Par une ordonnance du 18 juin 2025, le juge des référés du Conseil d’État a rejeté la requête d’un individu se déclarant mineur non accompagné et sollicitant une protection au titre de l’aide sociale à l’enfance. En l’espèce, une personne de nationalité étrangère, après une première demande d’asile dans un autre État membre de l’Union européenne, était entrée sur le territoire français. Une évaluation administrative menée par les services d’une collectivité locale n’avait pas permis d’établir sa minorité, conduisant une autre autorité départementale à refuser de lui accorder un accueil provisoire. L’intéressé a alors saisi le juge des référés du tribunal administratif sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, afin d’enjoindre au département de le prendre en charge dans l’attente d’une décision du juge des enfants, qu’il avait également saisi. Le juge de première instance a rejeté sa demande, estimant que la condition d’urgence particulière n’était pas satisfaite, dès lors que le demandeur était hébergé dans un centre pour demandeurs d’asile et n’établissait pas qu’il risquait de perdre cet hébergement à brève échéance. Le requérant a interjeté appel de cette ordonnance devant le Conseil d’État, arguant de sa particulière vulnérabilité et du caractère inadapté de son logement.
Le problème de droit posé à la haute juridiction administrative consistait donc à déterminer si la condition d’urgence particulière, requise pour la mise en œuvre du référé-liberté, pouvait être considérée comme remplie pour une personne se déclarant mineure mais dont l’âge est contesté, alors même que cette dernière bénéficie d’une solution d’hébergement stable. Le juge des référés du Conseil d’État a répondu par la négative, confirmant l’appréciation du premier juge. Il a jugé que le requérant n’apportait aucun élément nouveau de nature à remettre en cause l’analyse factuelle selon laquelle il ne démontrait pas que son hébergement « pourrait avoir vocation à prendre fin à brève échéance ». Par conséquent, la condition d’urgence n’étant manifestement pas remplie, la requête devait être rejetée. Cette décision illustre une conception stricte de l’office du juge du référé-liberté, fondée sur une appréciation souveraine de la situation matérielle de l’intéressé (I), ce qui conduit à circonscrire son intervention face aux dispositifs de droit commun en matière de protection de l’enfance (II).
I. Une appréciation rigoureuse de la condition d’urgence
La solution retenue par le juge des référés du Conseil d’État repose sur une analyse pragmatique de la situation concrète du requérant, privilégiant l’existence d’une prise en charge matérielle (A) sur les autres facteurs de vulnérabilité invoqués (B).
A. La prééminence de la situation matérielle dans l’évaluation de l’urgence
Le raisonnement du juge se concentre sur un élément factuel déterminant : l’existence d’une solution d’hébergement effective pour le requérant. L’ordonnance relève en effet que l’intéressé « était hébergé au sein du programme d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile (PRAHDA) de Pau ». Cette constatation matérielle suffit à écarter l’existence d’une situation d’urgence extrême justifiant une intervention dans le très bref délai caractéristique de la procédure de référé-liberté. Le juge ne s’attache pas à l’adéquation de cet hébergement avec la condition de minorité alléguée, mais uniquement à sa réalité et à sa pérennité à court terme.
En soulignant que le requérant « ne faisait pas état de circonstances tendant à démontrer que cet hébergement pourrait cesser dans un bref délai », le Conseil d’État confirme que la charge de la preuve pèse entièrement sur le demandeur. Ce dernier doit établir non seulement sa précarité, mais aussi l’imminence d’une aggravation de sa situation qui nécessiterait une mesure de sauvegarde immédiate. La simple allégation d’une vulnérabilité ou le caractère inadapté du logement ne sauraient suffire à caractériser l’urgence au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, qui suppose un péril grave et immédiat pour la liberté fondamentale invoquée.
B. La neutralisation des autres facteurs de vulnérabilité
Face à cette analyse centrée sur la seule prise en charge matérielle, les autres arguments soulevés par le requérant sont considérés comme inopérants pour satisfaire à la condition d’urgence. L’ordonnance écarte implicitement la vulnérabilité intrinsèque liée à l’âge allégué, à l’isolement et au parcours migratoire. Le premier juge avait d’ailleurs relevé que l’intéressé « ne faisait état d’aucun facteur de vulnérabilité en dehors de sa minorité alléguée ». Cette approche, validée en appel, démontre que la procédure de référé-liberté n’est pas conçue pour répondre à une situation de vulnérabilité générale, mais pour parer à une menace circonstanciée et imminente.
L’atteinte à une liberté fondamentale, pour être grave et manifestement illégale, doit ici se doubler d’une situation de détresse matérielle absolue et immédiate, que l’existence d’un hébergement suffit à écarter. La décision subordonne ainsi l’intervention du juge de l’urgence à une carence totale des pouvoirs publics dans leur mission d’assistance. Dès lors qu’une prise en charge, même imparfaite au regard des prétentions du requérant, est assurée, la voie du référé-liberté se trouve fermée, renvoyant l’examen de la situation à d’autres instances.
II. Une intervention circonscrite face aux dispositifs de droit commun
Cette interprétation stricte de la condition d’urgence a pour corollaire de préserver la compétence des autorités normalement en charge de la situation des mineurs non accompagnés. Le juge du référé-liberté refuse ainsi de se substituer aux autorités d’évaluation de la minorité (A) et renvoie le litige vers les procédures judiciaires appropriées (B).
A. Le refus de préjuger de l’appréciation de la minorité
En se fondant exclusivement sur la condition d’urgence, le juge des référés évite de se prononcer sur le fond du litige, à savoir la qualité de mineur du requérant. L’ordonnance prend soin de mentionner que l’évaluation initiale n’avait « pas permis de conclure à sa minorité » et que le refus de prise en charge par le département était motivé par le fait que « sa minorité n’était pas établie ». Le juge administratif de l’urgence ne s’érige pas en arbitre de cette controverse, qui relève au premier chef de l’appréciation des services départementaux, sous le contrôle ultérieur du juge judiciaire.
Cette retenue est conforme à l’office du juge du référé-liberté, qui ne doit ordonner que des mesures provisoires et nécessaires, sans trancher le principal. En statuant de la sorte, le Conseil d’État réaffirme que la procédure de l’article L. 521-2 ne peut être utilisée comme une voie détournée pour obtenir une reconnaissance, même provisoire, de la minorité. L’incertitude pesant sur l’âge du demandeur devient un obstacle indirect à sa requête, en ce qu’elle affaiblit la caractérisation d’une atteinte manifestement illégale à l’intérêt supérieur de l’enfant.
B. La confirmation du caractère subsidiaire du référé-liberté
La décision commentée s’inscrit dans une logique de subsidiarité des procédures d’urgence par rapport aux voies de droit commun. Il est rappelé que le requérant avait déjà saisi le juge des enfants « afin de solliciter une mesure d’assistance éducative sur le fondement de l’article 375 du code civil ». L’existence de cette procédure devant l’autorité judiciaire, seule compétente pour statuer sur le fond de la demande de protection, conforte le juge administratif dans sa décision de ne pas intervenir en urgence. Le référé-liberté n’a pas vocation à se substituer aux mécanismes légaux spécifiquement prévus pour la protection de l’enfance en danger.
En rejetant la demande, le Conseil d’État garantit l’articulation des compétences entre les ordres de juridiction administratif et judiciaire. Il réserve l’usage de la procédure de référé-liberté aux seules situations où aucune autre solution, qu’elle soit administrative ou judiciaire, n’est en mesure d’apporter une réponse effective à une situation de péril imminent. La protection des personnes se présentant comme des mineurs isolés relève ainsi d’un dispositif complexe, au sein duquel l’intervention du juge administratif de l’urgence demeure exceptionnelle et strictement conditionnée.