Juge des référés du Conseil d’État, le 31 mars 2025, n°502953

Par une ordonnance en date du 31 mars 2025, le juge des référés du Conseil d’État a été amené à se prononcer sur les conditions de suspension d’un acte administratif dans le cadre d’un recours en référé-liberté. En l’espèce, une candidate s’était vu refuser par le garde des Sceaux, ministre de la justice, l’autorisation de participer aux épreuves d’un concours professionnel de recrutement de magistrats. Cette décision de refus, datée du 3 mars 2025, était motivée par le fait que l’intéressée ne justifiait pas des sept années d’activité professionnelle la qualifiant particulièrement pour l’exercice des fonctions judiciaires, comme l’exige l’article 23 de l’ordonnance du 22 décembre 1958. La requérante, qui se prévalait d’une expérience de plus de onze ans en tant que greffière puis conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation, a saisi le juge des référés du Conseil d’État d’une demande de suspension de cette décision, en invoquant l’urgence à l’approche des épreuves et l’existence d’un doute sérieux quant à sa légalité. Elle soutenait notamment que l’administration avait commis une erreur manifeste dans l’appréciation de son parcours professionnel. La question de droit soulevée par ce litige portait donc sur le point de savoir si l’appréciation par l’administration de la nature qualifiante d’une expérience professionnelle, dans le cadre de son large pouvoir d’appréciation, pouvait être remise en cause par le juge du référé-suspension au titre d’un doute sérieux sur la légalité. Le Conseil d’État rejette la requête, considérant que le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation n’est pas, en l’état de l’instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée. Il estime en effet qu’au regard de la nature des activités exercées par la requérante et du « large pouvoir d’appréciation dont dispose le ministre », la décision de refus ne paraît pas manifestement erronée. Le juge des référés écarte ainsi la demande de suspension sans même avoir à examiner la condition d’urgence.

Cette décision illustre la retenue du juge administratif dans le contrôle de l’opportunité des choix de l’administration, y compris lorsque l’accès à un corps prestigieux de la fonction publique est en jeu. En confirmant la prééminence du pouvoir d’appréciation de l’administration dans l’évaluation des mérites des candidats (I), le juge des référés adopte une position qui, bien que juridiquement fondée, interroge sur la portée effective du contrôle juridictionnel en la matière (II).

I. La confirmation du pouvoir d’appréciation de l’administration

Le juge des référés, par cette ordonnance, rappelle avec force les limites de son office lorsqu’il est confronté à une décision qui relève de la compétence discrétionnaire de l’autorité administrative. Il applique de manière rigoureuse la condition tenant au doute sérieux sur la légalité (A) et consacre la latitude laissée au ministre pour évaluer la pertinence d’un parcours professionnel (B).

A. Une application rigoureuse de la condition du doute sérieux

Le référé-suspension, tel que défini par l’article L. 521-1 du code de justice administrative, est subordonné à deux conditions cumulatives : l’urgence et l’existence d’un « moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ». Dans la présente affaire, le juge choisit de se concentrer exclusivement sur la seconde condition, ce qui lui permet d’écarter la requête par une ordonnance de tri, conformément à l’article L. 522-3 du même code. Cette approche procédurale démontre que l’absence manifeste de doute sérieux suffit à sceller le sort de la demande, rendant superfétatoire l’examen de l’urgence, pourtant évidente en l’espèce. Le juge ne se laisse pas influencer par le préjudice imminent et certain que subirait la requérante, à savoir l’impossibilité de se présenter aux épreuves du concours. En se focalisant sur la légalité, il réaffirme que le référé-suspension n’est pas une voie de recours permettant de pallier toute situation préjudiciable, mais un mécanisme de sauvegarde conditionné par une apparence de non-conformité au droit. Le juge se refuse ainsi à transformer son office en un contrôle d’opportunité, même face à une situation humaine et professionnelle délicate.

B. La consécration d’une large marge d’appréciation ministérielle

Le cœur du raisonnement du Conseil d’État repose sur la reconnaissance du « large pouvoir d’appréciation dont dispose le ministre » pour déterminer si une expérience professionnelle qualifie particulièrement un candidat à l’exercice de fonctions judiciaires. Les dispositions de l’ordonnance de 1958 n’établissent pas de liste exhaustive des professions ou des compétences requises, laissant à l’administration le soin d’opérer une sélection qualitative. Le juge estime que l’appréciation portée sur le parcours de la requérante, notamment sur « la teneur de ses activités en qualité de greffière », ne relève pas d’une erreur de jugement si évidente qu’elle en deviendrait illégale. Le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation, par nature restreint, ne conduit le juge à censurer l’administration que si la décision est manifestement inadaptée, illogique ou disproportionnée. En l’espèce, le juge considère que, même si l’expérience de la requérante est significative dans le monde judiciaire, la décision du ministre de ne pas la juger « particulièrement qualifiante » pour devenir magistrat ne franchit pas ce seuil de l’évidence. Cette position revient à valider une interprétation stricte des conditions d’accès au concours, où la durée et le domaine d’activité ne suffisent pas à emporter la conviction de l’administration.

Si cette approche renforce la sécurité juridique des décisions administratives fondées sur une appréciation qualitative, elle n’est pas sans soulever des questions quant à la subjectivité inhérente à de telles évaluations et à l’effectivité du droit au recours.

II. La portée limitée du contrôle juridictionnel sur l’évaluation professionnelle

La solution retenue par le juge des référés, tout en étant classique dans son principe, conduit à s’interroger sur la valeur accordée à certaines expériences professionnelles (A) et sur les perspectives qu’elle dessine pour les candidats aux parcours jugés atypiques (B).

A. Une conception restrictive de l’expérience qualifiante

En refusant de voir un doute sérieux dans le rejet de la candidature, le juge entérine implicitement une hiérarchie entre les expériences professionnelles au sein du monde judiciaire. Le fait que des fonctions de greffière, exercées durant plusieurs années, ne soient pas jugées suffisamment qualifiantes pour un accès professionnel à la magistrature peut paraître sévère. Le greffier est un acteur central du fonctionnement juridictionnel, au contact direct des procédures, des magistrats et des justiciables. On pourrait légitimement soutenir qu’une telle expérience forge une connaissance pratique du droit et des institutions qui constitue un atout majeur pour de futures fonctions de juge. La décision du ministre, validée dans son principe par le juge, suggère une vision dans laquelle seules certaines professions, peut-être plus orientées vers la décision ou le conseil juridique de haut niveau, seraient véritablement « qualifiantes ». Cette interprétation restrictive pose la question de la cohérence des passerelles au sein de la fonction publique et de la reconnaissance des compétences acquises sur le terrain. Le juge, en se retranchant derrière le contrôle de l’erreur manifeste, évite de prendre position sur ce débat de fond, laissant à l’administration une quasi-souveraineté dans la définition des profils recherchés.

B. Des perspectives incertaines pour les carrières transversales

Au-delà du cas d’espèce, cette ordonnance envoie un signal fort aux fonctionnaires et professionnels du droit qui aspirent à une réorientation vers la magistrature par la voie des concours professionnels. La décision souligne que la réussite à un tel concours ne dépend pas seulement de la satisfaction de critères objectifs, mais aussi d’une évaluation subjective de la part de l’administration, difficilement contestable devant le juge de l’urgence. En précisant que l’admission antérieure de la requérante à un autre concours, le concours complémentaire, est sans incidence car « organisé sur un fondement et selon des modalités distinctes », le juge renforce l’idée que chaque voie de recrutement obéit à une logique propre et que les appréciations ne sont pas transposables. Cette situation crée une forme d’insécurité pour les candidats qui, malgré un investissement professionnel important dans des secteurs connexes à la justice, peuvent voir leur parcours jugé insuffisant sans pouvoir obtenir une suspension rapide de la décision qui leur fait grief. La solution, par sa rigueur, pourrait ainsi décourager des vocations et limiter la diversification des profils au sein du corps judiciaire, un objectif pourtant régulièrement affiché par les pouvoirs publics.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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