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Une décision du Tribunal judiciaire d’Alès, statuant en référé le 19 juin 2025, est venue rappeler l’importance de l’office probatoire du juge et les limites de la compétence du juge des référés en matière d’expulsion. Cette ordonnance illustre la rigueur procédurale attendue du demandeur à l’expulsion, même en présence d’un défendeur défaillant.
En l’espèce, une société civile immobilière avait consenti, par contrat du 9 octobre 2020, un bail commercial dérogatoire d’une durée de vingt-trois mois portant sur un atelier à usage commercial. Le contrat stipulait expressément son exclusion du statut des baux commerciaux et renvoyait aux dispositions de droit commun des articles 1714 à 1762 du Code civil. Le bail devait prendre fin le 9 septembre 2022.
Le preneur avait été condamné pénalement le 23 mai 2022 à une peine d’emprisonnement pour diverses infractions liées aux stupéfiants et aux armes. À sa libération, il n’avait pas restitué les lieux malgré l’échéance contractuelle. La bailleresse avait tenté une résolution amiable par lettre recommandée du 4 décembre 2023, demeurée sans réponse. Elle assigna donc le preneur en référé aux fins d’expulsion et de condamnation au paiement d’un arriéré locatif et d’une indemnité d’occupation.
Le défendeur, régulièrement assigné selon les modalités de l’article 658 du Code de procédure civile, ne comparut pas. La bailleresse maintenait l’intégralité de ses prétentions, sollicitant notamment la constatation de l’occupation sans droit ni titre, l’expulsion sous astreinte, la fixation d’une indemnité d’occupation et le paiement provisionnel des loyers impayés.
La question posée au juge des référés était de déterminer si, en l’absence de pièces justificatives suffisantes établissant tant la réalité de l’arriéré locatif que le maintien effectif du preneur dans les lieux, il pouvait faire droit aux demandes d’expulsion et de condamnation pécuniaire.
Le juge des référés a ordonné la réouverture des débats afin que la bailleresse justifie de l’arriéré locatif et démontre que le preneur occupait toujours le local. Il a sursis à statuer sur l’ensemble des demandes en renvoyant l’affaire à une audience ultérieure.
I. L’exigence probatoire pesant sur le demandeur à l’expulsion
A. La charge de la preuve de l’occupation sans droit ni titre
Le juge des référés a relevé qu’« aucun élément ne permet de constater que Monsieur [le preneur] est toujours dans les lieux ». Cette observation met en lumière une condition essentielle de l’action en expulsion. Le demandeur doit établir non seulement l’extinction du titre locatif, mais également la persistance de l’occupation matérielle des lieux par le défendeur.
La fin du bail au 9 septembre 2022 ne suffisait pas, à elle seule, à caractériser une occupation illicite actuelle. L’écoulement de près de trois années entre l’échéance contractuelle et l’assignation rendait cette démonstration d’autant plus nécessaire. Le juge ne pouvait prononcer une mesure d’expulsion sans certitude quant à la présence effective du preneur dans les locaux.
Cette exigence probatoire s’inscrit dans la logique de l’article 31 du Code de procédure civile, expressément visé par l’ordonnance, selon lequel l’action suppose un intérêt légitime. L’intérêt à obtenir l’expulsion d’une personne qui n’occupe plus les lieux serait purement théorique.
B. L’insuffisance des pièces relatives à la créance locative
Le juge a également constaté que « les pièces versées au débat ne comprennent pas de décompte, de lettre de mise en demeure, ni de commandement de payer sur la période du 09 mai 2022 au 09 septembre 2022 ». Cette lacune documentaire empêchait d’« apprécier en toute objectivité la réalité de l’arriéré locatif exigible ».
La demande provisionnelle de loyers impayés se heurtait ainsi à l’impossibilité pour le juge de vérifier le quantum de la créance alléguée. En référé, le pouvoir de condamnation provisionnelle suppose que l’obligation ne soit pas sérieusement contestable. L’absence même de décompte précis et de mise en demeure préalable fragilisait la démonstration du caractère non contestable de la créance.
Cette rigueur du juge protège le débiteur défaillant contre une condamnation fondée sur des allégations non étayées. Elle impose au créancier une discipline probatoire élémentaire.
II. Le recours à la réouverture des débats comme mesure d’administration judiciaire
A. La nature et le régime de la mesure ordonnée
Le juge a qualifié sa décision de « mesure d’administration judiciaire » en visant l’article 537 du Code de procédure civile. Il a rappelé la jurisprudence de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 13 mai 2015 selon laquelle « la décision qui se borne à ordonner la réouverture des débats, à inviter les parties à produire des pièces complémentaires et à renvoyer l’affaire à une date ultérieure est une mesure d’administration judiciaire, qui n’est susceptible d’aucun recours ».
Cette qualification emporte des conséquences procédurales significatives. L’ordonnance n’a pas à être signifiée au défendeur défaillant pour produire ses effets. Elle ne peut faire l’objet d’aucune voie de recours. Le sursis à statuer prononcé suspend le cours de l’instance sans trancher le fond du litige.
Le recours à l’article 446-3 du Code de procédure civile permettait au juge d’inviter la partie demanderesse à compléter son dossier. Cette disposition confère au juge un pouvoir actif dans la direction du procès et l’instruction de l’affaire.
B. La portée de l’exigence de loyauté probatoire en procédure de référé
La décision illustre que le caractère provisoire et urgent du référé n’exonère pas le demandeur des règles probatoires fondamentales. Le juge des référés dispose certes de pouvoirs étendus pour faire cesser un trouble manifestement illicite ou prévenir un dommage imminent. Il peut également accorder une provision lorsque l’obligation n’est pas sérieusement contestable.
Ces pouvoirs demeurent subordonnés à la démonstration factuelle des conditions d’intervention. La défaillance du défendeur ne dispense pas le demandeur d’établir le bien-fondé apparent de ses prétentions. Le juge conserve son office de vérification des éléments soumis à son appréciation.
Cette ordonnance de réouverture des débats constitue une mise en garde implicite à l’attention des bailleurs. Avant de saisir le juge des référés aux fins d’expulsion, ils doivent constituer un dossier documenté comprenant le décompte actualisé de la dette, les mises en demeure adressées et tout élément attestant de la persistance de l’occupation. Le défaut de ces pièces élémentaires expose la demande à un renvoi qui retarde d’autant la résolution du litige.