Première chambre civile de la Cour de cassation, le 25 juin 2025, n°24-10.259

L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 25 juin 2025 illustre les difficultés procédurales que soulève l’articulation entre les décisions du juge de la mise en état et l’ouverture du pourvoi en cassation. Une société avait obtenu un permis de construire pour édifier une maison individuelle sur une parcelle voisine de celle de deux particuliers. En raison des nuisances occasionnées par les travaux de terrassement, les parties ont conclu une transaction le 9 juin 2020. Cet accord fixait un délai pour la réalisation des travaux et prévoyait le paiement de pénalités en cas de dépassement ainsi qu’une indemnité forfaitaire. Se prévalant d’un dépassement du délai convenu, les voisins ont assigné la société en paiement de différentes sommes, dont une indemnité de 50 000 euros. La société défenderesse a opposé une fin de non-recevoir tirée de la transaction conclue. Par ordonnance du 8 novembre 2022, le juge de la mise en état a écarté cette fin de non-recevoir. La cour d’appel d’Aix-en-Provence, par arrêt du 19 octobre 2023, a infirmé cette ordonnance et déclaré les demandeurs irrecevables en leur demande relative à l’indemnité forfaitaire. Les demandeurs ont formé un pourvoi en cassation. La société défenderesse a opposé l’irrecevabilité de ce pourvoi, soutenant qu’il ne pouvait être formé qu’avec la décision rendue sur le fond. La question posée à la Cour de cassation était de déterminer si un arrêt accueillant une fin de non-recevoir tirée de l’existence d’une transaction, sans mettre fin à l’instance ni se prononcer sur le fond, peut faire l’objet d’un pourvoi immédiat. La première chambre civile a décidé de transmettre cette question pour avis à la deuxième chambre civile en application de l’article 1015-1 du code de procédure civile. Elle a sursis à statuer dans l’attente de cette réponse. Cette décision met en lumière l’incertitude entourant la recevabilité immédiate du pourvoi contre les arrêts statuant sur des fins de non-recevoir partielles (I), tout en révélant les enjeux procéduraux liés au mécanisme de consultation entre chambres de la Cour de cassation (II).

I. L’incertitude sur la recevabilité immédiate du pourvoi contre un arrêt statuant sur une fin de non-recevoir partielle

La question transmise révèle une tension entre le principe de concentration des voies de recours et la protection des droits des justiciables. L’arrêt commenté interroge tant les conditions d’ouverture immédiate du pourvoi (A) que l’incidence de la nature de la fin de non-recevoir opposée (B).

A. Les conditions restrictives d’ouverture immédiate du pourvoi en cassation

L’article 544 du code de procédure civile pose le principe selon lequel les jugements qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal sont susceptibles d’appel immédiat. Par analogie, l’article 608 du même code prévoit que le pourvoi en cassation est ouvert contre les jugements rendus en dernier ressort. La question se pose de savoir si un arrêt accueillant une fin de non-recevoir partielle peut être qualifié de décision tranchant une partie du principal.

La Cour de cassation a traditionnellement admis que « l’arrêt qui statue sur une fin de non-recevoir tranche une partie du principal » lorsqu’il met définitivement fin au litige sur ce chef de demande. L’arrêt commenté présente cette particularité : la fin de non-recevoir ne porte que sur l’un des chefs de demande, tandis que le tribunal judiciaire doit encore statuer sur les autres demandes dont la recevabilité n’est pas contestée. Cette configuration procédurale crée une incertitude sur le caractère immédiatement attaquable de l’arrêt.

La société défenderesse soutient que le pourvoi ne peut être formé qu’avec la décision sur le fond. Cette position s’inscrit dans une logique de bonne administration de la justice visant à éviter la multiplication des recours. Elle repose sur l’idée que l’arrêt n’a pas mis fin à l’instance, laquelle se poursuit devant le tribunal judiciaire pour les autres chefs de demande.

B. L’incidence particulière de la fin de non-recevoir tirée de la transaction

La fin de non-recevoir opposée repose sur l’existence d’une transaction entre les parties. L’article 2052 du code civil dispose que la transaction a, entre les parties, l’autorité de la chose jugée en dernier ressort. Cette assimilation à l’autorité de chose jugée confère à la fin de non-recevoir tirée de la transaction une nature spécifique.

La question transmise à la deuxième chambre civile souligne que l’arrêt n’a pas statué, « dans un chef de dispositif distinct, sur la question de fond relative au régime de la transaction ». Cette formulation suggère que la cour d’appel s’est bornée à constater l’existence de la transaction pour en déduire l’irrecevabilité, sans examiner si les conditions de validité ou d’application de cette transaction étaient réunies.

Cette configuration procédurale pose la question de savoir si le juge a véritablement tranché le principal ou s’il s’est limité à un examen de recevabilité. La distinction revêt une importance capitale pour déterminer si le pourvoi est immédiatement recevable. La transmission pour avis révèle l’hésitation de la première chambre civile face à cette difficulté.

II. Les enjeux procéduraux du mécanisme de consultation entre chambres

La décision de transmettre la question pour avis à la deuxième chambre civile met en évidence tant l’utilité du mécanisme prévu par l’article 1015-1 du code de procédure civile (A) que les perspectives d’harmonisation jurisprudentielle qu’il permet (B).

A. Le recours au mécanisme de l’article 1015-1 du code de procédure civile

L’article 1015-1 du code de procédure civile permet à une chambre de la Cour de cassation de solliciter l’avis d’une autre chambre sur une question de droit relevant de sa compétence. Ce mécanisme vise à assurer la cohérence de la jurisprudence au sein de la Cour de cassation. Il évite que des solutions divergentes soient adoptées par différentes chambres sur des questions connexes.

La première chambre civile a choisi de consulter la deuxième chambre civile, traditionnellement compétente en matière de procédure civile. Ce choix s’explique par la nature essentiellement procédurale de la question posée. Il s’agit de déterminer les conditions de recevabilité du pourvoi en cassation, matière relevant par excellence du contentieux procédural.

La transmission pour avis n’est pas un dessaisissement. La première chambre civile « sursoit à statuer dans l’attente de la réponse » et renvoie l’affaire à une audience ultérieure. Elle conserve donc sa compétence pour trancher le litige au fond une fois l’avis rendu. Ce mécanisme préserve la cohérence du traitement du dossier tout en bénéficiant de l’éclairage de la chambre spécialisée.

B. Les perspectives d’harmonisation jurisprudentielle

La question transmise présente un intérêt qui dépasse le cas d’espèce. Elle interroge plus largement le régime des voies de recours contre les décisions statuant sur des fins de non-recevoir partielles. La réponse de la deuxième chambre civile pourrait clarifier l’état du droit positif sur cette question.

Deux solutions paraissent envisageables. Selon une première approche, le pourvoi immédiat serait recevable dès lors que l’arrêt a définitivement tranché la question de la recevabilité d’un chef de demande. Cette solution favoriserait la protection des droits du justiciable en lui permettant de contester sans délai une décision qui lui fait grief. Selon une seconde approche, le pourvoi devrait être différé jusqu’à la décision sur le fond. Cette solution privilégierait la concentration des recours et la bonne administration de la justice.

L’avis de la deuxième chambre civile permettra de trancher entre ces deux conceptions. Il constituera un élément d’harmonisation de la jurisprudence en précisant les critères de recevabilité immédiate du pourvoi. La décision finale de la première chambre civile, éclairée par cet avis, contribuera à la sécurité juridique des justiciables confrontés à des décisions partielles sur la recevabilité de leurs demandes.

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Hassan KOHEN
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