Juge des référés du Conseil d’État, le 5 mars 2025, n°501825

Par une ordonnance du 5 mars 2025, le juge des référés du Conseil d’État a précisé les contours de la condition d’urgence dans le cadre d’une procédure de référé-suspension. En l’espèce, plusieurs associations et personnes physiques demandaient la suspension de l’exécution d’un arrêté ministériel et de sa circulaire d’application fixant un nouveau programme d’éducation à la sexualité. Ces textes, destinés à être mis en œuvre dans les établissements scolaires à la rentrée de l’année 2025-2026, faisaient l’objet d’un recours en annulation parallèle. Les requérants soutenaient que l’application imminente de ce programme portait une atteinte grave à plusieurs libertés fondamentales, notamment la primauté éducative des parents, le droit au respect de la vie privée et le principe de neutralité du service public. Se posait alors au juge la question de savoir si l’imminence de la mise en application d’un texte réglementaire, combinée à la seule allégation d’atteintes à des droits et libertés, suffisait à caractériser une situation d’urgence au sens de l’article L. 521-1 du code de justice administrative. Le Conseil d’État rejette la requête, estimant que la condition d’urgence n’est pas remplie, au motif que les éléments avancés par les requérants ne suffisent pas à la caractériser et que, de surcroît, le jugement au fond de l’affaire pourra intervenir avant l’application effective des actes contestés.

L’ordonnance illustre ainsi une application rigoureuse de la condition d’urgence (I), dont l’appréciation se trouve en pratique neutralisée par les garanties offertes quant au calendrier de la procédure au fond (II).

I. Une conception rigoureuse de la condition d’urgence

Le juge des référés fonde sa décision sur une appréciation stricte de l’urgence, en rappelant d’abord sa définition classique (A) avant de l’appliquer de manière concrète aux arguments soulevés par les requérants (B).

A. Le rappel de la double exigence de gravité et d’immédiateté de l’atteinte

L’ordonnance prend soin de rappeler les critères d’appréciation de la condition d’urgence, s’inscrivant dans une jurisprudence constante. Le juge énonce que « L’urgence justifie que soit prononcée la suspension d’un acte administratif lorsque l’exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre ». Cette formule consacre une double exigence. L’atteinte portée par la décision administrative doit être non seulement suffisamment grave, c’est-à-dire qu’elle doit affecter de manière substantielle les intérêts en cause, mais également immédiate, impliquant que ses effets préjudiciables se produiraient avant que le juge du fond ait pu statuer. L’appréciation de ces deux critères est cumulative et relève d’une analyse concrète des circonstances de chaque espèce, laissant une marge d’appréciation souveraine au juge des référés.

B. Le rejet des atteintes alléguées comme insuffisantes à établir l’urgence

Face à la longue liste d’arguments avancés par les requérants, le juge opère un examen synthétique et conclut à leur insuffisance. Les requérants invoquaient des atteintes à la primauté éducative des parents, à l’autorité parentale, au droit à l’éducation, au droit à la vie privée, au droit à la santé, et au principe de neutralité. Toutefois, le juge des référés estime que « ces éléments ne sont pas de nature à caractériser l’urgence à ordonner la mesure demandée ». En statuant ainsi, il ne se prononce pas sur le bien-fondé des moyens relatifs à la légalité des actes, mais considère que la simple invocation de ces principes, aussi fondamentaux soient-ils, ne suffit pas à démontrer en quoi leur application imminente créerait un préjudice justifiant une suspension. L’appréciation de l’urgence demeure ainsi distincte de celle du doute sérieux quant à la légalité, et exige des requérants la preuve d’un préjudice concret et actuel.

II. La neutralisation de l’urgence par le calendrier prévisionnel du jugement au fond

Au-delà de l’appréciation des préjudices, la décision repose de manière déterminante sur un élément de procédure, à savoir la célérité de l’instruction au fond (A), ce qui a pour effet de réduire la portée pratique du référé-suspension dans ce type de contentieux (B).

A. L’engagement d’un jugement rapide comme critère d’appréciation de l’urgence

Le second motif de rejet de la condition d’urgence est particulièrement éclairant sur la logique du référé-suspension. Le juge des référés précise en effet que « la 4ème chambre de la section du contentieux sera en mesure d’inscrire la requête en annulation des requérants au rôle d’une formation de jugement avant la rentrée scolaire 2025-2026 ». Cet engagement de la juridiction à statuer sur le recours en annulation avant que les actes contestés ne produisent leurs pleins effets vient priver d’objet la demande de suspension. L’urgence s’apprécie en effet au regard de la nécessité de prévenir un préjudice irréversible dans l’attente du jugement au fond. Si ce jugement peut être rendu à temps pour éviter ce préjudice, la suspension perd sa raison d’être. L’immédiateté de l’atteinte disparaît donc, non pas en raison de la nature de l’acte, mais du fait de la diligence de la justice administrative elle-même.

B. La portée de la décision sur la stratégie contentieuse des requérants

Cette décision met en lumière le caractère subsidiaire et purement conservatoire du référé-suspension. En garantissant un jugement au fond dans des délais compatibles avec la prévention du dommage allégué, le juge administratif peut légitimement écarter la condition d’urgence. Pour les justiciables, cette solution implique que le référé-suspension n’est pas une voie de recours systématiquement ouverte contre tout texte réglementaire à application différée. La stratégie contentieuse doit tenir compte de la capacité du juge du fond à se prononcer rapidement. La présente ordonnance confirme que le référé-suspension n’a pas vocation à offrir un pré-jugement de l’affaire, mais bien à garantir l’effectivité de la décision à intervenir lorsque le temps nécessaire à cette dernière risquerait de rendre la situation irréversible.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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