Par une ordonnance rendue le 19 mai 2025, le juge des référés du Conseil d’État a précisé l’étendue des obligations pesant sur les services départementaux de l’aide sociale à l’enfance en matière d’hébergement d’urgence des mères isolées. En l’espèce, une mère sans domicile, assumant seule la charge de son enfant de moins de trois ans, avait saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris. Celui-ci avait initialement enjoint à la collectivité compétente de réexaminer la situation de l’intéressée en vue de lui offrir un hébergement digne et pérenne. Face à l’insuffisance de la solution proposée, la même juridiction avait ensuite, sur le fondement de l’article L. 521-4 du code de justice administrative, modifié sa première ordonnance pour enjoindre à l’administration de fournir, sous sept jours, un hébergement présentant des garanties de pérennité et de dignité. La collectivité a alors formé un pourvoi devant le Conseil d’État, arguant que la solution d’hébergement transitoire mise en place n’était pas inadaptée et que le juge ne pouvait exiger une solution pérenne. Le problème de droit soulevé consistait donc à déterminer si le juge du référé-liberté, constatant une carence de l’administration dans sa mission d’aide sociale à l’enfance, peut lui enjoindre de fournir une solution d’hébergement pérenne. Le juge des référés du Conseil d’État répond par la négative, annulant l’ordonnance du tribunal administratif. Il estime qu’il incombe seulement au juge d’enjoindre à l’administration de réexaminer la situation de la personne, sans pouvoir exiger une solution d’hébergement pérenne, et constate qu’en l’espèce, la solution transitoire proposée n’était pas constitutive d’une carence caractérisée.
La décision du Conseil d’État vient ainsi délimiter strictement l’office du juge du référé-liberté face à l’obligation d’hébergement qui incombe au département (I), tout en adoptant une appréciation concrète de la carence administrative qui restreint la portée de son contrôle (II).
I. La délimitation de l’office du juge du référé-liberté face à l’obligation d’hébergement
Le Conseil d’État rappelle la nature de l’injonction que le juge des référés peut prononcer en cas de manquement de l’administration à ses obligations (A), avant de censurer le juge de première instance pour avoir outrepassé ses pouvoirs en exigeant une solution pérenne (B).
A. Le rappel de la nature de l’injonction en matière d’hébergement d’urgence
Le juge des référés du Conseil d’État fonde son raisonnement sur une interprétation stricte des pouvoirs qu’il détient dans le cadre de la procédure du référé-liberté. Il énonce de manière didactique que « lorsque le juge des référés constate une carence caractérisée de la collectivité publique dans l’accomplissement de ses missions, il lui incombe d’enjoindre à cette collectivité, non de proposer une solution d’hébergement pérenne, mais de réexaminer la situation de l’intéressé ». Cette formulation établit une distinction claire entre l’obligation de moyens qui pèse sur l’administration et le pouvoir de contrôle du juge. Le juge administratif ne se substitue pas à l’administration pour déterminer la nature exacte de la prestation à fournir. Son rôle se limite à sanctionner une illégalité manifeste en ordonnant à l’autorité compétente de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser l’atteinte à une liberté fondamentale, ce qui se traduit par une obligation de réexamen. Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence constante du Conseil d’État qui veille à ne pas porter une atteinte excessive au pouvoir d’organisation du service public de l’administration.
B. La censure de l’exigence d’une solution d’hébergement pérenne
Appliquant ce principe au cas d’espèce, le juge des référés annule l’ordonnance du tribunal administratif de Paris qui avait enjoint à la collectivité « d’offrir (…) un hébergement conforme aux objectifs résultant de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles, tant en termes de pérennité que de dignité ». Le Conseil d’État considère que la juge de première instance a commis une erreur de droit en allant au-delà de la simple injonction de réexamen. En exigeant une solution pérenne, la première juge a empiété sur la marge d’appréciation de l’administration, qui doit pouvoir mobiliser les dispositifs d’accueil en fonction des situations individuelles et des moyens dont elle dispose. La décision commentée réaffirme ainsi que l’urgence et la gravité de la situation ne sauraient conférer au juge le pouvoir de dicter à l’administration les caractéristiques précises et durables de la solution à mettre en œuvre. Le juge garantit la prise en charge, mais ne saurait en définir les modalités à long terme, qui relèvent de la seule compétence administrative.
Cette limitation de l’office du juge s’accompagne d’une appréciation pragmatique de la situation de l’intéressée, conduisant à écarter l’existence même d’une carence de l’administration.
II. L’appréciation restrictive de la carence administrative
Le Conseil d’État examine concrètement les conditions d’accueil proposées pour en déduire l’absence de manquement caractérisé de la collectivité (A), ce qui le conduit à neutraliser les effets des injonctions précédemment prononcées (B).
A. L’absence de carence caractérisée au regard des conditions d’accueil transitoires
Pour écarter l’atteinte grave et manifestement illégale, le Conseil d’État analyse les faits de l’espèce. Il relève que la mère et son enfant ont été pris en charge dans un « centre de mise à l’abri (…) destiné spécifiquement à la prise en charge des mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans ». Le juge constate qu’il « ne résulte pas de l’instruction que les conditions de l’hébergement qui lui avait été proposé de façon transitoire (…) n’étaient pas adaptées à sa situation et au développement de son enfant ». Par cette appréciation, le Conseil d’État estime que l’administration a rempli ses obligations en proposant une solution temporaire mais spécialisée et adaptée, même si celle-ci ne présente pas un caractère pérenne. La précarité de la solution ne suffit donc pas, à elle seule, à caractériser une carence justifiant l’intervention du juge du référé-liberté. Cette approche pragmatique montre que le juge se concentre sur l’adéquation immédiate de la réponse apportée par l’administration à la situation d’urgence, plutôt que sur la durabilité de la solution.
B. La neutralisation des injonctions antérieures
La conséquence logique de ce raisonnement est l’annulation de l’ordonnance attaquée et la fin des effets de la première injonction. En jugeant qu' »aucune carence de la Ville de Paris dans l’exercice de ses missions ne peut être relevée en l’espèce », le Conseil d’État prive de fondement les décisions prises par le tribunal administratif. Il ajoute, « en tout état de cause », que la solution d’hébergement ultérieure dans une chambre d’hôtel ne présentait pas de caractère indigne. Cette double motivation renforce la position de l’administration et illustre la rigueur avec laquelle le juge des référés du Palais-Royal apprécie les conditions de mise en œuvre de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. La décision a pour portée de rappeler aux juridictions du fond que la procédure du référé-liberté, si elle est un instrument puissant de protection des droits, doit être maniée avec mesure. Elle n’a pas vocation à assurer un suivi à long terme des situations individuelles, mais à remédier à une défaillance avérée et actuelle de l’administration face à une situation d’urgence vitale.