Par une ordonnance du 30 août 2025, le juge des référés du Conseil d’État a été amené à se prononcer sur la légalité d’une interdiction de déplacement de supporters de football, dans le cadre d’une procédure d’urgence. En l’espèce, une association de supporters et une société sportive professionnelle ont sollicité la suspension de l’exécution de deux actes administratifs. Le premier, un arrêté ministériel, interdisait le déplacement des supporters d’un club pour une rencontre à l’extérieur. Le second, un arrêté préfectoral, interdisait l’accès à un stade, à ses abords et à un quartier d’une ville aux personnes se prévalant de la qualité de supporter de ce même club.
Les requérantes arguaient d’une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales, dont la liberté d’aller et venir et la liberté de réunion. Elles estimaient que le risque de troubles à l’ordre public n’était pas suffisamment avéré pour justifier des mesures aussi restrictives. L’autorité ministérielle, en défense, soutenait que les mesures étaient nécessaires et proportionnées au regard des antécédents de violence et de l’animosité persistante entre les groupes de supporters des deux équipes concernées. Il était également soutenu par les requérantes que le juge des référés du Conseil d’État était compétent pour connaître des deux arrêtés par connexité, bien qu’une instance ait déjà été engagée devant la juridiction administrative de première instance contre l’arrêté préfectoral.
Il revenait ainsi au juge des référés de déterminer si une mesure d’interdiction de déplacement de supporters, fondée sur des antécédents de violence et un contexte de tensions persistantes, constituait une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales, justifiant une suspension en urgence. En outre, il devait se prononcer sur l’étendue de sa compétence s’agissant d’un contentieux visant à la fois un arrêté ministériel et un arrêté préfectoral pour lequel une autre juridiction avait déjà statué.
Le Conseil d’État a rejeté la requête. D’une part, il s’est déclaré incompétent pour statuer sur les conclusions dirigées contre l’arrêté préfectoral. D’autre part, il a jugé que l’arrêté ministériel ne portait pas une atteinte manifestement disproportionnée aux libertés fondamentales invoquées, écartant ainsi le caractère manifestement illégal de la mesure de police administrative.
I. La compétence circonscrite du juge des référés du Conseil d’État
Le juge des référés a d’abord dû délimiter le périmètre de sa saisine, en distinguant la compétence qui lui revenait de droit pour l’acte ministériel de celle, contestée, concernant l’acte préfectoral.
A. La compétence de principe pour connaître de l’arrêté ministériel
Le Conseil d’État est compétent en premier et dernier ressort pour connaître des recours dirigés contre les actes réglementaires des ministres. L’arrêté ministériel interdisant un déplacement de supporters, pris sur le fondement de l’article L. 332-16-1 du code du sport, est considéré comme ayant un tel caractère. La compétence du juge des référés du Conseil d’État pour en apprécier la légalité dans le cadre de l’article L. 521-2 du code de justice administrative découle donc logiquement de sa compétence au fond.
La décision rappelle ainsi que la nature réglementaire de l’acte fonde la compétence directe de la haute juridiction, conformément au 2° de l’article R. 311-1 du code de justice administrative. Cette solution classique assure que les actes à portée générale émanant des plus hautes autorités administratives soient directement soumis au contrôle du juge suprême, y compris en référé, garantissant une application uniforme du droit sur le territoire national.
B. Le rejet de la connexité pour l’arrêté préfectoral
Les requérantes tentaient de faire juger l’ensemble du litige par le Conseil d’État en invoquant la connexité entre l’arrêté ministériel et l’arrêté préfectoral. Toutefois, le juge des référés a écarté cette prétention en se fondant sur une application stricte des règles de procédure. Il a relevé que le litige contre l’arrêté préfectoral n’était plus en instance devant la juridiction de premier ressort, celle-ci ayant déjà rendu son ordonnance.
Le Conseil d’État souligne que « le litige que les requérantes ont engagé en premier ressort contre l’arrêté préfectoral n’est plus pendant depuis que le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a rendu son ordonnance, qu’il appartient aux requérantes, si elles s’y croient fondées, de contester par la voie de l’appel ». En conséquence, les conditions de la connexité prévues à l’article R. 341-1 du code de justice administrative n’étaient pas réunies. Cette décision réaffirme que la prorogation de compétence ne peut jouer que pour des litiges simultanément pendants et non pour des causes déjà jugées, même en référé.
II. Le contrôle restreint de la proportionnalité de la mesure de police
Sur le fond, le juge des référés a procédé à une appréciation concrète des justifications avancées par l’administration, confirmant le caractère non manifestement illégal de l’interdiction au regard de la menace pour l’ordre public.
A. La justification de la mesure par des risques avérés pour l’ordre public
Le juge a pris en considération les nombreux éléments factuels présentés par l’autorité ministérielle pour étayer sa décision. Il a notamment retenu « la gravité des événements survenus entre supporters (…) il y a à peine deux ans, aux indices attestant de la persistance d’une vive animosité entre eux et à la fréquence des faits récents de recours à la violence ». L’ordonnance met en balance les libertés fondamentales des supporters avec les impératifs de sécurité publique.
Le raisonnement s’appuie sur une appréciation objective des risques, indépendamment du comportement individuel des personnes visées, dès lors que leur seule présence collective est jugée susceptible de provoquer des troubles graves. L’accumulation d’incidents violents, y compris lors de rencontres où des mesures d’encadrement avaient été mises en place, a été un facteur déterminant pour convaincre le juge du caractère sérieux et réel de la menace.
B. La confirmation du caractère proportionné de l’interdiction générale
Face à l’argument des requérantes selon lequel des mesures moins attentatoires aux libertés, comme un encadrement renforcé du déplacement, auraient été suffisantes, le juge des référés a exercé un contrôle de la proportionnalité. Toutefois, ce contrôle demeure restreint dans le cadre du référé-liberté, qui exige une illégalité manifeste. Le juge a estimé que les risques ne paraissaient pas « pouvoir être prévenus efficacement par de simples mesures d’encadrement ».
Il conclut ainsi qu’« il n’apparaît pas, en l’état de l’instruction, que l’arrêté litigieux porterait une atteinte manifestement disproportionnée aux libertés fondamentales invoquées ». Cette formule consacre le pouvoir d’appréciation de l’administration lorsque les faits sont particulièrement graves et récents. En intégrant également la contrainte pesant sur les forces de l’ordre, dans un contexte de forte mobilisation nationale, le juge confirme une vision pragmatique où la prévention des troubles l’emporte sur la recherche d’une solution alternative dont l’efficacité n’est pas garantie.