Par une ordonnance en date du 14 avril 2025, le juge des référés du Conseil d’État a été saisi d’une demande de suspension de l’exécution d’un arrêté interministériel du 6 février 2025. Cet arrêté modifiait les modalités de prise en charge par l’assurance maladie de certains dispositifs médicaux, en l’occurrence des poussettes spécifiques, en limitant leur remboursement aux seules personnes de moins de seize ans. Une société spécialisée dans la fabrication de ces produits a introduit un référé-suspension sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, estimant que la condition d’urgence était remplie et qu’il existait un doute sérieux quant à la légalité de la décision.
En cours d’instance, par un nouvel arrêté en date du 31 mars 2025, les ministres compétents ont procédé à l’abrogation de la disposition litigieuse, supprimant la condition d’âge qui faisait l’objet du recours. L’administration en a conclu au non-lieu à statuer, ce que la société requérante a également admis, tout en maintenant sa demande de condamnation de l’État aux frais de justice. La question qui se posait dès lors au juge des référés n’était plus celle de la légalité de la restriction d’âge, mais celle des conséquences procédurales du retrait de l’acte administratif contesté en cours d’instance. Le juge des référés du Conseil d’État constate que la requête est devenue sans objet et qu’il n’y a donc pas lieu de statuer sur la demande de suspension, mais il condamne néanmoins l’État à verser une somme à la société requérante au titre des frais irrépétibles.
I. L’extinction de l’instance en référé provoquée par le retrait de l’acte contesté
Le juge des référés tire la conséquence logique de la disparition de l’objet du litige en cours d’instance (A), ce qui le conduit à prononcer un non-lieu à statuer (B).
A. La constatation du caractère sans objet de la requête
La procédure du référé-suspension vise, comme son nom l’indique, à obtenir la suspension de l’exécution d’une décision administrative dans l’attente de son jugement au fond. L’existence et le caractère exécutoire de cette décision constituent la matière même du litige soumis au juge. Or, en l’espèce, l’administration a fait le choix de rapporter la mesure contestée avant même que le juge des référés n’ait pu se prononcer. En supprimant les mots « de moins de 16 ans » de l’arrêté, les ministres ont fait disparaître la norme dont la suspension était demandée.
Le juge ne peut donc que constater cette situation nouvelle qui prive le recours de son utilité. Il énonce ainsi que « les conclusions de la société Innov’SA tendant à la suspension de ces dispositions sont devenues sans objet ». Cette perte d’objet est une cause classique d’extinction de l’instance, le juge ne pouvant plus statuer sur une demande qui n’a plus de raison d’être. La satisfaction obtenue par la partie requérante en dehors de toute intervention juridictionnelle rend inutile la poursuite de la procédure d’urgence engagée.
B. Le non-lieu à statuer comme conséquence nécessaire
Face à une requête devenue sans objet, le juge n’a d’autre choix que de clore la procédure sans examiner les arguments des parties. Il ne se prononce ni sur la condition d’urgence, ni sur l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de l’acte initialement contesté. Le prononcé d’un non-lieu à statuer est la traduction processuelle de cette impossibilité matérielle de juger. L’article 1er du dispositif de l’ordonnance est sans équivoque : « Il n’y a pas lieu de statuer sur la requête de la société Innov’SA ».
Cette solution, bien que procéduralement imparable, peut apparaître comme une stratégie de l’administration pour se soustraire à une censure juridictionnelle probable. En retirant un acte dont la légalité est fortement contestée, l’administration évite une décision de suspension qui aurait constitué un désaveu et aurait pu préfigurer une annulation contentieuse ultérieure. Le non-lieu à statuer fige ainsi le débat juridique sur le fond du droit et laisse la question de la légalité de l’acte initialement posée sans réponse.
II. L’indemnisation de la partie requérante, sanction implicite du bien-fondé de la démarche
Malgré le non-lieu à statuer, le juge des référés décide de condamner l’État à verser une somme au titre des frais de procédure (A), ce qui peut s’analyser comme la reconnaissance implicite que la requête n’était pas dépourvue de mérite (B).
A. La condamnation au titre des frais irrépétibles
L’article L. 761-1 du code de justice administrative permet au juge de condamner la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l’autre partie une somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans le cas d’un non-lieu à statuer, il n’y a, en principe, ni partie gagnante ni partie perdante. Toutefois, la jurisprudence a admis de longue date que le juge conserve la faculté d’apprécier la situation pour faire application de ces dispositions avec équité.
En l’espèce, le juge estime qu’« il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Innov’SA ». Cette formule montre que la décision n’est pas automatique et qu’elle repose sur une analyse concrète du dossier. Le juge considère que l’introduction de la requête a été rendue nécessaire par le comportement de l’administration et qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de la société requérante les frais qu’elle a dû engager pour défendre ses droits, alors même que l’administration lui a finalement donné raison en retirant l’acte.
B. La reconnaissance implicite du mérite de la requête
La décision de condamner l’État sur le fondement de l’article L. 761-1 revêt une portée qui dépasse la simple question financière. Elle peut être interprétée comme une appréciation implicite, par le juge des référés, du bien-fondé de la démarche contentieuse de la société. En effet, en accédant à la demande d’indemnisation, le juge reconnaît que la requête n’était ni abusive, ni manifestement vouée à l’échec. Au contraire, il suggère que l’action en justice était justifiée et que le retrait de l’acte par l’administration s’apparente à une reconnaissance de la fragilité de sa position juridique.
Cette ordonnance illustre ainsi le pouvoir modérateur du juge administratif qui, même lorsqu’il est privé de la possibilité de trancher le litige principal, peut utiliser les outils procéduraux à sa disposition pour adresser un signal à l’administration. La condamnation aux frais irrépétibles agit comme un rappel que le retrait d’un acte illégal en cours d’instance ne saurait exonérer l’administration de toute responsabilité pour avoir contraint un administré à engager une procédure contentieuse pour faire valoir ses droits.