requête en référé-liberté le 8 août 2025. Le requérant soutenait que cette succession de décisions portait atteinte, entre autres, à la présomption d’innocence, au droit à un recours effectif et aux droits de la défense. Le problème de droit soumis au juge des référés consistait à déterminer si la seule invocation d’une atteinte à une liberté fondamentale est suffisante pour caractériser la condition d’urgence particulière requise pour le prononcé d’une mesure de sauvegarde. Le Conseil d’État répond par la négative, en affirmant que l’urgence doit être démontrée par des circonstances spécifiques qui ne découlent pas automatiquement de la nature de l’atteinte alléguée. Il rejette par conséquent la requête, sans examiner le fond des griefs ni la question prioritaire de constitutionnalité soulevée irrégulièrement.

La décision rappelle ainsi avec fermeté le caractère autonome et exigeant de la condition d’urgence, préalable indispensable à l’intervention du juge du référé-liberté (I). Ce faisant, elle confirme le rôle de ce dernier comme régulateur des procédures d’urgence, prévenant leur instrumentalisation tout en garantissant leur efficacité pour les situations qui le justifient (II).

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I. Le rappel de l’autonomie de la condition d’urgence en référé-liberté

L’ordonnance commentée réaffirme que la mise en œuvre de la procédure de référé-liberté est subordonnée à la démonstration d’une urgence spécifiquement qualifiée (A), ce qui exclut toute présomption d’urgence qui serait mécaniquement déduite de la seule allégation d’une atteinte à une liberté fondamentale (B).

A. L’exigence d’une justification circonstanciée de l’urgence

Le juge des référés rappelle que la lettre de l’article L. 521-2 du code de justice administrative impose au demandeur de justifier de circonstances qui rendent nécessaire une intervention juridictionnelle dans un très bref délai. La décision souligne que « le requérant qui saisit le juge des référés sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative doit justifier des circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai d’une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article ». Cette exigence implique que la simple description d’une situation de droit ou de fait ne suffit pas ; il est impératif d’établir en quoi cette situation requiert une réponse immédiate pour sauvegarder une liberté. En l’espèce, le juge constate que les écritures du requérant sont dépourvues de tout élément concret permettant de caractériser une telle nécessité, se contentant d’énumérer les libertés qui seraient violées. Cette position constante du Conseil d’État garantit que le référé-liberté demeure une voie de recours exceptionnelle, réservée aux seules situations où le temps joue un rôle critique contre le justiciable.

B. Le rejet d’une présomption d’urgence attachée à l’atteinte alléguée

L’ordonnance énonce de manière particulièrement claire que l’urgence ne se confond pas avec la gravité de l’atteinte. Elle précise en effet que « l’invocation d’une atteinte qui serait portée à une liberté fondamentale n’est pas de nature à caractériser par elle-même l’existence d’une situation d’urgence ». Cette formule a pour effet de dissocier entièrement l’analyse de l’urgence de celle de la légalité manifeste de l’acte contesté. Si toute atteinte alléguée à une liberté fondamentale emportait reconnaissance de l’urgence, cette condition procédurale serait vidée de sa substance. Le juge deviendrait alors le censeur de droit commun de l’administration dans un délai de quarante-huit heures, ce qui dénaturerait profondément l’office du juge de l’urgence. La solution retenue ici est donc une manifestation de la volonté du Conseil d’État de préserver la spécificité du référé-liberté, qui n’a pas vocation à se substituer aux procédures de recours au fond pour trancher des litiges complexes, mais bien à apporter une réponse ponctuelle à une situation de péril imminent.

Cette application rigoureuse des conditions de recevabilité de la requête en référé-liberté confère à l’office du juge une fonction de régulation essentielle, dont la portée pratique est significative.

II. La portée d’une solution au service de l’office du juge des référés

En appliquant strictement le critère de l’urgence, le juge des référés consolide les mécanismes de filtrage destinés à éviter l’engorgement de son prétoire (A), et réaffirme par là même la place subsidiaire du référé-liberté dans l’architecture du contentieux administratif (B).

A. La consolidation d’un mécanisme de filtrage des requêtes

La présente ordonnance est rendue sur le fondement de l’article L. 522-3 du code de justice administrative, qui autorise le juge des référés à rejeter par une simple ordonnance, sans instruction ni audience, les requêtes manifestement infondées ou irrecevables. L’absence de justification de l’urgence constitue l’un des motifs les plus fréquents de mise en œuvre de cette procédure simplifiée. Dans le cas d’espèce, la succession rapide de recours formés par le même requérant sur des fondements similaires a sans doute conforté le juge dans l’idée que la nouvelle demande ne présentait pas le caractère de nouveauté et d’imminence requis. Cette décision illustre ainsi la fonction de filtre que remplit la condition d’urgence, permettant d’écarter les demandes qui relèvent davantage de la persistance d’un contentieux que d’une situation d’urgence véritable. Cette approche pragmatique est indispensable pour préserver la capacité du juge à se concentrer sur les cas où une liberté fondamentale est réellement et actuellement en danger.

B. La réaffirmation du caractère subsidiaire du référé-liberté

L’ordonnance met en lumière le fait que le référé-liberté ne peut être utilisé comme une voie de recours alternative ou une instance de révision des décisions juridictionnelles devenues définitives. Le requérant cherchait en substance à remettre en cause les ordonnances des 7 octobre 2024 et 24 juillet 2025 par le biais d’une procédure d’urgence. En rejetant la demande pour défaut d’urgence sans même analyser la légalité des actes attaqués, le juge rappelle que chaque procédure a un objet propre. Le référé-liberté a pour finalité de faire cesser une atteinte imminente et non de contester le bien-fondé d’une série de décisions antérieures, pour lesquelles des voies de recours spécifiques existent. Cette solution réaffirme donc l’articulation des différentes procédures contentieuses et la place du référé-liberté comme un outil de dernier recours face à un péril ponctuel, et non comme un instrument permettant de contourner l’autorité de la chose jugée ou les règles de recevabilité des recours ordinaires.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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