Par une ordonnance en date du 7 mai 2025, le juge des référés du Conseil d’État a été saisi d’une question relative à la suspension d’une mesure de radiation des cadres prise à l’encontre d’un officier général.
En l’espèce, un général de brigade en deuxième section a fait l’objet d’un décret du Président de la République le radiant des cadres par mesure disciplinaire, au motif d’un manquement à son obligation de réserve. L’officier a saisi le juge des référés du Conseil d’État sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, afin d’obtenir la suspension de l’exécution de ce décret. Il soutenait que la condition d’urgence était satisfaite en raison de l’atteinte grave et immédiate portée à son honneur et à sa réputation, ainsi qu’à sa liberté d’expression. Le requérant invoquait également l’existence de plusieurs moyens propres à créer un doute sérieux sur la légalité de la sanction, tenant notamment à des vices de procédure, une inexactitude matérielle des faits, un défaut de motivation, une erreur manifeste d’appréciation et un détournement de pouvoir.
Il revenait donc au juge des référés de déterminer si l’invocation d’une atteinte à l’honneur et à la réputation, formulée en des termes généraux, suffisait à caractériser la condition d’urgence exigée par l’article L. 521-1 du code de justice administrative pour suspendre l’exécution d’une sanction disciplinaire.
Le Conseil d’État rejette la requête. Il juge que le requérant, « en se bornant, pour justifier l’urgence à suspendre l’exécution de la décision contestée, à faire valoir en termes généraux que sa radiation des cadres porte atteinte à son honneur et à la considération dont il jouit », n’apporte pas les éléments concrets de nature à établir qu’une atteinte grave et immédiate serait portée à sa situation. Par conséquent, la condition d’urgence n’étant pas remplie, le juge des référés écarte la demande de suspension sans examiner les moyens relatifs au doute sérieux sur la légalité de l’acte.
Cette décision illustre l’application rigoureuse de la condition d’urgence par le juge du référé-suspension (I), condition dont l’absence suffit à elle seule à faire obstacle à la suspension, confirmant ainsi la portée limitée de l’office du juge de l’urgence (II).
I. L’appréciation stricte de la condition d’urgence, critère autonome du référé-suspension
Le juge des référés, par une application orthodoxe des textes, rappelle que l’urgence doit être démontrée de manière objective (A) et que la charge de cette preuve circonstanciée pèse sur le seul requérant (B).
A. Le caractère objectif et circonstancié de l’atteinte grave et immédiate
Le juge administratif exerce un contrôle concret de la condition d’urgence, laquelle « doit être appréciée objectivement et compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire ». En l’espèce, le requérant invoquait un préjudice moral et une atteinte à sa réputation, préjudices souvent allégués dans le cadre de sanctions disciplinaires. Toutefois, le juge des référés estime que de telles allégations, aussi sérieuses soient-elles sur le plan personnel, ne sauraient suffire. Il refuse de présumer l’urgence du seul fait de la nature de la sanction.
La décision souligne que l’atteinte doit être non seulement grave, mais également immédiate. Le juge rejette ainsi une conception purement subjective de l’urgence, qui se contenterait du sentiment d’injustice ou du trouble moral ressenti par le requérant. Il exige la démonstration d’effets concrets, tangibles et actuels résultant de l’exécution de l’acte. L’ordonnance oppose ainsi les « termes généraux » de l’argumentation du requérant à la nécessité d’apporter des « éléments de nature à établir » la réalité du préjudice.
B. La charge de la preuve pesant sur le requérant
L’ordonnance met en évidence un principe fondamental de la procédure de référé : il appartient au demandeur de fournir au juge les justifications propres à caractériser l’urgence. Le juge ne peut suppléer la carence du requérant dans l’administration de la preuve. En l’occurrence, le militaire se contentait d’affirmer l’existence d’une atteinte à son honneur, sans produire d’éléments matériels précis permettant d’en mesurer la gravité et l’immédiateté.
Le Conseil d’État précise que le requérant « n’apporte pas d’éléments de nature à établir que la poursuite de l’exécution de cette décision porterait une atteinte grave et immédiate à sa réputation ». Cette formule souligne que l’argumentation doit être étayée par des pièces ou des faits spécifiques. Le requérant aurait pu, par exemple, produire des articles de presse le diffamant nommément ou des témoignages concrets démontrant une dégradation effective et soudaine de sa situation sociale ou professionnelle. Faute de tels éléments, l’urgence n’est pas constituée et la requête ne peut prospérer.
Cette solution, bien que sévère pour le requérant, réaffirme la nature même du référé-suspension, qui demeure une procédure d’exception justifiée par des circonstances particulières que le demandeur doit impérativement prouver.
II. Une décision d’espèce confirmant la portée de l’office du juge des référés
Le rejet de la requête pour défaut d’urgence dispense le juge d’examiner le fond du dossier (A), ce qui inscrit la présente ordonnance dans la lignée d’une jurisprudence constante et la prive de toute portée prétorienne nouvelle (B).
A. L’économie de l’analyse du doute sérieux sur la légalité
L’article L. 521-1 du code de justice administrative pose deux conditions cumulatives : l’urgence et l’existence d’un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision. Si l’une de ces deux conditions fait défaut, l’autre n’a pas à être examinée. C’est ce que le Conseil d’État applique ici sans détour, en précisant qu’il n’y a pas lieu de « statuer sur l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ».
Cette économie de moyens est une caractéristique essentielle de l’office du juge des référés. Elle lui permet de statuer rapidement sans avoir à se prononcer, même de manière provisoire, sur les questions de droit complexes soulevées par le requérant. Pour ce dernier, la conséquence est double : non seulement il n’obtient pas la suspension espérée, mais il ne recueille aucun indice sur les chances de succès de son recours au fond. Les nombreux moyens de légalité qu’il avait soulevés, dont certains paraissaient pertinents, restent donc entièrement en suspens jusqu’au jugement de l’affaire par la formation collégiale.
B. Une application classique et casuistique du référé-suspension
Cette ordonnance constitue une décision d’espèce, sa solution étant entièrement dictée par l’insuffisance de l’argumentation factuelle du requérant. Elle n’opère aucun revirement de jurisprudence et ne crée aucune nouvelle règle de droit. Elle se borne à appliquer avec rigueur une grille d’analyse bien établie, rappelant que l’appréciation de l’urgence relève d’un examen souverain et concret des faits de chaque affaire par le juge.
En cela, la décision a une portée pédagogique. Elle rappelle aux justiciables et à leurs conseils que la condition d’urgence ne doit jamais être considérée comme une simple clause de style. Elle constitue un véritable verrou procédural qui doit être préparé avec le plus grand soin, par la collecte d’éléments de preuve précis et circonstanciés. La solution retenue confirme que le référé-suspension n’est pas une voie de recours destinée à pallier l’émoi suscité par une décision administrative, mais un mécanisme de protection exceptionnel contre des préjudices démontrés comme étant à la fois graves et immédiats.