Juge des référés du Conseil d’État, le 18 avril 2025, n°503447

Par une ordonnance du 18 avril 2025, le juge des référés du Conseil d’État a été amené à se prononcer sur les conditions de mise en œuvre de la procédure de référé-suspension. En l’espèce, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique avait classé un commentateur médiatique comme une personnalité politique, impliquant le décompte de son temps de parole. L’intéressé a saisi le juge des référés d’une demande de suspension de l’exécution de cette décision, estimant qu’elle portait une atteinte grave et immédiate à sa situation.

Le requérant soutenait que la condition d’urgence était remplie, arguant des conséquences de cette classification sur son activité professionnelle. Il invoquait le report de la publication d’un de ses ouvrages et une diminution de ses revenus de consultant, lesquels étaient nécessaires à la subsistance de sa famille. Il soulevait également l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de la décision de l’autorité administrative, arguant notamment d’une violation de la liberté d’expression et de l’inconstitutionnalité de la loi servant de fondement à la mesure.

La question de droit soumise au juge des référés consistait donc à déterminer si les préjudices allégués par le requérant, à savoir le report d’une publication et une perte de revenus non précisément quantifiée, étaient de nature à caractériser une situation d’urgence justifiant la suspension de la décision administrative contestée.

Le Conseil d’État rejette la requête au motif que la condition d’urgence n’est pas remplie. Le juge constate que la décision de l’autorité de régulation n’interdit pas en elle-même l’accès du requérant aux médias et que celui-ci n’apporte pas la preuve d’une atteinte grave et immédiate à sa situation financière. Par conséquent, il écarte la demande sans examiner les moyens relatifs au doute sérieux quant à la légalité de l’acte.

Cette décision illustre l’application rigoureuse de la condition d’urgence, qui constitue un préalable incontournable à la suspension d’un acte administratif (I). Elle révèle également la portée d’une telle ordonnance, dont la solution, dictée par les circonstances de l’espèce, laisse entières les questions de fond soulevées par le requérant (II).

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I. L’application rigoureuse de la condition d’urgence, critère dirimant du référé-suspension

Le juge des référés fonde sa décision sur une appréciation stricte de l’urgence, rappelant ainsi le caractère essentiel de cette condition (A) avant de conclure à son absence en l’espèce, faute de justifications suffisantes de la part du requérant (B).

A. Le contrôle classique de l’atteinte grave et immédiate à la situation du requérant

L’ordonnance rappelle avec clarté les principes gouvernant l’appréciation de l’urgence en matière de référé-suspension. Le juge cite l’article L. 521-1 du code de justice administrative et sa propre jurisprudence constante, selon laquelle « L’urgence justifie la suspension de l’exécution d’un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre ». Cette approche exige une analyse concrète et objective des effets de la décision administrative à la date où le juge se prononce. L’exigence d’une atteinte à la fois grave et immédiate constitue une double condition cumulative, dont l’appréciation relève du pouvoir souverain du juge des référés.

En l’espèce, le juge procède à un examen factuel des arguments présentés. Il ne se contente pas des allégations du requérant mais recherche des éléments tangibles permettant de matérialiser le préjudice. Le raisonnement suivi est classique : il confronte les affirmations du demandeur avec les pièces du dossier pour évaluer si la situation décrite atteint le seuil de gravité requis. Cette méthode pragmatique permet au juge d’exercer un filtre efficace sur les demandes de suspension, en s’assurant que seules les situations présentant un véritable caractère d’urgence justifient une intervention rapide, avant même le jugement au fond de l’affaire.

B. Le rejet des moyens fondé sur l’insuffisance des justifications produites

Appliquant ces principes au cas d’espèce, le juge des référés écarte l’existence d’une situation d’urgence. Il relève que les affirmations du requérant ne sont pas suffisamment étayées pour démontrer la réalité de l’atteinte grave et immédiate qu’il invoque. D’une part, concernant la limitation de ses interventions médiatiques, le juge observe que « les décisions de l’Arcom le concernant ne lui interdisent pas, par elles-mêmes, l’accès aux plateaux des chaînes de télévision, qui n’ont au demeurant pas cessé de l’inviter ». Cette constatation factuelle, tirée des propres pièces du requérant, vide de sa substance l’argument d’une mise à l’écart professionnelle.

D’autre part, s’agissant du préjudice financier, le juge souligne que « En l’absence d’aucun élément sur sa situation financière personnelle, M. A… ne démontre pas davantage que la perte de revenus alléguée serait telle qu’elle porterait une atteinte grave et immédiate à cette situation ». Ce faisant, il met en évidence une carence probatoire de la part du demandeur. La simple allégation d’une perte de revenus, sans documents comptables ou fiscaux à l’appui, ne suffit pas à convaincre le juge de la gravité de la situation. Le rejet pour défaut d’urgence apparaît ainsi comme la sanction du manque de consistance des justifications apportées par le requérant.

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II. La portée d’une décision centrée sur l’office du juge du référé

En se fondant exclusivement sur l’absence d’urgence, le juge des référés fait prévaloir ce critère sur l’examen des questions de fond (A), ce qui confère à son ordonnance le caractère d’une décision d’espèce dont la portée juridique demeure limitée (B).

A. La primauté de l’urgence sur l’analyse du doute sérieux

La conséquence majeure de cette ordonnance est de rendre inopérant l’examen des autres moyens soulevés par le requérant. En vertu de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, les conditions d’urgence et de doute sérieux sont cumulatives. L’absence de l’une suffit à entraîner le rejet de la requête. Le juge applique ici cette logique de manière implacable, précisant qu’il n’y a pas lieu « de se prononcer sur le renvoi au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée ni sur l’existence d’un moyen propre à créer un doute sérieux sur la légalité des décisions contestées ».

Cette approche témoigne d’un souci d’économie procédurale. Le juge, par le biais de la procédure de tri de l’article L. 522-3 du code de justice administrative, s’abstient de prendre position sur des questions potentiellement complexes et sensibles, telles que la qualification de « personnalité politique », la conciliation entre le pluralisme des médias et la liberté d’expression, ou encore la constitutionnalité de la loi. La condition d’urgence fonctionne ici comme un verrou procédural qui empêche le débat de s’engager sur le fond du droit. La solution est juridiquement rigoureuse, mais elle laisse le requérant sans réponse sur la légalité de la décision qu’il conteste.

B. Une solution d’espèce réaffirmant l’exigence de preuve

En définitive, la décision commentée apparaît comme une décision d’espèce, sa solution étant intimement liée à l’insuffisance des preuves apportées par le requérant. Elle ne constitue pas un revirement de jurisprudence ni ne fixe une nouvelle doctrine sur l’appréciation de l’urgence. Au contraire, elle se borne à réaffirmer une exigence bien établie : la charge de la preuve de l’urgence pèse sur le demandeur. Un autre requérant, dans une situation similaire mais capable de produire des éléments chiffrés démontrant un effondrement de ses revenus ou des attestations de refus de la part des médias, aurait pu obtenir une issue différente.

La portée de cette ordonnance est donc avant tout pédagogique. Elle rappelle aux justiciables et à leurs conseils que la saisine du juge des référés-suspension ne saurait prospérer sans un dossier solide et documenté sur la condition d’urgence. Le caractère grave et immédiat de l’atteinte ne se présume pas, il doit être démontré de manière concrète et convaincante. L’ordonnance ne tranche donc pas le débat sur la régularité de la classification des personnalités politiques par l’autorité de régulation, mais elle confirme la rigueur avec laquelle le juge administratif entend encadrer le recours à une procédure d’urgence par nature exceptionnelle.

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