Juge des référés du Conseil d’État, le 26 juillet 2025, n°506638

Par une ordonnance en date du 26 juillet 2025, le juge des référés du Conseil d’État a été amené à se prononcer sur les conditions de mise en œuvre de la procédure du référé-liberté face à une décision d’obligation de quitter le territoire français.

En l’espèce, un ressortissant étranger, en situation irrégulière depuis plusieurs années sur le territoire national, a fait l’objet d’une interpellation pour des faits de violences volontaires sur sa concubine. Le jour même de cette interpellation, le préfet compétent a pris à son encontre un arrêté lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, assorti d’une interdiction de retour pour une durée de trois ans. L’intéressé a saisi le juge des référés du tribunal administratif d’une demande de suspension de l’exécution de cet arrêté sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, en invoquant une atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Par une ordonnance, le juge de première instance a rejeté sa demande. Le requérant a alors interjeté appel de cette ordonnance devant le juge des référés du Conseil d’État, maintenant ses prétentions.

La question de droit posée au juge des référés du Conseil d’État était de savoir si l’existence de liens familiaux, sans démonstration probante de leur intensité et de leur effectivité, suffisait à caractériser une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée et familiale, justifiant ainsi la suspension en urgence d’une mesure d’éloignement.

À cette question, le Conseil d’État répond par la négative. Il juge que le requérant « n’établit pas davantage qu’en première instance qu’il aurait, depuis son divorce, participé à l’éducation de leur fille […] et, partant, l’intensité des liens familiaux dont il entend se prévaloir ». Par conséquent, la haute juridiction administrative estime que la décision préfectorale ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Elle rejette donc la requête en appel, confirmant l’appréciation du premier juge.

La solution retenue par le juge des référés du Conseil d’État témoigne d’une application rigoureuse des conditions du référé-liberté (I), consacrant ainsi une conception restrictive de la protection juridictionnelle d’urgence en matière de police des étrangers (II).

I. L’appréciation rigoureuse de l’atteinte à une liberté fondamentale

Le Conseil d’État, pour rejeter la demande de suspension, s’appuie sur une interprétation stricte des conditions cumulatives posées par l’article L. 521-2 du code de justice administrative (A), qu’il applique de manière concrète à la situation personnelle et familiale du requérant (B).

A. La réaffirmation des exigences spécifiques du référé-liberté

La présente décision rappelle que le référé-liberté est une procédure d’urgence dont la mise en œuvre est subordonnée à la démonstration d’une situation d’urgence et d’une atteinte à la fois grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Le juge n’opère pas un contrôle de la légalité de la décision administrative contestée, lequel relève de la compétence du juge du fond, mais exerce un contrôle restreint à l’évidence de l’illégalité et à la gravité de ses conséquences.

En l’occurrence, le Conseil d’État ne remet pas en cause la qualification de liberté fondamentale du droit au respect d’une vie privée et familiale. Cependant, il souligne que la seule invocation de cette liberté ne saurait suffire. Le caractère manifeste de l’illégalité impose au requérant de fournir des éléments de preuve suffisants pour que l’atteinte apparaisse incontestable au premier examen. Cette exigence probatoire est au cœur du raisonnement du juge, qui se livre à une analyse factuelle pour déterminer si le seuil de gravité et d’illégalité manifeste est franchi. La décision illustre que le doute ne bénéficie pas au demandeur dans ce cadre procédural exceptionnel.

B. L’application concrète au droit à la vie privée et familiale

Le Conseil d’État examine avec minutie les pièces produites par le requérant pour évaluer la réalité et l’intensité de ses liens familiaux. S’il constate la production en appel de nouveaux éléments tendant à prouver le versement d’une pension alimentaire, il juge cette seule circonstance insuffisante pour renverser l’appréciation du premier juge.

La haute juridiction insiste sur l’absence de preuve d’une participation effective à l’éducation de l’enfant depuis le divorce survenu de nombreuses années auparavant. Le juge ne se contente pas de l’existence d’un lien de filiation juridique ; il recherche des preuves tangibles d’un lien affectif et matériel actuel. Le Conseil d’État conclut que le requérant « n’établit pas davantage qu’en première instance […] l’intensité des liens familiaux dont il entend se prévaloir ». Ce faisant, il confirme que l’appréciation de l’atteinte à la vie familiale est une question de fait et d’intensité, et que le fardeau de la preuve pèse entièrement sur le requérant.

II. La portée limitée de la protection juridictionnelle d’urgence

Cette ordonnance, par sa motivation, révèle la prégnance des considérations d’ordre public dans le contrôle du juge de l’urgence (A) et confirme la nature subsidiaire de l’office du juge du référé-liberté en contentieux des étrangers (B).

A. La prééminence implicite des considérations d’ordre public

Bien que la décision ne le mentionne pas explicitement dans son argumentation juridique finale, les circonstances de l’affaire ne sont pas neutres. Le requérant se maintient en situation irrégulière depuis plusieurs années et la mesure d’éloignement est prise consécutivement à une interpellation pour des faits de violences volontaires. Ces éléments, relatifs au comportement de l’intéressé et à sa situation administrative, constituent le contexte dans lequel le préfet a exercé son pouvoir de police.

L’appréciation rigoureuse de l’intensité des liens familiaux par le juge ne peut être entièrement déconnectée de ces faits. En refusant de suspendre la mesure, le Conseil d’État valide indirectement la réaction rapide de l’administration face à une situation qui cumule irrégularité du séjour et trouble potentiel à l’ordre public. La faiblesse des liens familiaux établis par le requérant ne parvient pas à contrebalancer le poids de ces éléments factuels défavorables, laissant le champ libre à l’exécution de la décision administrative.

B. La confirmation du caractère subsidiaire du contrôle du juge des référés

En rejetant la requête par la procédure simplifiée de l’article L. 522-3 du code de justice administrative, au motif que l’appel est « manifestement » voué à l’échec, le Conseil d’État envoie un signal fort. Il signifie que le cas d’espèce est loin de remplir les conditions du référé-liberté et que l’appréciation du premier juge ne souffrait d’aucune erreur manifeste. Cette procédure de tri rapide souligne la volonté du juge de ne pas laisser ce recours d’urgence se transformer en une voie d’appel ordinaire des décisions des préfets.

La décision renforce l’idée que le référé-liberté n’a pas vocation à se substituer au recours au fond, seul à même de permettre un examen complet de la légalité de l’obligation de quitter le territoire au regard de l’ensemble des moyens de droit et de fait. La protection offerte par le juge de l’urgence est une protection d’exception, réservée aux violations les plus évidentes et les plus graves des libertés fondamentales, un seuil que la situation du requérant, en raison de la fragilité des preuves apportées, n’a manifestement pas atteint.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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