Par une ordonnance du 18 août 2025, le juge des référés du Conseil d’État s’est prononcé sur la recevabilité d’une requête en référé mesures utiles. En l’espèce, des particuliers faisaient l’objet d’une saisie administrative sur leurs allocations de chômage, diligentée par les services fiscaux pour le recouvrement d’une créance. Ces personnes, ayant par ailleurs déposé un dossier de surendettement, estimaient que la procédure de recouvrement forcé devait être interrompue. Saisissant directement le juge des référés du Conseil d’État sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, ils demandaient la suspension des mesures de saisie engagées par l’administration fiscale locale. Il revenait donc au juge de déterminer si le Conseil d’État était compétent pour connaître en premier ressort d’une telle demande de mesures provisoires dirigée contre l’action d’un service local de l’État. Le juge des référés rejette la requête pour incompétence manifeste, affirmant qu’« il n’appartient pas au Conseil d’Etat de connaître d’une telle demande ». La solution rappelle ainsi avec force les règles fondamentales de la compétence contentieuse au sein de l’ordre administratif.
La décision se fonde sur une application rigoureuse des règles de compétence d’attribution (I), ce qui justifie le recours à une procédure de rejet simplifié (II).
I. Le rejet inévitable d’une requête mal orientée
Le juge des référés oppose une fin de non-recevoir à la demande des requérants en raison d’une double erreur d’aiguillage. La saisine du Conseil d’État était manifestement inappropriée (A), car elle méconnaissait la compétence de principe du tribunal administratif (B).
A. La vaine invocation du référé mesures utiles devant la Haute Juridiction
Les requérants ont tenté d’obtenir une protection juridictionnelle rapide en se fondant sur les dispositions de l’article L. 521-3 du code de justice administrative. Cette procédure permet au juge des référés, en cas d’urgence, d’ordonner toute mesure utile qui ne se heurte à aucune contestation sérieuse et ne fait pas obstacle à l’exécution d’une décision administrative. Les demandeurs espéraient ainsi obtenir une suspension des poursuites, le temps que leur situation de surendettement soit examinée. Toutefois, l’exercice d’une telle action en référé est subordonné au respect des règles de compétence de la juridiction saisie. Or, en s’adressant directement au Conseil d’État pour contester l’action d’un service fiscal local, les requérants ont ignoré la répartition des compétences au sein de l’ordre administratif. Le choix de la juridiction ne saurait être dicté par la seule urgence ressentie par le justiciable.
B. La compétence exclusive du juge administratif de premier ressort
Le litige portait sur des actes de poursuite émanant d’un service déconcentré de l’administration des finances publiques. Sauf disposition contraire, le contentieux des décisions prises par les autorités locales et les services déconcentrés de l’État relève de la compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel l’autorité a son siège. Le Conseil d’État n’est compétent en premier et dernier ressort que pour un nombre limité de contentieux, énumérés notamment à l’article R. 311-1 du code de justice administrative, qui concernent principalement les actes réglementaires des ministres ou les décisions de portée nationale. La demande des requérants, visant l’action d’un service local, n’entrait manifestement dans aucune de ces catégories. Le juge des référés du Conseil d’État ne pouvait donc que constater son incompétence matérielle pour statuer sur une telle requête.
II. Une ordonnance à la portée pédagogique
Au-delà de la solution d’espèce, l’ordonnance illustre l’économie procédurale des référés (A) tout en réaffirmant un principe cardinal de l’organisation juridictionnelle (B).
A. L’application de la procédure de rejet sans instruction
La décision est rendue sur le fondement de l’article L. 522-3 du code de justice administrative, qui autorise le juge des référés à rejeter une requête par une ordonnance motivée, sans instruction ni audience. Ce mécanisme procédural est réservé aux cas où la demande est manifestement irrecevable, mal fondée, ou lorsque la condition d’urgence n’est pas remplie. En l’espèce, l’incompétence du Conseil d’État était si évidente qu’elle justifiait ce traitement simplifié. Le juge constate qu’« il est manifeste que la requête (…) ne peut être accueillie ». Cette procédure permet de purger rapidement le prétoire des requêtes vouées à l’échec et de garantir une bonne administration de la justice en concentrant les efforts sur les affaires qui le méritent. Elle témoigne de la volonté du législateur d’allier célérité et efficacité dans le traitement du contentieux de l’urgence.
B. La réaffirmation du principe du juge naturel du litige administratif
En se déclarant incompétent, le juge des référés rappelle implicitement aux justiciables l’importance de saisir le juge naturel du litige, c’est-à-dire le tribunal administratif territorialement compétent. Cette organisation garantit une justice de proximité et respecte le principe du double degré de juridiction, qui permet un réexamen de l’affaire en appel. Saisir directement la juridiction suprême pour un litige qui ne relève pas de sa compétence en premier ressort constitue un contournement des règles procédurales qui ne peut être admis. Cette ordonnance, bien que concise, revêt ainsi une fonction pédagogique en soulignant que l’accès au juge, même dans l’urgence, doit s’exercer dans le respect des règles fondamentales qui structurent l’ordre juridictionnel administratif. Elle rappelle que la hiérarchie des normes s’accompagne d’une hiérarchie des cours et tribunaux.