Par une ordonnance du 19 février 2025, le juge des référés du Conseil d’État a été amené à se prononcer sur les conditions de mise en œuvre de la procédure du référé-liberté. En l’espèce, un individu reconnu réfugié et titulaire d’une carte de résident a fait l’objet d’une décision préfectorale de retrait de ce titre de séjour, lequel devait être remplacé par une autorisation provisoire de séjour. Craignant pour la stabilité de sa situation professionnelle, l’intéressé a saisi en urgence le juge des référés du tribunal administratif de Nice afin d’obtenir la suspension de cette décision. Sa demande ayant été rejetée par une ordonnance du 31 janvier 2025, le requérant a interjeté appel devant le juge des référés du Conseil d’État. Il soutenait que la condition d’urgence était satisfaite en raison de la précarisation de son emploi et qu’une atteinte grave et manifestement illégale était portée à son droit d’asile, arguant que le statut de réfugié ouvrait nécessairement droit à une carte de résident. Le problème de droit soulevé concernait donc le point de savoir si le remplacement de la carte de résident d’un réfugié par une autorisation provisoire de séjour, sans remettre en cause dans l’immédiat son droit de séjourner et de travailler, caractérise une situation d’urgence justifiant l’intervention du juge du référé-liberté. Le Conseil d’État rejette la requête, estimant que la condition d’urgence n’est pas remplie au motif que « le retrait de sa carte de résident ne remet en cause, en l’état de l’instruction, ni son droit à séjourner en France, ni son droit à y travailler, le requérant n’est pas fondé à soutenir que ce retrait préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à sa situation ».
L’ordonnance illustre une application rigoureuse de la condition d’urgence, laquelle conditionne l’intervention du juge du référé-liberté (I), ce qui conduit à une neutralisation de l’examen au fond de l’atteinte potentielle à une liberté fondamentale (II).
I. Une application rigoureuse de la condition d’urgence
Le juge des référés du Conseil d’État fonde sa décision sur une appréciation stricte de la condition d’urgence (A), ce qui a pour effet de rendre inopérant l’examen de la légalité de l’acte administratif contesté (B).
A. L’appréciation concrète du préjudice à la situation du requérant
Le juge du référé-liberté, pour évaluer l’urgence, se livre à une analyse concrète et immédiate des effets de la décision administrative sur la situation du requérant. Il ne se contente pas de la seule allégation d’un préjudice, mais en vérifie la matérialité et l’imminence. En l’espèce, le requérant mettait en avant la précarisation de son contrat de travail du fait du passage d’une carte de résident à une simple autorisation provisoire de séjour. Or, le juge relève que l’intéressé ne démontre pas que ce nouveau titre ne l’autoriserait pas à poursuivre son activité professionnelle.
Cette approche pragmatique s’inscrit dans une jurisprudence constante qui exige que le préjudice soit suffisamment grave et immédiat. La simple modification du titre de séjour, même si elle substitue un titre précaire à un titre plus stable, n’est pas jugée en soi constitutive d’une urgence dès lors que les droits essentiels, notamment celui de travailler, sont maintenus. Le juge se concentre sur les conséquences factuelles de la décision à très court terme, et non sur l’insécurité juridique qu’elle peut engendrer à plus long terme pour l’administré. La charge de la preuve de l’urgence pèse donc entièrement sur le requérant.
B. Une condition d’urgence faisant obstacle à l’examen de l’atteinte à la liberté fondamentale
L’article L. 521-2 du code de justice administrative pose des conditions cumulatives pour l’intervention du juge. L’absence de l’une d’entre elles suffit à justifier le rejet de la requête, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres. En déclarant la condition d’urgence non satisfaite, le juge des référés du Conseil d’État se dispense d’analyser l’argumentation du requérant relative à l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale à son droit d’asile.
Cette méthode permet au juge de faire un tri efficace des requêtes et de ne statuer que sur les cas où une intervention est impérieuse et immédiate. Toutefois, elle laisse sans réponse la question de fond soulevée par le requérant, à savoir si le retrait d’une carte de résident à un réfugié constitue une violation du droit d’asile. Le débat sur la légalité substantielle de la décision du préfet est ainsi reporté à l’examen au fond de l’affaire, qui interviendra dans des délais beaucoup plus longs. La condition d’urgence agit ici comme un filtre procédural puissant, qui peut être perçu comme limitant l’accès au juge de l’urgence pour des situations qui, sans être immédiatement dommageables, portent en germe une précarité certaine.
II. La portée limitée d’une décision d’espèce
La solution retenue, si elle est juridiquement fondée au regard des critères du référé-liberté, témoigne d’une certaine forme de formalisme juridique (A) et confirme le caractère essentiellement casuistique du contrôle exercé par le juge de l’urgence (B).
A. La prévalence d’une analyse formelle sur la sécurité juridique du statut de réfugié
En considérant que le maintien du droit de travailler et de séjourner suffit à écarter l’urgence, l’ordonnance met sur le même plan une carte de résident et une autorisation provisoire de séjour. Or, ces deux titres n’emportent pas la même sécurité juridique. La carte de résident, valable dix ans et renouvelable de plein droit sauf menace à l’ordre public, symbolise l’ancrage durable du réfugié dans la société d’accueil. L’autorisation provisoire de séjour, par nature précaire et de courte durée, place son titulaire dans une situation d’incertitude permanente quant au renouvellement de son droit au séjour.
La décision commentée ne prend pas en compte cette différence de statut et la perte de stabilité qui en découle. Si, à l’instant où le juge statue, le requérant peut encore travailler, la pérennité de son emploi et de son intégration est objectivement fragilisée. La valeur de la décision peut ainsi être discutée au regard de l’objectif de protection qui s’attache au statut de réfugié. Le juge semble privilégier une approche purement administrative et matérielle, au détriment d’une vision plus globale de la condition de la personne protégée.
B. L’affirmation du caractère casuistique du contrôle de l’urgence
Cette ordonnance constitue une décision d’espèce dont la portée doit être relativisée. Elle ne signifie pas que le retrait d’une carte de résident à un réfugié ne pourra jamais justifier l’intervention du juge du référé-liberté. Une solution différente pourrait être retenue si un requérant parvenait à démontrer, par exemple, que son employeur menace de rompre son contrat de travail en raison de la précarité de son nouveau titre de séjour, ou que la préfecture est dans l’incapacité de lui délivrer effectivement son autorisation provisoire.
La décision réaffirme que l’appréciation de l’urgence relève d’une analyse souveraine des faits de chaque espèce par le juge. Elle ne pose pas de principe général sur le droit au maintien de la carte de résident pour les réfugiés dans le cadre d’un référé-liberté. Sa portée se limite à rappeler aux justiciables l’exigence probatoire particulièrement élevée qui pèse sur eux pour caractériser une situation d’urgence au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, notamment lorsque l’administration substitue un titre de séjour à un autre tout en préservant formellement les droits qui y sont attachés.