Par une ordonnance en date du 26 août 2025, le juge des référés du Conseil d’État s’est prononcé sur la demande de suspension d’une sanction infligée par l’Agence française de lutte contre le dopage. En l’espèce, un joueur de rugby professionnel a fait l’objet d’un contrôle antidopage révélant la présence de carboxy-THC dans son organisme, à une concentration supérieure au seuil de décision fixé par les autorités sportives. La commission des sanctions de l’agence a par la suite prononcé une interdiction de participer à toute compétition et activité sportive pour une durée de deux ans, assortie d’une mesure de publication. Le sportif a alors saisi le juge des référés du Conseil d’État sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, arguant de l’urgence de sa situation et de l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de la décision. Il soutenait notamment que la commission avait commis une erreur de droit en conférant une valeur contraignante à un seuil purement indicatif et en faisant peser sur lui une charge de la preuve excessive pour démontrer une consommation hors compétition. Il était donc demandé au juge de déterminer si les moyens avancés étaient de nature à créer un doute sérieux justifiant la suspension de la sanction. Le juge des référés rejette la requête au motif qu’aucun des arguments soulevés n’est « en l’état de l’instruction, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la mesure dont la suspension est demandée », et ce, sans qu’il soit nécessaire d’examiner la condition d’urgence.
Cette décision illustre l’office du juge du référé-suspension face aux sanctions en matière de dopage, en appliquant de manière pragmatique les conditions de la suspension (I), ce qui conduit à une confirmation de la rigueur des règles de preuve applicables (II).
I. Le rejet pragmatique de la demande de suspension
Le juge des référés fonde sa décision sur une analyse souveraine du critère du doute sérieux (A), ce qui le dispense, en application stricte des conditions légales, d’examiner l’autre condition de la suspension (B).
A. L’appréciation souveraine du critère du doute sérieux
La procédure du référé-suspension subordonne l’intervention du juge à la démonstration d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la légalité de l’acte contesté. Dans cette affaire, le requérant avançait plusieurs moyens, tenant tant à la régularité de la procédure qu’au bien-fondé de la sanction. Il contestait la valeur accordée au seuil de concentration de la substance, l’appréciation des effets de celle-ci et la proportionnalité de la sanction. Le juge des référés, examinant l’ensemble de ces arguments, considère qu’aucun d’entre eux ne parvient à ébranler la légalité apparente de la décision de l’Agence. En procédant ainsi, il exerce son plein office qui consiste à évaluer, de manière provisoire, la solidité des critiques formulées contre l’acte administratif. Le rejet de l’argument tiré de l’application d’un seuil « seulement indicatif » démontre que le juge reconnaît implicitement la pertinence des instruments techniques utilisés par les organisations antidopage pour distinguer une consommation en compétition d’une consommation hors compétition. L’appréciation se fait de manière globale, et la simple affirmation par le sportif d’une consommation récréative et ancienne ne suffit pas à elle seule à faire naître le doute requis.
B. L’application stricte des conditions cumulatives du référé
L’article L. 521-1 du code de justice administrative pose deux conditions cumulatives pour qu’une suspension puisse être ordonnée : l’urgence et l’existence d’un doute sérieux. La logique procédurale veut que si l’une de ces deux conditions fait défaut, la demande de suspension doit être rejetée. Dans sa décision, le juge des référés, après avoir constaté l’absence de doute sérieux, écarte explicitement l’examen de la condition d’urgence. Il précise en effet que la requête doit être rejetée « sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la condition d’urgence ». Cette formule classique témoigne d’un principe d’économie procédurale bien établi. Le juge n’est pas tenu d’analyser l’ensemble des conditions si l’une d’elles, suffisante à elle seule pour justifier le rejet, n’est manifestement pas remplie. Cette approche permet de statuer rapidement sur les demandes qui ne présentent pas de chance sérieuse de succès au fond, renforçant ainsi l’efficacité de la justice administrative d’urgence. Pour le requérant, cette approche signifie que les préjudices graves et immédiats qu’il invoquait, notamment la fin de sa carrière sportive, ne sont même pas examinés dès lors que la légalité de la sanction n’est pas sérieusement contestable en l’état.
Cette application rigoureuse de la procédure de référé a pour conséquence de renforcer la portée des règles de fond en matière de lutte contre le dopage.
II. La confirmation de la rigueur de la présomption de dopage
La décision du juge des référés, en refusant de retenir un doute sérieux, valide indirectement la méthode d’analyse de l’agence (A) et restreint la portée du contrôle de proportionnalité en référé (B).
A. La portée probatoire renforcée des seuils de concentration
Le cœur de l’argumentation du sportif reposait sur le fait que la consommation de cannabis avait eu lieu hors compétition, ce qui, pour une « substance d’abus », aurait pu entraîner une réduction de la sanction. Pour établir une consommation en compétition, l’agence s’est fondée sur une note d’orientation de l’Agence mondiale antidopage selon laquelle une concentration supérieure à 180 ng/mL « devrait être considérée comme la plus susceptible de correspondre à une consommation de cannabis en compétition ». En jugeant que le moyen contestant cette approche ne créait pas de doute sérieux, le juge des référés confère une force probatoire considérable à ce seuil technique. Il entérine l’existence d’une présomption simple, difficile à renverser pour le sportif, selon laquelle un taux élevé implique une consommation récente et donc en compétition. La décision souligne ainsi que les explications du sportif, même si elles sont présentées comme « tangibles », ne suffisent pas face à une donnée scientifique objective interprétée par les instances de régulation. Le fardeau de la preuve est de fait inversé : il appartient au sportif de démontrer, par des éléments quasi impossibles à réunir, que la concentration élevée ne résulte pas d’une consommation en compétition.
B. La portée limitée du contrôle de la proportionnalité en référé
Le requérant soutenait enfin que la sanction de deux ans était disproportionnée, au regard de son comportement, du faible dépassement du seuil et de ses conséquences sur sa carrière. Le juge des référés écarte également ce moyen comme n’étant pas de nature à créer un doute sérieux. Cette position révèle que le contrôle de la proportionnalité d’une sanction par le juge de l’urgence est restreint. Sauf en cas de disproportion manifeste, qui sauterait aux yeux sans instruction approfondie, le juge du référé-suspension n’est pas le lieu d’un débat détaillé sur l’adéquation de la sanction. Un tel examen relève du juge du fond, qui disposera de tous les éléments pour apprécier la situation du sportif et la politique répressive de l’agence. En l’état, la sanction de deux ans, même si elle apparaît sévère, n’est pas considérée comme créant une illégalité évidente. La décision rappelle ainsi que le référé-suspension a pour but de parer à des illégalités manifestes et non de se substituer au juge du fond dans l’appréciation fine des décisions administratives.