Par une ordonnance en date du 23 décembre 2024, le juge des référés du Conseil d’État a statué sur une demande formée au titre de la procédure du référé-liberté, prévue à l’article L. 521-2 du code de justice administrative. En l’espèce, un particulier, à la suite d’un litige en droit du travail, a saisi la haute juridiction administrative de plusieurs demandes d’injonction. Celles-ci visaient notamment le juge de l’exécution d’un tribunal judiciaire, un mandataire judiciaire agissant dans le cadre d’une procédure collective, ainsi que le Bâtonnier d’un ordre des avocats. Le requérant sollicitait la délivrance de documents de fin de contrat, l’exécution de décisions de justice rendues par la cour d’appel de Colmar et par la Cour de cassation, la réalisation d’une expertise médicale et la désignation d’un avocat. Il fondait l’urgence de sa situation sur une dégradation de son état de santé, qu’il estimait directement liée à l’absence des documents réclamés. Le juge des référés du Conseil d’État était ainsi conduit à s’interroger sur sa compétence pour connaître de conclusions qui, par leur nature, se rapportent à l’activité de l’autorité judiciaire et à l’exécution de ses décisions. En réponse, il rejette la requête au motif que les demandes formulées par le requérant « ne relèvent manifestement pas de la compétence du juge administratif ». Cette décision, si elle peut paraître sévère au regard de la situation d’urgence alléguée, constitue une application rigoureuse des règles de compétence, rappelant ainsi fermement la distinction fondamentale entre les deux ordres de juridiction.
Il convient donc d’analyser l’application stricte des règles de compétence opérée par le juge des référés (I), avant d’étudier la portée de cette décision qui consacre la séparation des ordres juridictionnels (II).
I. L’application rigoureuse des conditions de compétence du juge administratif des référés
Le rejet de la requête par le juge des référés du Conseil d’État s’explique par le caractère manifeste de son incompétence matérielle (A), ce qui justifie la mise en œuvre d’une procédure de rejet simplifiée (B).
A. Le caractère manifeste de l’incompétence matérielle
La procédure du référé-liberté, codifiée à l’article L. 521-2 du code de justice administrative, permet au juge d’ordonner « toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ». La compétence du juge administratif est donc subordonnée à la mise en cause d’une autorité administrative ou d’un organisme agissant dans le cadre d’une mission de service public. Or, en l’espèce, les demandes du requérant étaient dirigées contre un juge de l’exécution, un mandataire judiciaire et un Bâtonnier. Aucune de ces entités n’agit en tant qu’autorité administrative. Le juge judiciaire et les auxiliaires de justice qui concourent à sa mission, tels que le mandataire judiciaire ou le Bâtonnier dans ses fonctions relatives à l’aide juridictionnelle, relèvent exclusivement de l’ordre judiciaire. L’incompétence du juge administratif pour connaître de telles conclusions était donc non seulement certaine, mais également manifeste, c’est-à-dire qu’elle apparaissait avec évidence à la seule lecture de la requête.
B. La mise en œuvre de la procédure de rejet par ordonnance
Face à une incompétence aussi évidente, le juge des référés a fait application de l’article L. 522-3 du code de justice administrative. Ce texte lui offre la faculté de « rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d’urgence n’est pas remplie ou lorsqu’il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu’elle est irrecevable ou qu’elle est mal fondée ». Cette procédure de filtrage des requêtes permet d’écarter rapidement les demandes vouées à l’échec, sans engager les ressources de la juridiction dans une instruction complète. Le Conseil d’État confirme ainsi que l’urgence, même si elle était avérée, ne peut suppléer à l’absence de compétence. La gravité de l’atteinte alléguée à une liberté fondamentale est impuissante à fonder la compétence du juge administratif lorsque le litige est étranger à la sphère administrative. En statuant ainsi, le juge ne fait pas que rejeter une requête ; il réaffirme un principe cardinal de l’organisation juridictionnelle française.
II. La réaffirmation du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires
Cette ordonnance de rejet, au-delà du cas d’espèce, a une valeur pédagogique en ce qu’elle rappelle avec force l’intangibilité de la compétence du juge judiciaire (A) et la portée de cette séparation pour le justiciable (B).
A. L’intangibilité de la compétence du juge judiciaire
Le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires interdit au juge administratif de s’immiscer dans le fonctionnement de la justice judiciaire. En l’espèce, le requérant demandait au Conseil d’État d’enjoindre à un juge de l’exécution d’agir et de faire procéder à l’exécution de décisions rendues par des juridictions judiciaires. Accéder à une telle demande aurait constitué une violation flagrante de ce principe fondamental. Le juge administratif ne peut ni donner des ordres au juge judiciaire, ni se substituer à lui pour assurer l’exécution de ses décisions. Le requérant disposait de voies de droit spécifiques au sein de l’ordre judiciaire pour obtenir la satisfaction de ses prétentions, notamment par le biais des procédures d’exécution forcée. La décision commentée souligne que le juge administratif n’est pas un recours ultime ou subsidiaire lorsque les voies de droit de l’ordre judiciaire paraissent inefficaces ou trop lentes au justiciable.
B. La portée pédagogique d’une décision de rejet
Bien qu’il s’agisse d’une décision d’espèce, sa portée est significative. Elle illustre de manière claire les limites que le justiciable ne peut franchir. La détresse personnelle et l’urgence médicale invoquées par le requérant, bien que potentiellement réelles, ne sauraient justifier une dérogation aux règles de compétence d’ordre public. L’ordonnance rappelle que chaque ordre de juridiction dispose de ses propres mécanismes pour répondre aux situations d’urgence. Le justiciable ne peut choisir la juridiction qui lui semble la plus à même de répondre à ses attentes, mais doit s’adresser à celle que la loi a désignée comme compétente. En ce sens, la décision a une fonction de régulation et d’orientation, invitant les requérants à ne pas se méprendre sur la nature et l’étendue des pouvoirs du juge administratif des référés, même lorsque la sauvegarde d’une liberté fondamentale est en jeu.