Le 15 juillet 2025, le juge des référés du Conseil d’État précise l’étendue de ses pouvoirs lorsqu’une liberté fondamentale subit une atteinte grave et manifestement illégale. Un ressortissant étranger, résidant sur le territoire depuis son enfance et scolarisé avec succès, a fait l’objet d’une mesure d’éloignement exécutée de manière soudaine. L’intéressé a pourtant saisi la juridiction administrative d’un référé-liberté quelques minutes seulement avant son embarquement effectif vers son pays d’origine. Le tribunal administratif de Mayotte a, par une ordonnance du 12 juin 2025, suspendu l’arrêté litigieux mais a refusé d’ordonner le retour de l’étranger. Saisie en appel, la haute assemblée doit déterminer si l’exécution d’un éloignement dans ces conditions caractérise une violation manifeste du droit au recours. La décision affirme que l’administration avait connaissance de la saisine du juge avant l’embarquement définitif de l’intéressé à bord du navire. En conséquence, l’autorité publique se voit enjoindre d’organiser le retour du requérant afin de mettre un terme aux effets de l’illégalité constatée.
I. La caractérisation d’une double atteinte aux libertés fondamentales
A. La protection du droit au respect de la vie privée et familiale
L’ordonnance rappelle d’abord que le droit au respect de la vie privée et familiale constitue une liberté fondamentale protégée par les conventions internationales. Le requérant résidait sur le territoire depuis son jeune âge et y poursuivait une scolarité exemplaire au sein d’un établissement local. L’administration a néanmoins décidé son expulsion immédiate alors que l’ensemble de ses attaches familiales et sociales se trouvaient durablement établies en France. Le juge souligne que cette mesure porte « une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de sa vie privée et familiale ». La suspension de l’acte administratif s’impose ainsi pour protéger l’intégrité de la cellule familiale et le parcours d’intégration du jeune adulte.
B. La méconnaissance flagrante du droit au recours effectif
Le droit d’exercer un recours effectif devant une juridiction est une liberté fondamentale dont le respect conditionne l’exercice de tous les autres droits. Le code de l’entrée et du séjour des étrangers interdit l’éloignement effectif tant que le juge des référés n’a pas statué sur la demande. En l’espèce, le greffe du tribunal a transmis une demande de « mise en attente TA » aux services administratifs peu avant l’embarquement. L’administration a pourtant poursuivi l’exécution de la mesure sans tenir compte de cette information capitale transmise par la voie électronique. Le juge considère que ce comportement constitue « une atteinte grave et manifestement illégale au droit à un recours effectif » en raison de la précipitation administrative.
II. L’ordonnance de mesures nécessaires à la sauvegarde des libertés
A. L’injonction d’organiser le retour sur le territoire
Le juge des référés dispose du pouvoir de « prendre, en cas d’urgence, toutes les mesures qui sont de nature à remédier à bref délai ». L’exécution matérielle d’une mesure d’éloignement ne saurait priver d’objet la procédure destinée à protéger les libertés fondamentales du justiciable. Le Conseil d’État affirme sa compétence pour ordonner le retour du requérant lorsque l’illégalité commise par l’autorité publique est particulièrement manifeste. Cette solution garantit que l’administration ne puisse pas s’affranchir du contrôle juridictionnel en créant une situation de fait irréversible avant l’audience. L’injonction de retour devient alors le seul moyen efficace pour rétablir la légalité républicaine et protéger les droits du requérant lésé.
B. La prise en compte de l’urgence particulière du requérant
La décision se fonde sur les « circonstances très particulières de l’espèce » pour justifier une injonction aussi contraignante envers la puissance publique. Le requérant subit une situation d’isolement total dans son pays d’origine alors qu’il doit impérativement rejoindre son établissement scolaire pour la rentrée. L’impossibilité de revenir par ses propres moyens justifie que l’État prenne en charge les frais et l’organisation matérielle de son voyage retour. Le juge refuse toutefois d’assortir son injonction d’une astreinte car l’obligation de faire est déjà suffisamment précise et impérative pour l’administration. Cette mesure exceptionnelle restaure la situation du requérant dans l’attente d’un jugement définitif sur le bien-fondé de son droit au séjour.