Juge des référés du Conseil d’État, le 2 juin 2025, n°504685

Par une ordonnance en date du 2 juin 2025, le juge des référés du Conseil d’État a été amené à se prononcer sur les conditions d’application de la procédure du référé-liberté prévue à l’article L. 521-2 du code de justice administrative. En l’espèce, une autorité préfectorale avait pris un arrêté interdisant pour une durée limitée l’ensemble des spectacles d’un artiste sur un périmètre géographique défini. L’artiste a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris afin d’obtenir la suspension de l’exécution de cette décision. Sa demande fut rejetée par une ordonnance du 23 mai 2025, au motif que la condition d’urgence n’était pas satisfaite. Le requérant a alors interjeté appel de cette ordonnance devant le juge des référés du Conseil d’État, soutenant que l’atteinte portée à ses libertés fondamentales, notamment la liberté d’expression et la liberté de réunion, était grave et manifestement illégale. Il contestait également l’appréciation du premier juge sur la condition d’urgence, estimant que celui-ci s’était fondé sur des considérations subjectives pour écarter l’imminence d’une nouvelle représentation. Il revenait ainsi au juge d’appel de déterminer si la condition d’urgence, requise par l’article L. 521-2 du code de justice administrative, peut être regardée comme satisfaite lorsque le requérant se prévaut d’un événement imminent en contradiction avec ses déclarations antérieures et sans apporter d’éléments probants à l’appui de ses nouvelles allégations. Le Conseil d’État rejette la requête. Il estime que l’appelant ne remet pas sérieusement en cause l’appréciation du premier juge, dès lors qu’il ne fournit aucun élément nouveau de nature à établir la réalité du projet de spectacle qu’il invoque pour justifier l’urgence.

La décision commentée vient ainsi réaffirmer la nécessité d’un contrôle rigoureux de la condition d’urgence par le juge du référé-liberté (I), consacrant par là même son rôle de régulateur de l’accès à cette procédure d’exception (II).

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I. Le contrôle rigoureux de la condition d’urgence, clé de voûte du référé-liberté

Le Conseil d’État, en confirmant l’ordonnance du premier juge, rappelle que l’appréciation de l’urgence relève de l’office souverain du juge des référés (A) et que la charge de la preuve de cette urgence pèse sans équivoque sur le requérant (B).

A. L’appréciation souveraine de l’urgence par le juge des référés

Le juge des référés du Conseil d’État valide l’analyse factuelle opérée en première instance. La juge du tribunal administratif avait en effet relevé la contradiction manifeste entre les déclarations de l’intéressé. Lors d’une première audience, il avait affirmé qu’un mois de préparation était nécessaire pour tout nouveau spectacle, excluant toute représentation avant le 25 juin 2025. Or, dans la seconde instance, il « soutient désormais de manière contradictoire que la prochaine représentation de son spectacle doit avoir lieu le 28 mai ». Le juge ne se contente donc pas de prendre acte des allégations du requérant ; il les confronte aux pièces du dossier et aux déclarations antérieures pour en vérifier la cohérence et la vraisemblance. Cette démarche démontre que l’urgence ne se décrète pas mais se constate au travers d’un faisceau d’indices concordants. Le juge administratif exerce ainsi un contrôle concret et circonstancié, qui ne saurait être qualifié de simple appréciation subjective. En se fondant sur le manque de crédibilité des nouvelles allégations, le juge des référés exerce pleinement son office et s’assure que la condition d’urgence, qui déclenche une procédure d’une exceptionnelle célérité, est bien caractérisée.

B. La charge de la preuve incombant au requérant

La solution retenue par le Conseil d’État est également une illustration classique du principe selon lequel il appartient au demandeur de prouver le bien-fondé de ses prétentions. En l’espèce, le requérant se borne à contester l’appréciation du premier juge sans pour autant étayer ses dires. Le juge d’appel relève qu’il n’apporte « aucun élément, qui ne ressort pas davantage des pièces du dossier, de nature à établir qu’il a effectivement le projet de présenter un spectacle entre la date de la présente ordonnance et le 25 juin prochain ». Le renversement de la charge de la preuve n’est pas admis dans le cadre du référé-liberté, même lorsque des libertés fondamentales sont en jeu. L’urgence doit être démontrée par des faits précis et actuels. Le simple fait d’invoquer une atteinte à une liberté fondamentale ne suffit pas à présumer de l’urgence à statuer. La décision met ainsi en lumière l’exigence de rigueur attendue de la part d’un requérant qui entend bénéficier d’une mesure prononcée dans un délai de quarante-huit heures. L’absence de justification tangible conduit logiquement et nécessairement au rejet de la demande.

Cette stricte application des conditions de recevabilité du référé-liberté confère à la décision une portée qui dépasse le cas d’espèce, en ce qu’elle précise le rôle du juge comme garant de l’intégrité de cette procédure.

II. La portée de la décision : le juge des référés, garant de l’office du référé-liberté

En refusant de faire droit à une demande insuffisamment étayée, le Conseil d’État réaffirme le caractère exceptionnel du référé-liberté et son rôle de gardien contre une éventuelle instrumentalisation (A), tout en adressant un rappel pédagogique aux justiciables sur les exigences de la procédure (B).

A. La sauvegarde du caractère exceptionnel de la procédure

Le référé-liberté est une voie de droit d’urgence destinée à apporter une réponse juridictionnelle très rapide à une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Sa spécificité réside dans l’extrême brièveté du délai dans lequel le juge doit se prononcer. Permettre son utilisation sur la base d’allégations contradictoires ou non prouvées reviendrait à dénaturer son objet et à risquer l’engorgement des prétoires. En validant le raisonnement du premier juge qui a décelé l’incohérence du requérant, le Conseil d’État envoie un signal clair : le juge des référés n’est pas un simple enregistreur des demandes. Il est un régulateur qui doit veiller à ce que cette procédure d’urgence demeure réservée aux situations qui le justifient véritablement. La décision commentée a ainsi pour effet de préserver l’efficacité et la crédibilité du référé-liberté, en évitant qu’il ne soit détourné de sa finalité pour devenir un outil de contestation systématique des décisions administratives. La rigueur du contrôle de l’urgence est donc la contrepartie nécessaire de la puissance des mesures que le juge peut ordonner.

B. Une exigence de cohérence et de loyauté procédurale

Au-delà de son aspect technique, l’ordonnance revêt une dimension pédagogique. Elle souligne l’importance de la cohérence et de la loyauté dans l’argumentation présentée au juge. Un requérant ne saurait impunément faire des déclarations variables en fonction des circonstances ou des audiences. En ne remettant pas « sérieusement en cause l’appréciation portée par la juge des référés », le demandeur démontre la faiblesse de son argumentation en appel. La décision rappelle implicitement que la construction d’un dossier de référé-liberté doit reposer sur des éléments factuels solides et constants. Cette exigence n’est pas seulement formelle ; elle est substantielle, car c’est de la consistance de ces éléments que dépendra la conviction du juge quant à la nécessité d’intervenir dans des délais très contraints. Cette solution, bien que d’espèce, a une portée générale en ce qu’elle incite les justiciables et leurs conseils à une plus grande rigueur dans la présentation de leurs demandes, garantissant ainsi le respect et la pérennité d’une des plus importantes garanties de l’État de droit.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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