Par une ordonnance du 18 mars 2025, le juge des référés du Conseil d’État a été amené à se prononcer sur les conditions de recevabilité d’une demande de suspension d’une décision administrative. En l’espèce, une candidate s’est vu refuser par le garde des sceaux, ministre de la justice, l’autorisation de participer aux épreuves d’un concours professionnel pour l’accès à la magistrature. La date des épreuves approchant à grands pas, la candidate a saisi le juge des référés du Conseil d’État sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative. Elle demandait la suspension de cette décision de refus et sollicitait qu’il soit enjoint au ministre de réexaminer son dossier en urgence. La requérante soutenait que la condition d’urgence était remplie et qu’il existait un doute sérieux quant à la légalité de la décision, arguant d’un défaut de motivation, d’une rupture d’égalité avec d’autres candidats et d’une prise en compte insuffisante de son dossier. Face à cette requête, le juge des référés a examiné d’office la recevabilité de la demande. Se posait alors la question de savoir si une requête en référé-suspension peut être accueillie lorsque le requérant n’a pas parallèlement introduit un recours visant à l’annulation de la décision contestée. Le Conseil d’État a répondu par la négative, jugeant que « En l’absence de recours au fond, la présente requête en référé suspension (…) est manifestement irrecevable ». Par conséquent, la requête a été rejetée sans même que le juge n’examine les arguments relatifs à l’urgence ou au doute sérieux sur la légalité de l’acte.
La solution rappelle avec fermeté que la procédure du référé-suspension est indissociable de l’existence d’une action principale, soulignant ainsi la nature purement accessoire de cette voie de recours (I). Cette application rigoureuse des textes, si elle peut paraître sévère pour la requérante, se justifie par la logique même des procédures d’urgence et revêt une portée pédagogique certaine quant au bon usage du contentieux administratif (II).
I. Le rappel de l’exigence indéfectible d’un recours accessoire
L’ordonnance commentée illustre sans détour le caractère instrumental du référé-suspension, lequel ne peut exister indépendamment d’une action au fond (A). Cette absence entraîne une sanction procédurale radicale, à savoir une irrecevabilité manifeste que le juge des référés peut relever d’office (B).
A. La nature instrumentale du référé-suspension
Le référé-suspension, régi par l’article L. 521-1 du code de justice administrative, n’est pas une action autonome mais une mesure provisoire dont l’unique objet est de paralyser les effets d’une décision administrative dans l’attente d’un jugement sur sa légalité. Le texte même de l’article dispose que cette procédure est ouverte « quand une décision administrative (…) fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation ». La conjonction de ces deux actions, l’une au provisoire et l’autre au fond, est donc une condition *sine qua non* de la recevabilité de la demande de suspension. En l’espèce, le juge constate que si la requérante a bien saisi le juge des référés, elle a omis d’introduire devant la même juridiction une requête distincte en annulation pour excès de pouvoir, méconnaissant ainsi le lien de dépendance nécessaire entre les deux instances. Le référé-suspension n’a pas vocation à offrir une solution définitive au litige mais seulement à préserver les intérêts du requérant le temps que le juge du fond se prononce.
B. L’irrecevabilité manifeste sanctionnée par le juge
Face à une telle omission, la réponse du juge des référés est sans équivoque et s’appuie sur l’article L. 522-3 du code de justice administrative. Cette disposition lui confère le pouvoir de rejeter par une ordonnance, sans instruction contradictoire ni audience, les requêtes qui apparaissent manifestement mal fondées ou irrecevables. Le caractère manifeste de l’irrecevabilité ne laissait ici place à aucune discussion. Le fait pour la requérante de n’avoir pas formé de recours pour excès de pouvoir constitue un vice de procédure qui rend sa demande de suspension intrinsèquement viciée. Le juge n’avait d’autre choix que de constater que les conditions légales n’étaient pas remplies, sans avoir à se pencher sur le bien-fondé des moyens relatifs à l’urgence ou au doute sérieux, qui deviennent par conséquent inopérants. La décision met ainsi en lumière le rôle de filtre joué par cette procédure de rejet simplifié, destinée à écarter rapidement les requêtes vouées à l’échec.
II. La justification et la portée de la rigueur procédurale
Cette application stricte des règles de procédure, loin d’être un formalisme excessif, répond à une logique de bonne administration de la justice (A). La décision possède en outre une portée pédagogique significative en ce qu’elle rappelle aux justiciables l’importance de la stratégie contentieuse (B).
A. La justification de l’exigence procédurale
L’obligation de lier le référé-suspension à un recours au fond a pour principale justification d’assurer que la mesure provisoire accordée ne soit que l’antichambre d’un règlement définitif du litige. Permettre une suspension sans recours en annulation reviendrait à créer une situation d’incertitude juridique durable, où une décision administrative serait paralysée sans qu’un juge ne soit jamais appelé à statuer sur sa validité. Cette exigence prévient les recours dilatoires ou les manœuvres visant uniquement à obtenir une suspension sans réelle intention de contester la légalité de l’acte. Elle garantit que le juge des référés, juge de l’urgence et de l’évidence, n’empiète pas sur les prérogatives du juge du fond, seul compétent pour trancher définitivement le litige. La cohérence du système juridictionnel impose donc que le provisoire reste au service du principal.
B. La portée pédagogique de la solution pour le justiciable
La présente ordonnance, bien qu’il s’agisse d’une décision d’espèce par ses faits, revêt une portée générale en ce qu’elle réaffirme un principe fondamental de la procédure administrative. Pour la requérante, la conséquence est sévère, puisqu’elle se trouve privée d’une voie de recours qui aurait pu lui permettre de participer au concours. L’imminence des épreuves et le bien-fondé potentiel de ses arguments sur le fond deviennent sans objet face à l’erreur procédurale. La solution constitue un rappel vigoureux que la maîtrise des règles du contentieux est aussi cruciale que la solidité de l’argumentation juridique. Elle souligne que le droit au recours s’exerce dans un cadre formel précis, dont l’inobservation peut entraîner des conséquences irréversibles. En ce sens, la décision sert de guide pour les futurs requérants, les incitant à une vigilance accrue dans l’articulation de leurs différentes actions en justice.