Juge des référés du Conseil d’État, le 26 juin 2025, n°505340

Par une ordonnance en date du 26 juin 2025, le juge des référés du Conseil d’État a rejeté la requête d’une association visant à obtenir la suspension d’une circulaire ministérielle relative aux modalités de répression de l’usage de stupéfiants. Cet acte administratif, daté du 24 avril 2025, prévoyait la saisie et la confiscation des téléphones portables des personnes interpellées pour consommation de produits illicites. Estimant cette mesure attentatoire à plusieurs libertés fondamentales, l’association requérante a saisi le juge des référés sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative. Elle soutenait que la condition d’urgence était remplie en raison de la nécessité de prévenir des atteintes graves aux droits des justiciables. De plus, elle arguait de l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de la circulaire, invoquant notamment l’incompétence du ministre pour créer une peine non prévue par la loi, ainsi qu’une violation du droit de propriété et du droit au respect de la vie privée. Le problème de droit soumis au juge consistait donc à déterminer si la seule invocation d’une atteinte à des libertés fondamentales suffisait à caractériser la condition d’urgence requise pour la suspension d’un acte administratif, alors même que le juge du fond pouvait statuer à brève échéance.

Le juge des référés a répondu par la négative, considérant que la condition d’urgence n’était pas satisfaite. Il a estimé que les arguments de l’association, bien qu’évoquant des atteintes à des droits et libertés, « ne sont pas de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement au fond de la requête, l’exécution de la circulaire soit suspendue ». Le juge a par ailleurs souligné la possibilité pour la formation de jugement de statuer rapidement sur la légalité de l’acte au fond. Cette décision rappelle la lecture stricte des conditions du référé-suspension (I), ce qui interroge sur la portée de ce contrôle face aux enjeux de protection des libertés (II).

***

I. Une application rigoureuse des conditions du référé-suspension

L’ordonnance commentée illustre parfaitement l’autonomie de la condition d’urgence, appréciée de manière concrète et souveraine par le juge des référés (A). Cette approche conduit au rejet de la demande sans même examiner les moyens relatifs au doute sérieux sur la légalité de l’acte (B).

A. Le caractère autonome et concret de la condition d’urgence

Le juge des référés rappelle dans sa décision le cadre de son office, défini par l’article L. 521-1 du code de justice administrative, lequel subordonne la suspension d’un acte à deux conditions cumulatives : l’urgence et l’existence d’un doute sérieux quant à sa légalité. La présente ordonnance réaffirme que l’urgence doit être appréciée objectivement, en fonction des circonstances de l’espèce. Le juge ne se contente pas des allégations de principe de la requérante. Il exige la démonstration d’une atteinte « suffisamment grave et immédiate » à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il défend.

En l’espèce, l’association se bornait à invoquer la nécessité de « prévenir les atteintes graves et manifestement illégales aux libertés fondamentales ». Pour le juge, cet argument général ne suffit pas à prouver l’existence d’une situation d’urgence. Il refuse ainsi de déduire automatiquement l’urgence de la nature des droits invoqués, marquant une distinction claire entre la procédure du référé-suspension et celle du référé-liberté de l’article L. 521-2 du même code, qui suppose une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Le juge procède à une appréciation *in concreto* qui le conduit à considérer comme déterminante la perspective d’un jugement au fond à brève échéance, relativisant ainsi le péril invoqué.

B. L’absence d’examen du doute sérieux en l’absence d’urgence

La conséquence directe de cette appréciation stricte de l’urgence est le rejet de la requête sans examen des autres moyens soulevés. Le caractère cumulatif des conditions du référé-suspension autorise le juge à fonder sa décision sur l’absence d’une seule d’entre elles. Conformément à l’article L. 522-3 du code de justice administrative, il peut ainsi rejeter la demande par une ordonnance motivée, sans instruction ni audience, lorsque l’urgence n’est manifestement pas remplie.

Cette économie de moyens est ici pleinement mise en œuvre. Le juge écarte explicitement l’analyse du doute sérieux, et par conséquent la question prioritaire de constitutionnalité qui y était liée, en précisant « sans qu’il soit besoin de se prononcer sur le renvoi au Conseil constitutionnel (…) ni sur l’existence d’un moyen propre à créer un doute sérieux ». La solution est procéduralement orthodoxe et témoigne d’une volonté de ne pas préjuger du fond de l’affaire dans le cadre d’une procédure d’urgence dont les conditions ne sont pas réunies. La légalité de la circulaire, notamment au regard des principes de légalité des peines et du droit de propriété, reste donc entière et sera tranchée par la formation de jugement compétente.

***

II. La portée de la décision au regard de la protection des libertés

Cette approche pragmatique, si elle préserve la cohérence de l’office du juge des référés (A), n’en soulève pas moins des questions quant à l’effectivité de la protection juridictionnelle d’urgence face à des actes administratifs potentiellement attentatoires aux droits (B).

A. Une conception pragmatique de l’office du juge des référés

La décision peut être interprétée comme une manifestation de pragmatisme juridictionnel. En intégrant dans son analyse la capacité de la juridiction à statuer rapidement au fond, le juge des référés rationalise son intervention. Il réserve la mesure de suspension, qui est par nature provisoire et exceptionnelle, aux situations où le jugement au fond ne pourrait intervenir en temps utile pour prévenir un préjudice irréversible ou difficilement réparable. L’annonce que « la 6ème chambre de la section du contentieux sera en mesure d’inscrire la requête en annulation au rôle d’une formation de jugement au mois de septembre prochain » est à cet égard centrale dans son raisonnement.

Cette position permet d’éviter l’instrumentalisation du référé-suspension comme un substitut au jugement au fond. Elle préserve la distinction entre le temps de l’urgence et celui de l’analyse approfondie de la légalité. En ce sens, la décision est une réaffirmation de la fonction première du référé-suspension : non pas juger l’acte, mais gérer l’attente du jugement. La valeur de cette solution réside dans sa cohérence procédurale et son souci d’une bonne administration de la justice, en hiérarchisant les degrés d’urgence et en orientant les requérants vers la procédure la plus adéquate.

B. Une interrogation sur l’effectivité de la protection d’urgence

Toutefois, la portée de l’ordonnance doit être discutée au regard de l’impératif de protection des libertés. En refusant de considérer que l’atteinte potentielle à des libertés comme le droit de propriété ou le droit au respect de la vie privée constitue en soi une situation d’urgence, le juge adopte une position restrictive. On pourrait en effet soutenir qu’une mesure administrative créant une peine complémentaire *praeter legem*, si elle était avérée, porte une atteinte suffisamment grave et immédiate à l’ordre juridique et aux droits des citoyens pour justifier une suspension.

L’attente d’un jugement au fond, même à brève échéance, signifie que la circulaire contestée continuera de produire ses effets pendant plusieurs mois. Durant cette période, des saisies et confiscations pourraient intervenir, créant des situations de fait difficilement réversibles pour les personnes concernées. Cette décision pose donc la question de la balance entre la bonne gestion des flux contentieux et l’exigence d’une protection effective et immédiate des droits. Elle confirme que, hors du cadre spécifique du référé-liberté, le requérant doit apporter la preuve circonstanciée d’un préjudice concret et imminent, la seule nature des droits en cause n’étant pas opérante pour emporter la conviction du juge.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture