Première chambre civile de la Cour de cassation, le 2 juillet 2025, n°23-15.190

Par un arrêt du 2 juillet 2025, la première chambre civile de la Cour de cassation s’est prononcée sur les limites du pouvoir juridictionnel du juge au regard des demandes formulées par les parties dans un litige relatif à la résidence des enfants.

En l’espèce, trois enfants sont issus de l’union de deux personnes. Un jugement du 7 mars 2019 avait fixé les modalités d’exercice de l’autorité parentale. Le père a sollicité la modification de ces modalités le 23 septembre 2021. Par jugement du 7 avril 2022, le tribunal a maintenu la résidence habituelle des enfants au domicile de la mère, fixé les modalités du droit de visite et d’hébergement du père et organisé ce droit à compter du départ des enfants avec leur mère au Canada prévu à l’été 2022.

Le père a interjeté appel de cette décision. Dans ses conclusions d’appel, il sollicitait la fixation de la résidence habituelle des enfants à son domicile. La mère demandait quant à elle le maintien de la résidence des enfants à son propre domicile, situé au Canada selon les constatations de la cour d’appel. Par arrêt du 23 mars 2023, la cour d’appel de Versailles a fixé la résidence des trois enfants en France au plus tard à compter du 15 juillet 2023, chez la mère si elle revenait s’y établir à cette date, chez le père si la mère ne justifiait pas de son retour effectif en France avec les enfants.

La mère a formé un pourvoi en cassation. Elle reprochait à la cour d’appel d’avoir statué au-delà des demandes des parties en fixant une résidence en France conditionnelle qu’aucune des parties n’avait sollicitée.

La question posée à la Cour de cassation était de savoir si le juge peut, dans un litige relatif à la résidence des enfants, prononcer une mesure qu’aucune des parties n’a demandée.

La Cour de cassation casse partiellement l’arrêt au visa des articles 4 et 5 du code de procédure civile. Elle énonce qu’« il résulte de ces textes que le juge, lié par les conclusions des parties, doit se prononcer seulement sur ce qui est demandé ». Elle relève que le père sollicitait la résidence chez lui tandis que la mère demandait le maintien de la résidence à son domicile canadien. En statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

Cet arrêt rappelle le principe dispositif qui gouverne le procès civil (I) tout en soulevant la question de son articulation avec l’intérêt supérieur de l’enfant (II).

I. La réaffirmation du principe dispositif en matière familiale

Le principe dispositif constitue un pilier du procès civil (A). Son application en matière de résidence des enfants présente toutefois des particularités (B).

A. L’office du juge borné par les prétentions des parties

La Cour de cassation fonde sa décision sur les articles 4 et 5 du code de procédure civile. L’article 4 dispose que « l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ». L’article 5 précise que « le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé ».

Ces dispositions consacrent le principe dispositif selon lequel les parties sont maîtresses de la matière litigieuse. Le juge ne peut ni omettre de statuer sur une demande ni accorder ce qui n’a pas été sollicité. Cette règle trouve son fondement dans le caractère accusatoire de la procédure civile française.

En l’espèce, la cour d’appel de Versailles avait imaginé une solution médiane. Elle fixait la résidence en France de manière conditionnelle selon que la mère reviendrait ou non s’y établir. Cette construction ne correspondait à aucune des demandes. Le père sollicitait la résidence chez lui. La mère demandait le maintien au Canada. Aucun n’avait envisagé un retour conditionnel en France.

La cassation était inévitable. Le juge avait excédé les bornes de sa saisine en créant une option que les parties n’avaient pas soumise à son examen.

B. L’interdiction de statuer ultra petita dans le contentieux familial

Le contentieux relatif à la résidence des enfants obéit aux règles communes de procédure civile. Le juge aux affaires familiales puis la cour d’appel doivent respecter le cadre fixé par les conclusions des parties.

La décision commentée illustre les difficultés que peut rencontrer le juge face à des demandes antagonistes dans un contexte d’éloignement géographique. Le père souhaitait que les enfants vivent en France auprès de lui. La mère entendait les garder au Canada où elle s’était installée. Aucune position intermédiaire n’était proposée.

La cour d’appel de Versailles a tenté de construire une solution qu’elle estimait peut-être plus équilibrée. Elle conditionnait la résidence au retour de la mère en France avant une date déterminée. Cette approche témoigne d’une volonté de préserver les liens des enfants avec leurs deux parents sur le territoire français.

Cette intention louable se heurtait cependant au cadre procédural. Le juge ne dispose pas du pouvoir de reformuler les demandes des parties ni d’en créer de nouvelles. La Cour de cassation sanctionne logiquement cette initiative.

II. Les tensions entre office du juge et protection de l’enfant

L’application stricte du principe dispositif peut sembler entrer en contradiction avec la mission du juge de protéger l’intérêt de l’enfant (A). L’arrêt invite à réfléchir aux moyens dont dispose le juge pour concilier ces impératifs (B).

A. L’intérêt supérieur de l’enfant face aux limites procédurales

L’article 373-2-6 du code civil confère au juge aux affaires familiales le pouvoir de « prendre les mesures permettant de garantir la continuité et l’effectivité du maintien des liens de l’enfant avec chacun de ses parents ». L’intérêt supérieur de l’enfant constitue le critère directeur de toute décision le concernant conformément à l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant.

La question se pose de savoir si ces dispositions substantielles peuvent justifier que le juge s’affranchisse des règles procédurales. La réponse de la Cour de cassation est négative. Le principe dispositif s’impose même lorsque l’intérêt de l’enfant pourrait commander une autre solution que celles proposées par les parties.

Cette position se justifie par la nécessité de préserver les garanties du procès équitable. Les parties doivent pouvoir débattre contradictoirement de toute mesure envisagée. Une décision surprise, non sollicitée et non débattue, porte atteinte à leurs droits procéduraux.

L’arrêt rappelle ainsi que la protection de l’enfant doit s’exercer dans le cadre des règles processuelles. Le juge ne peut substituer son appréciation à la volonté des parties quant à la définition de l’objet du litige.

B. Les voies de conciliation entre principes procéduraux et protection de l’enfant

L’arrêt n’interdit pas au juge de rechercher la meilleure solution pour l’enfant. Il lui impose simplement de le faire dans le respect du cadre procédural.

Le juge dispose de moyens pour susciter le débat sur des options non initialement envisagées. L’article 16 du code de procédure civile lui permet d’inviter les parties à fournir des explications de fait ou de droit qu’il estime nécessaires. Il peut également recourir à des mesures d’instruction ou ordonner une enquête sociale pour éclairer sa décision.

La voie la plus appropriée aurait consisté pour la cour d’appel à rouvrir les débats. Elle aurait pu inviter les parties à s’expliquer sur la possibilité d’un retour de la mère en France avec les enfants. Les parties auraient alors pu adapter leurs demandes ou maintenir leurs positions respectives en toute connaissance de cause.

L’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Versailles autrement composée. La juridiction de renvoi devra statuer sur la base des demandes des parties. Elle ne pourra pas reprendre la solution conditionnelle censurée sauf si les parties modifient leurs prétentions en ce sens. La mère conserve la possibilité de demander le maintien de la résidence au Canada. Le père peut maintenir sa demande de résidence en France à son domicile. La cour d’appel de renvoi devra trancher entre ces deux options sans pouvoir en imaginer une troisième.

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Hassan KOHEN
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