Par une ordonnance du 23 septembre 2025, le juge des référés du Conseil d’État a été amené à se prononcer sur les conditions de la récusation d’un expert désigné dans le cadre d’une procédure d’urgence. En l’espèce, à la suite d’une décision avant dire droit ayant ordonné une expertise médicale concernant l’état de santé d’un patient, la famille de ce dernier a sollicité la récusation des deux médecins experts désignés. Cette demande a été formée sur le fondement des dispositions du code de justice administrative relatives à l’impartialité des experts. L’établissement hospitalier en charge du patient s’est opposé à cette demande, tout comme les experts mis en cause qui ont contesté les motifs avancés par la famille. La question de droit qui se posait au juge des référés était donc de déterminer si les éléments avancés par les requérants étaient suffisants pour caractériser un motif légitime de récusation. Le Conseil d’État rejette la demande au motif qu’il n’existe aucune « raison sérieuse de mettre en doute » l’impartialité des experts désignés.
L’ordonnance commentée, bien que statuant sur une question de pure procédure, illustre avec clarté le régime de la récusation des experts en contentieux administratif, lequel est organisé autour d’un formalisme strict (I), tout en laissant au juge une marge d’appréciation souveraine quant au bien-fondé de la demande (II).
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I. Le cadre procédural strict de la récusation d’expert
L’ordonnance rappelle implicitement que la contestation de la désignation d’un expert est enserrée dans un dispositif procédural précis (A), conférant au juge un office particulier dans le contrôle des motifs invoqués (B).
A. Une procédure contradictoire encadrée par le code
La décision du 23 septembre 2025 s’inscrit dans le respect scrupuleux des articles R. 621-6-1 et suivants du code de justice administrative, que le premier considérant prend soin de viser. La procédure de récusation y est décrite comme un incident contradictoire qui garantit les droits de chaque intervenant. La partie qui initie la demande doit non seulement justifier d’un pouvoir spécial si elle est représentée, mais surtout, à peine d’irrecevabilité, exposer les motifs de sa demande et fournir les pièces justificatives. Cette exigence initiale vise à écarter les demandes dilatoires ou manifestement infondées qui entraveraient le déroulement de l’expertise.
Le code organise ensuite un échange contradictoire en imposant la communication de la demande à l’expert concerné. Celui-ci dispose d’un droit de réponse, lui permettant soit d’acquiescer à la récusation, ce qui entraîne son remplacement immédiat, soit de s’y opposer en présentant ses propres observations. En l’espèce, les deux experts désignés ont usé de cette faculté pour contester les raisons invoquées par la famille du patient, ce qui a conduit le juge à trancher le litige incident. Ce mécanisme garantit que la décision du juge sera éclairée par les arguments de toutes les parties à l’incident, y compris celui dont l’impartialité est mise en cause.
B. L’office du juge dans le contrôle de la demande
Une fois l’instruction de l’incident achevée, il revient à la juridiction de statuer. L’article R. 621-6-4 du code de justice administrative dispose que la juridiction « se prononce sur la demande, après audience publique ». La publicité des débats constitue une garantie fondamentale pour les parties, qui peuvent y présenter oralement leurs observations. Cependant, et c’est une particularité notable, le même article précise que la décision rendue est « non motivée ». Cette dispense de motivation, dérogatoire au droit commun, se justifie par la nature de l’incident et la nécessité de ne pas retarder excessivement la mesure d’instruction.
Toutefois, l’ordonnance commentée ne se contente pas d’un simple dispositif de rejet. Son second considérant, bien que très bref, énonce la raison de la solution retenue : « En l’absence de toute raison sérieuse de mettre en doute leur impartialité ». Le juge des référés, sans être tenu de répondre à tous les arguments, fournit ainsi le fondement de son appréciation. Cette motivation sommaire, mais existante, permet de concilier l’exigence de célérité avec le droit des justiciables à comprendre le sens d’une décision qui affecte le déroulement de leur procès.
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II. L’appréciation souveraine de l’impartialité de l’expert
Le rejet de la demande de récusation repose entièrement sur l’appréciation portée par le juge sur les motifs invoqués, ce qui met en lumière la consistance de la notion de « raison sérieuse » (A) et confirme la portée limitée d’une telle décision, essentiellement liée aux circonstances de l’espèce (B).
A. L’exigence d’une « raison sérieuse » de douter de l’impartialité
En énonçant qu’il n’y a pas lieu de faire droit à la demande « en l’absence de toute raison sérieuse de mettre en doute » l’impartialité des experts, le juge des référés du Conseil d’État applique un standard jurisprudentiel constant. Le simple doute subjectif d’une partie ou une allégation générale ne sauraient suffire à justifier une mesure aussi grave que la récusation. Il est nécessaire d’apporter des éléments objectifs, précis et concordants, susceptibles de créer une suspicion légitime dans l’esprit d’un observateur impartial.
La notion de « raison sérieuse » confère au juge un pouvoir souverain d’appréciation. C’est à lui qu’il appartient de peser les arguments et les pièces versées au débat pour déterminer si les liens, opinions ou comportements passés de l’expert sont de nature à compromettre réellement sa neutralité dans la mission qui lui est confiée. Ce standard exigeant protège les experts contre des contestations abusives et préserve l’efficacité des mesures d’instruction ordonnées par le juge. Il assure un équilibre entre le droit à un procès équitable, qui suppose une expertise impartiale, et les nécessités de la bonne administration de la justice, qui commandent d’éviter les manœuvres dilatoires.
B. La portée limitée d’une décision d’espèce
La solution retenue par l’ordonnance du 23 septembre 2025 est avant tout une décision d’espèce, dont la portée doit être mesurée. Elle ne crée pas un principe nouveau mais se borne à faire application des règles existantes à une situation factuelle particulière. Sa valeur réside principalement dans sa fonction pédagogique : elle rappelle aux justiciables que la récusation d’un expert est une voie de droit exceptionnelle, dont le succès est subordonné à la démonstration rigoureuse d’un risque avéré de partialité.
En rejetant la demande, le juge des référés permet à la procédure de suivre son cours et à la mesure d’expertise, jugée nécessaire à la manifestation de la vérité, de se dérouler sans plus de délai. Dans le cadre d’un référé, où l’urgence est par nature un élément central, cette issue confirme que l’incident de récusation ne doit pas devenir un instrument permettant de paralyser l’instance. La décision réaffirme ainsi le rôle central du juge administratif, non seulement dans le choix de l’expert, mais aussi dans la protection de sa mission contre des contestations qui ne reposeraient pas sur des motifs d’une gravité suffisante.