MURASOVA c. ITALIE

Par une communication du 23 juin 2025, la Cour européenne des droits de l’homme a soulevé plusieurs questions préjudicielles dans une affaire concernant la condamnation d’une personne pour meurtre par une juridiction d’appel, alors que la première instance l’avait reconnue coupable d’un délit moins grave. Une personne, poursuivie pénalement, avait été condamnée en première instance par une cour d’assises pour homicide involontaire, les juges retenant un excès involontaire de légitime défense. Sur appel, vraisemblablement du ministère public, la cour d’assises d’appel de Milan a infirmé ce jugement et, statuant à nouveau, a déclaré l’accusée coupable de meurtre. Cette requalification et la condamnation subséquente ont été prononcées sans que la juridiction de second degré n’ait procédé à une nouvelle audition de l’intéressée ni des témoins entendus lors du premier procès. Saisis par la personne condamnée, les juges européens ont donc posé aux parties deux questions distinctes. Il s’agissait de déterminer si une cour d’appel peut, sans procéder à de nouvelles auditions, réformer en défaveur de l’accusé une décision de première instance en procédant à une nouvelle appréciation des faits et de l’intention coupable de l’intéressé. À travers ses interrogations, la Cour suggère que la modification de la déclaration de culpabilité pour un crime plus grave exige une confrontation directe avec l’accusé et les preuves testimoniales, conformément aux garanties du procès équitable.

Le raisonnement de la Cour européenne se déploie en deux temps. D’une part, il interroge la compatibilité d’une condamnation aggravée en appel avec l’absence d’audition personnelle de l’accusé, ce qui touche au cœur du droit à un procès équitable (I). D’autre part, il questionne la validité d’une telle décision lorsque celle-ci est fondée sur une réévaluation des témoignages sans que les témoins aient été de nouveau entendus par les juges d’appel, ce qui met en cause le principe d’immédiateté de la preuve (II).

I. La réformation de la culpabilité en appel au mépris du droit à une audience personnelle

La première question soulevée par la Cour porte sur le manquement potentiel aux garanties du procès équitable lorsque la condamnation pour une infraction plus grave est prononcée en l’absence de l’accusé devant la juridiction d’appel. Cette situation met en lumière la tension entre la souveraineté d’appréciation des juges du fond et les droits de la défense, particulièrement lorsque la requalification des faits repose sur une nouvelle analyse de l’élément intentionnel (A), ce qui rend indispensable une examination directe et contradictoire de la personne poursuivie (B).

A. L’aggravation de la charge sur la base du dossier

En l’espèce, la juridiction de second degré a transformé une condamnation pour homicide involontaire en une condamnation pour meurtre. Ce passage d’une qualification à l’autre n’est pas anodin, car il suppose une appréciation radicalement différente de l’état d’esprit de l’accusé au moment des faits. Les premiers juges avaient retenu un « excès involontaire de légitime défense », tandis que les seconds ont conclu à l’existence d’une intention homicide. Or, cette réévaluation a été faite sans que la cour d’assises d’appel n’entende personnellement la requérante. La Cour européenne des droits de l’homme s’interroge donc sur le fait que la « condamnation de la requérante par la cour d’assises d’appel de Milan sans être entendue personnellement a porté atteinte aux principes du procès équitable ». Cette interrogation suggère qu’une telle modification, loin d’être une simple révision en droit, constitue une nouvelle appréciation des faits qui ne peut se faire sur la seule base des pièces du dossier.

B. L’exigence d’une confrontation directe avec l’accusé

La jurisprudence constante de la Cour européenne, rappelée dans les visas de la communication, établit que lorsqu’une juridiction d’appel est amenée à statuer sur la culpabilité d’un accusé en réexaminant des questions de fait et de crédibilité, une audition directe de ce dernier est généralement requise. L’appréciation de l’intention, de la personnalité et de la fiabilité des déclarations d’un accusé est un exercice qui peut difficilement être mené à bien à partir de simples procès-verbaux. Le passage d’un homicide involontaire, où l’intention de tuer est absente, à un meurtre, qui la présuppose, exige une analyse fine de l’élément psychologique de l’infraction. Seule une confrontation directe permet aux juges de forger leur intime conviction en observant le comportement de l’accusé et en le soumettant à un interrogatoire contradictoire, garantissant ainsi pleinement les droits de la défense.

Au-delà de l’absence de l’accusé, la Cour s’est également penchée sur la méthode d’appréciation des preuves testimoniales par la juridiction d’appel, prolongeant ainsi sa réflexion sur les exigences d’un procès équitable.

II. L’appréciation indirecte des témoignages et l’exigence d’immédiateté de la preuve

La seconde interrogation de la Cour concerne la violation potentielle de l’article 6 de la Convention en raison de l’absence de nouvelle audition des témoins en appel. Cette question met en exergue l’importance du principe d’immédiateté dans l’administration de la justice pénale, d’abord en soulignant les limites d’une justice fondée sur la relecture des dépositions (A), ensuite en rappelant la nécessité pour le juge qui condamne d’avoir perçu directement la substance de la preuve (B).

A. Le refus de procéder à une nouvelle audition des témoins

La cour d’assises d’appel a fondé sa décision sur les déclarations testimoniales recueillies durant le procès de première instance, sans juger utile de procéder à une nouvelle audition. La Cour européenne demande si « l’absence de nouvelle audition par ladite cour d’assises d’appel des témoins qui avaient rendu des déclarations devant la cour de première instance a-t-elle intégré une violation de l’article 6 § 1 de la Convention ». En posant cette question, la Cour suggère que le simple examen des transcriptions d’auditions est insuffisant lorsque la crédibilité et l’interprétation des témoignages sont au cœur de la décision de culpabilité. Les juges d’appel, en choisissant de ne pas réentendre les témoins, se sont privés de la possibilité de percevoir directement des éléments non verbaux essentiels tels que l’assurance, l’hésitation ou le langage corporel, qui contribuent à l’évaluation de la fiabilité d’un témoignage.

B. La nécessité d’une perception directe de la preuve testimoniale

Le principe d’immédiateté exige que la preuve soit administrée devant le juge qui est appelé à statuer. Lorsqu’une juridiction d’appel est conduite non seulement à réviser l’application du droit, mais aussi à réapprécier entièrement les faits, elle doit le faire en respectant les mêmes garanties qu’en première instance. Cela inclut le droit pour l’accusation et la défense d’interroger les témoins devant les juges qui auront la responsabilité finale de la décision. S’appuyer sur de simples retranscriptions place les parties dans une situation inégale, car le débat contradictoire ne porte plus sur une preuve vivante mais sur un document figé. La référence à l’arrêt *Lorefice c. Italie* confirme que, pour la Cour, la possibilité pour un accusé de confronter les témoins à charge devant les juges qui le condamnent est une composante fondamentale du procès équitable.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture