Par une ordonnance en date du 26 mars 2025, le juge des référés du Conseil d’État a été saisi d’une demande de suspension d’une décision administrative. Une candidate au concours professionnel pour le recrutement de magistrats s’est vu refuser l’autorisation de participer aux épreuves par le garde des sceaux, ministre de la justice. Cette décision, confirmée après un recours gracieux, était motivée par le fait que l’intéressée ne justifiait pas des sept années d’activités professionnelles la qualifiant particulièrement pour l’exercice de fonctions judiciaires, comme l’exige l’article 23 de l’ordonnance du 22 décembre 1958. La requérante a alors saisi le juge des référés sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, invoquant l’urgence à statuer à l’approche des épreuves et un doute sérieux quant à la légalité du refus. Elle soutenait que la décision était insuffisamment motivée, entachée d’une erreur manifeste d’appréciation de son expérience professionnelle et constitutive d’une rupture d’égalité. Se posait dès lors la question de savoir si le refus d’admettre à concourir, fondé sur l’appréciation par l’administration de la nature qualifiante d’une carrière professionnelle, pouvait faire l’objet d’un contrôle approfondi du juge des référés. Le Conseil d’État rejette la requête au motif manifeste qu’aucun des moyens soulevés n’est propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée, appliquant ainsi la procédure de rejet sans instruction de l’article L. 522-3 du code de justice administrative.
La solution rendue par le juge des référés témoigne de la déférence du juge administratif envers le pouvoir d’appréciation de l’administration dans la sélection des candidats à la magistrature (I), ce qui confirme une conception stricte de son office en matière de référé-suspension (II).
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I. La consécration d’un contrôle restreint sur l’appréciation des mérites des candidats
Le juge des référés, en se fondant sur la marge d’appréciation reconnue à l’administration, opère un contrôle limité de la décision de refus (A), ce qui le conduit à écarter sommairement les autres moyens de légalité soulevés (B).
A. Le large pouvoir d’appréciation de l’administration comme obstacle au contrôle juridictionnel
La requérante, pour établir l’existence d’un doute sérieux sur la légalité du refus, détaillait un parcours professionnel diversifié de plus de sept ans, incluant des postes de technicienne contentieuse, juriste en assurances, ou encore directrice des services de greffe judiciaires. Elle estimait que cette expérience la qualifiait pour exercer des fonctions judiciaires. Le juge des référés écarte cependant cet argument en soulignant « le large pouvoir d’appréciation dont dispose le ministre ». Cette formule, classique en contentieux de la fonction publique et des concours, signifie que le juge n’entend pas substituer sa propre évaluation à celle de l’administration. Le contrôle se limite à la recherche d’une erreur manifeste, c’est-à-dire une erreur grossière, évidente, qui n’apparaît pas en l’espèce au vu « de la teneur et de la durée de chacune de ces activités ». Le Conseil d’État ne conteste pas la réalité ou la durée des expériences, mais il valide le droit pour le ministre d’en juger la pertinence qualitative au regard de l’objectif poursuivi. L’appréciation du caractère « particulièrement qualifiant » des expériences professionnelles relève ainsi d’un pouvoir discrétionnaire que le juge ne censure que dans ses excès les plus flagrants.
B. Le rejet complémentaire des moyens de légalité externe et d’égalité
Outre l’erreur manifeste d’appréciation, la requérante invoquait une insuffisance de motivation et une méconnaissance du principe d’égalité. Le juge des référés rejette également ces moyens comme n’étant manifestement pas de nature à créer un doute sérieux. Concernant la motivation, bien que la décision initiale ait pu sembler stéréotypée, le juge considère implicitement que la référence à la condition légale non remplie était suffisante dans ce contexte. Le standard de motivation exigé semble ainsi s’accommoder d’une formulation générale lorsque la décision repose sur une appréciation qualitative. Quant au moyen tiré de la rupture d’égalité, le Conseil d’État le neutralise par une considération factuelle décisive. Il relève qu’il s’agit d’un « concours professionnel organisé pour la première fois sur le fondement des dispositions précitées », rendant toute comparaison avec des candidats de sessions antérieures inopérante. Cet argument pragmatique suffit à écarter l’existence d’un doute sérieux sur ce point, sans examiner plus avant le profil des candidats admis par le passé.
Cette retenue dans l’exercice du contrôle illustre la portée limitée du référé-suspension face à un pouvoir d’appréciation étendu, ce qui n’est pas sans conséquence sur la protection des droits des candidats.
II. La portée de la décision quant à l’office du juge des référés et l’accès à la magistrature
L’ordonnance réaffirme une conception stricte de l’intervention du juge de l’urgence (A), ce qui interroge sur l’effectivité du recours pour les candidats s’estimant injustement écartés d’un concours (B).
A. L’application rigoureuse des conditions du référé-suspension
La décision est un exemple typique de l’application de l’article L. 522-3 du code de justice administrative, qui permet un rejet rapide des requêtes manifestement mal fondées. Le juge des référés, après avoir constaté qu’aucun moyen ne crée de doute sérieux, n’estime pas nécessaire de se prononcer sur la condition d’urgence. Cette approche, conforme à la lettre de l’article L. 521-1 qui impose deux conditions cumulatives, confirme que l’absence manifeste de l’une des conditions dispense le juge d’examiner l’autre. L’office du juge des référés n’est pas d’anticiper le jugement au fond mais de fournir une protection rapide contre une illégalité probable et préjudiciable. En l’absence d’une telle illégalité apparente, le mécanisme de suspension n’a pas vocation à s’appliquer. La décision illustre ainsi une forme d’économie procédurale, réservant l’instruction et l’audience aux seules affaires où un doute sérieux et crédible peut être démontré d’emblée par le requérant.
B. La consolidation du rôle de filtre de l’administration
En validant l’appréciation portée par le ministre sur les qualifications de la candidate, le juge des référés renforce le rôle de l’administration comme gardienne de l’accès aux fonctions judiciaires par la voie professionnelle. La décision montre que le respect formel des conditions, comme la durée d’exercice, ne suffit pas. L’élément qualitatif, laissé à la libre appréciation de l’administration, devient un critère déterminant et difficilement contestable en justice, sauf erreur grossière. Cette situation peut apparaître comme une source d’insécurité pour les candidats issus de parcours professionnels non linéaires ou atypiques. Si le large pouvoir d’appréciation se justifie par la nécessité de sélectionner les profils les plus adaptés aux hautes responsabilités de magistrat, son contrôle juridictionnel restreint, surtout au stade du référé, limite en pratique les possibilités pour un candidat de faire valoir la pertinence de son expérience lorsque celle-ci est discutée par l’administration.