Juge des référés du Conseil d’État, le 21 mai 2025, n°504310

Par une ordonnance en date du 21 mai 2025, le juge des référés du Conseil d’État a été amené à se prononcer sur les conditions de mise en œuvre de la procédure du référé-liberté dans le cadre d’un refus de visa opposé par les autorités consulaires.

En l’espèce, une ressortissante étrangère bénéficiant du statut de réfugiée en France avait sollicité la délivrance de visas pour ses deux enfants et sa petite-fille, demeurés dans leur pays d’origine. Elle invoquait pour justifier l’extrême urgence de sa demande un risque imminent de mariage forcé pour l’une de ses filles, un risque d’excision pour sa petite-fille, ainsi qu’une situation générale de précarité matérielle et sanitaire pour les trois enfants.

Saisi en première instance sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes avait rejeté la demande. Le premier juge avait estimé qu’il existait des doutes sérieux sur l’authenticité des actes d’état civil produits et, par conséquent, sur la réalité du lien de filiation entre la requérante et les enfants, et que le risque d’excision n’était pas suffisamment établi à brève échéance. La requérante a alors interjeté appel de cette ordonnance devant le juge des référés du Conseil d’État, soutenant que la condition d’urgence était satisfaite et qu’une atteinte grave et manifestement illégale était portée à plusieurs libertés fondamentales.

La question de droit soumise à la haute juridiction administrative portait sur le point de savoir si le juge du référé-liberté peut écarter la condition d’urgence particulière, requise par l’article L. 521-2 du code de justice administrative, en se fondant sur des doutes sérieux relatifs à la force probante des documents censés établir la réalité des liens familiaux invoqués par la requérante.

Le juge des référés du Conseil d’État rejette la requête. Il confirme l’appréciation du premier juge en retenant que la requérante n’apporte « aucun élément nouveau de nature à remettre en cause ces appréciations ». Il en déduit que les circonstances invoquées ne sont pas de nature à caractériser l’existence d’une situation d’urgence particulière justifiant l’intervention du juge dans un très bref délai. Cette décision, qui subordonne l’examen de l’urgence à la solidité des preuves factuelles, illustre une application rigoureuse des conditions du référé-liberté (I), tout en soulevant des interrogations sur l’office du juge de l’urgence face à des allégations de péril humain (II).

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I. Une conception rigoureuse de la condition d’urgence en matière de référé-liberté

Le juge des référés du Conseil d’État, par cette décision, réaffirme le caractère prépondérant de la condition d’urgence dans le cadre du référé-liberté (A) et lie étroitement son appréciation à la crédibilité des faits qui la sous-tendent (B).

A. Le caractère primordial et autonome de la condition d’urgence

La procédure du référé-liberté, prévue à l’article L. 521-2 du code de justice administrative, est conçue comme un mécanisme de sauvegarde exceptionnelle et rapide d’une liberté fondamentale. Son déclenchement est subordonné à la réunion de deux conditions cumulatives : une atteinte grave et manifestement illégale à une telle liberté et une situation d’urgence justifiant une intervention juridictionnelle dans un très bref délai.

Dans la présente ordonnance, le juge des référés se conforme à une jurisprudence constante en examinant en premier lieu la condition d’urgence. Le raisonnement suivi est séquentiel : si l’urgence n’est pas caractérisée, l’examen de l’atteinte à la liberté fondamentale devient sans objet. C’est ce qu’exprime clairement l’ordonnance en précisant qu’il y a lieu de rejeter la requête « sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’existence alléguée d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ». L’urgence constitue ainsi un préalable absolu, un filtre qui conditionne la recevabilité même de l’intervention du juge. Cette approche confirme la nature spécifique du référé-liberté, qui n’est pas une voie de recours au fond mais un instrument de protection face à un péril imminent.

B. L’appréciation de l’urgence au prisme de la crédibilité des faits

L’originalité de la décision ne réside pas dans le rappel du caractère primordial de l’urgence, mais dans la manière dont celle-ci est appréciée. Le juge ne se contente pas d’évaluer la temporalité du risque allégué ; il en examine la plausibilité au regard des pièces du dossier. En l’espèce, les allégations de mariage forcé et d’excision imminents sont directement liées à la situation d’enfants présentés comme ceux de la requérante.

Le juge des référés, confirmant la position du tribunal administratif, estime que les « doutes sérieux sur l’état civil des enfants et, par voie de conséquence sur leur lien de filiation avec la requérante » font obstacle à la reconnaissance d’une situation d’urgence. En d’autres termes, l’incertitude sur l’authenticité des actes de naissance affaiblit la crédibilité des circonstances invoquées pour caractériser l’urgence. Le juge considère que la requérante n’ayant pas apporté d’élément nouveau pour lever ces doutes, la condition d’urgence n’est pas remplie. Le contrôle de la vraisemblance des faits devient ainsi indissociable du contrôle de l’urgence elle-même.

II. Une solution protectrice de l’office du juge mais restrictive pour le justiciable

Si cette décision s’inscrit dans une logique de prudence procédurale, elle interroge sur la valeur d’un tel contrôle documentaire en urgence (A) et confirme la portée limitée du référé-liberté en matière de contentieux des visas (B).

A. La valeur contestable d’un contrôle de l’authenticité documentaire par le juge de l’urgence

En fondant son rejet sur des doutes relatifs à des actes d’état civil étrangers, le juge des référés opère un contrôle qui, par sa nature, se rapproche de celui du juge du fond. L’appréciation de l’authenticité de documents étrangers est une question complexe, qui peut nécessiter des investigations ou des débats contradictoires approfondis, peu compatibles avec le délai de quarante-huit heures du référé-liberté.

En faisant peser sur la requérante la charge de lever, en appel et dans un temps très contraint, des doutes sur des documents d’état civil, le juge adopte une position exigeante. On peut s’interroger sur la conformité d’une telle approche avec la mission de sauvegarde des libertés fondamentales qui lui est confiée. En présence d’allégations de menaces graves sur l’intégrité physique et la liberté de personnes vulnérables, le juge aurait pu adopter une lecture plus souple, considérant que le doute devrait, en matière de référé-liberté, profiter à la protection de la liberté. La solution retenue privilégie la sécurité juridique et la rigueur administrative sur la prise en compte d’un risque humain potentiel, mais insuffisamment prouvé à ses yeux.

B. La portée limitée d’une décision d’espèce

Cette ordonnance doit être analysée comme une décision d’espèce, sa solution étant fortement dépendante des faits et de l’absence d’éléments nouveaux en appel. Elle ne constitue pas un revirement de jurisprudence mais s’inscrit dans la lignée d’une application stricte des conditions du référé-liberté en matière de police des étrangers. Le Conseil d’État rappelle régulièrement que le refus de visa ne crée pas, en lui-même, une situation d’urgence au sens de l’article L. 521-2, sauf circonstances particulières.

La portée de cette décision est donc avant tout pédagogique. Elle souligne, à l’attention des requérants, l’impératif de présenter un dossier factuellement et juridiquement solide dès la première instance. L’appel en référé n’est pas une occasion de compléter un dossier initialement fragile. Pour les praticiens, elle confirme que l’invocation de risques graves à l’étranger doit être étayée par des éléments de preuve robustes, y compris sur les liens personnels qui fondent l’intérêt à agir du requérant. L’office du juge de l’urgence ne va pas jusqu’à pallier les carences probatoires du dossier, même lorsque des libertés fondamentales sont en jeu.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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