Juge des référés du Conseil d’État, le 12 juin 2025, n°504989

Par une ordonnance rendue le 12 juin 2025, le juge des référés du Conseil d’État s’est prononcé sur la légalité d’une mesure de suspension pour insuffisance professionnelle. Un chirurgien-dentiste, diplômé en 2013, a fait l’objet d’un signalement par un patient auprès du conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes de la Seine-Saint-Denis. La formation restreinte du conseil régional d’Ile-de-France a prononcé, le 14 décembre 2023, une suspension temporaire totale du droit d’exercer pour une durée de six mois. Saisi d’un recours, le Conseil national de l’ordre a confirmé cette mesure le 26 septembre 2024, tout en subordonnant la reprise d’activité à une expertise. Cette dernière, réalisée le 18 décembre 2024, a conduit la formation restreinte nationale à suspendre le praticien pour dix-huit mois par une décision du 13 mars 2025. L’intéressé a alors saisi le juge des référés du Conseil d’État d’une requête tendant à la suspension de l’exécution de cette dernière décision ordinale. Il soutenait notamment que la condition d’urgence était satisfaite en raison de la perte de ses revenus et qu’il existait un doute sérieux sur la légalité. Le requérant invoquait une insuffisance de motivation de la décision ainsi qu’une erreur d’appréciation, remettant en cause la pertinence et la régularité du rapport d’expertise médicale. Le juge des référés devait déterminer si les lacunes identifiées lors de l’expertise technique justifiaient légalement une suspension de longue durée assortie d’une obligation de formation. L’ordonnance rejette la requête au motif que les moyens soulevés ne sont pas propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision. L’analyse de cette solution impose d’examiner d’abord l’établissement caractérisé d’une insuffisance professionnelle, avant d’envisager la validation des mesures de remédiation imposées au praticien.

I. L’établissement caractérisé d’une insuffisance professionnelle manifeste

A. La primauté des constatations techniques de l’expertise

Le juge administratif fonde sa décision sur la précision du rapport d’expertise qui a recensé vingt-quatre questions posées au praticien lors de son audition. Ces interrogations portaient sur des domaines fondamentaux comme la radiologie, l’endodontie ou la gestion des patients à risques, révélant des lacunes théoriques et pratiques majeures. L’expertise a souligné une « connaissance insuffisante de l’intéressé à la fois des médicaments, des examens biologiques de base et des lésions les plus fréquentes ». Ces constatations factuelles permettent au juge d’écarter le grief tenant à l’imprécision du rapport, ce dernier identifiant clairement les manques du chirurgien-dentiste. Le rapport conclut que l’intéressé possède une « formation médicale et sans doute de clinique chirurgicale insuffisantes » qui présente un caractère dangereux pour la sécurité des patients. En validant ces conclusions, le juge des référés confirme que l’insuffisance professionnelle ne s’apprécie pas au regard du diplôme mais selon les compétences réelles constatées.

B. La régularité formelle de la motivation de la suspension

Le requérant critiquait la décision de la formation restreinte en soutenant que les experts n’avaient pas répondu à ses observations sur la pertinence des questions. Le Conseil d’État considère toutefois que l’absence de réponse spécifique à cette critique ne suffit pas à entacher la décision d’un défaut de motivation. La décision contestée repose sur des éléments de fait et de droit suffisamment explicites pour permettre au praticien de comprendre les griefs retenus contre lui. Le juge estime que l’administration ordinale n’est pas tenue de répondre à chaque argument de détail dès lors que l’essentiel de l’insuffisance est documenté. L’ordonnance souligne ainsi que le moyen tiré de l’irrégularité du rapport d’expertise ne présente pas, en l’état de l’instruction, un caractère sérieux. Cette rigueur dans l’examen de la légalité externe permet de sécuriser les procédures disciplinaires ou de suspension lorsque la sécurité publique est directement en jeu.

II. La validation de mesures de remédiation proportionnées à la dangerosité

A. L’exigence impérative d’une formation universitaire structurée

La décision ordinale impose au chirurgien-dentiste de suivre une formation de type universitaire d’une durée d’un an pour pallier ses insuffisances dans plusieurs disciplines. Le juge des référés valide cette exigence en relevant que le choix de l’intéressé pour une « multitude de formations mais brèves et incomplètes » était inadapté. L’autorité ordinale avait justement considéré que seule une « formation universitaire plus approfondie et structurée » permettrait d’acquérir les compétences nécessaires à une pratique sécurisée. Le requérant ne parvient pas à démontrer en quoi la formation suivie à Nice serait équivalente ou suffisante au regard des lacunes identifiées par les experts. La précision de l’injonction de formation, détaillant les matières à valider, répond aux exigences de motivation attendues pour une mesure restreignant la liberté d’exercice. Le juge confirme ainsi le pouvoir des instances ordinales d’orienter le parcours de remise à niveau des praticiens dont l’exercice est jugé dangereux.

B. La rigueur procédurale du rejet pour absence de doute sérieux

Le magistrat utilise les pouvoirs conférés par l’article L. 522-3 du code de justice administrative pour rejeter la requête sans instruction ni audience publique. Cette procédure simplifiée s’applique lorsque la demande est manifestement mal fondée ou qu’aucun moyen ne paraît propre à créer un doute sérieux sur la légalité. Le juge estime inutile de se prononcer sur la condition d’urgence, bien que le requérant invoquât la perte totale de ses revenus professionnels. L’absence de doute sérieux sur le fond de la décision administrative rend superflu l’examen des conséquences financières ou personnelles de la suspension. Cette solution illustre la priorité accordée à la protection de la santé publique sur les intérêts économiques individuels des membres des professions réglementées. L’ordonnance clôt ainsi le débat sur la suspension immédiate en confirmant la présomption de légalité qui s’attache à la décision du Conseil national de l’ordre.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture