Par une ordonnance rendue le 17 février 2025, le Conseil d’État précise les conditions d’engagement de la responsabilité de l’État en matière d’hébergement d’urgence. Un ressortissant syrien, titulaire d’un titre de séjour, a sollicité avec sa compagne le bénéfice d’une structure d’accueil pour leur famille de trois enfants. Ces derniers, âgés de cinq à huit ans, se trouvaient dépourvus de solution de logement stable après avoir épuisé les solidarités privées disponibles.
Le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur demande par une ordonnance du 27 janvier 2025 en invoquant la saturation locale. Les requérants ont alors interjeté appel devant la haute juridiction administrative en invoquant l’urgence de leur situation familiale et l’état de grossesse de la mère. Le litige porte sur la qualification de la carence de l’administration lorsque les capacités d’accueil départementales sont épuisées malgré l’existence d’une liberté fondamentale.
Le Conseil d’État rejette la requête en considérant que l’administration n’a pas commis de carence caractérisée au regard des moyens limités dont elle dispose actuellement. Cette décision confirme la jurisprudence classique tout en ouvrant une voie procédurale spécifique pour la protection des femmes enceintes sans domicile fixe.
I. L’appréciation circonstanciée de la carence administrative dans l’accès à l’hébergement
A. Le cadre juridique de la liberté fondamentale à l’hébergement d’urgence
Le juge rappelle que le droit à l’hébergement d’urgence est une liberté fondamentale dont la méconnaissance peut justifier une intervention en référé-liberté. Les autorités publiques doivent assurer un accueil aux personnes sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale, conformément au code de l’action sociale. Une « carence caractérisée dans l’accomplissement de cette mission » constitue une atteinte grave et manifestement illégale lorsque les conséquences pour l’intéressé s’avèrent particulièrement alarmantes.
Le Conseil d’État souligne que cette obligation de résultat s’apprécie toutefois au regard des diligences accomplies par l’État et des priorités sociales établies. L’examen du juge des référés nécessite une confrontation systématique entre les besoins individuels des demandeurs et les capacités réelles de prise en charge collective. Cette approche pragmatique limite la portée absolue du droit à l’hébergement en le soumettant aux contraintes matérielles rencontrées par les représentants de l’État.
B. La prise en compte impérative de la saturation des dispositifs publics
L’ordonnance du 17 février 2025 valide le constat de saturation extrême du dispositif d’accueil constaté dans le département de la Haute-Garonne. L’instruction révèle que de nombreux enfants en bas âge, dont certains sont nouveau-nés, n’ont pu bénéficier d’une prise en charge durant la période litigieuse. Le juge considère alors que l’administration ne peut se voir reprocher une inaction illégale lorsqu’elle fait face à une impossibilité matérielle manifeste d’accueil.
La décision précise qu’il incombe au juge d’apprécier la situation « en tenant compte des moyens dont l’administration dispose » pour répondre aux sollicitations urgentes des administrés. L’absence de création immédiate de nouvelles places ne suffit pas à caractériser une faute lourde si l’autorité préfectorale démontre l’engorgement total des structures. Le principe de réalité s’impose ainsi au juge des référés, lequel ne peut ordonner une mesure que l’administration est physiquement incapable d’exécuter.
II. La mise en œuvre d’un contrôle juridictionnel restreint par la rareté des ressources
A. Une hiérarchisation des situations individuelles excluant toute automaticité de l’injonction
Le Conseil d’État estime que la situation des requérants ne présente pas de circonstances exceptionnelles leur conférant une priorité absolue sur les autres familles en attente. Bien que les enfants soient jeunes, leur âge ne les place pas dans une vulnérabilité supérieure à celle des nourrissons déjà identifiés par l’administration. L’absence de problème de santé spécifique ou de détresse particulière empêche de caractériser une urgence de nature à évincer les priorités établies par le service social.
La juridiction administrative refuse ainsi d’automatiser l’injonction d’hébergement au seul motif de la présence d’enfants mineurs au sein d’une cellule familiale en grande précarité. Elle exige la démonstration d’un critère de priorité distinctif pour ordonner une mesure de sauvegarde au détriment d’autres personnes se trouvant dans une situation similaire. Cette rigueur dans l’examen des faits permet de maintenir une certaine équité dans la gestion d’un service public structurellement sous-dimensionné par rapport aux besoins.
B. La réorientation procédurale vers les compétences sociales du département
Le juge traite enfin l’argument nouveau relatif à la grossesse de la compagne du requérant, révélé par une échographie postérieure à la première instance. Il invite les intéressés à saisir de nouveau le tribunal administratif de Toulouse en mettant en cause les services du conseil départemental. En effet, l’aide sociale à l’enfance prévoit une prise en charge spécifique pour les femmes enceintes isolées ou en difficulté nécessitant un soutien matériel.
Cette indication procédurale souligne la répartition des compétences entre l’État, chargé de l’hébergement d’urgence, et le département, responsable de la protection de la maternité. L’ordonnance du 17 février 2025 ne tranche pas ce point de droit mais oriente les requérants vers une base légale potentiellement plus efficace. Le juge des référés adapte ainsi son office pour offrir une perspective de solution malgré le rejet de la demande principale formulée contre le préfet.