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Le juge de l’exécution du tribunal judiciaire d’Amiens a rendu, le 13 juin 2025, une décision relative à la contestation d’une saisie conservatoire de créances pratiquée à la demande d’un fonds d’indemnisation. Cette décision illustre les conditions de validité et de maintien des mesures conservatoires en présence d’une créance issue d’une procédure d’indemnisation des victimes d’infractions.
Les faits à l’origine du litige trouvent leur source dans une affaire pénale. Un individu avait reconnu sa responsabilité pénale pour des faits commis à l’encontre d’une victime. Cette dernière avait saisi la commission d’indemnisation des victimes d’infractions qui, par décision du 8 juin 2024, avait homologué un accord prévoyant le versement d’une somme de 17 996,29 euros en réparation des préjudices subis. Le fonds d’indemnisation, après avoir versé cette somme, s’est retourné contre l’auteur des faits dans le cadre de son action subrogatoire. Face à l’absence de réponse aux relances, le fonds a sollicité et obtenu, par ordonnance du 1er octobre 2024, l’autorisation de pratiquer une saisie conservatoire sur les comptes bancaires du débiteur pour garantir une créance de 17 000 euros. La mesure fut exécutée le 8 octobre 2024 et dénoncée le 14 octobre suivant.
Le débiteur et son épouse ont contesté cette mesure en invoquant, d’une part, sa caducité pour défaut de respect des formalités de l’article R 511-8 du code des procédures civiles d’exécution et, d’autre part, l’absence des conditions de fond prévues à l’article L 511-1 du même code. Ils sollicitaient également des dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la saisie.
La question posée au juge de l’exécution était double : la saisie conservatoire était-elle caduque faute d’information du tiers saisi dans le délai légal ? À défaut, les conditions de fond tenant à l’existence d’une créance paraissant fondée en son principe et de circonstances menaçant son recouvrement étaient-elles réunies ?
Le juge de l’exécution a rejeté l’ensemble des demandes des contestataires. Sur la caducité, il a retenu que les diligences nécessaires à l’obtention d’un titre exécutoire avaient été engagées avant même l’ordonnance autorisant la saisie, une action judiciaire ayant été introduite le 26 septembre 2024. Sur le fond, il a considéré que la reconnaissance de responsabilité pénale, l’expertise médicale retenant un déficit fonctionnel et la décision d’homologation de la commission d’indemnisation établissaient le caractère vraisemblable d’un principe de créance. Les circonstances menaçant le recouvrement étaient caractérisées par l’attitude du débiteur qui, malgré plusieurs relances, n’avait pas donné suite aux demandes du fonds.
Cette décision mérite examen tant au regard des conditions procédurales de maintien de la saisie conservatoire (I) que des conditions de fond justifiant son bien-fondé (II).
I. Le rejet de la caducité par la validation des diligences préalables
A. L’articulation des délais légaux en matière de saisie conservatoire
L’article R 511-7 du code des procédures civiles d’exécution impose au créancier dépourvu de titre exécutoire d’introduire une procédure tendant à l’obtention d’un tel titre dans le mois suivant l’exécution de la mesure conservatoire. L’article R 511-8 du même code prévoit, lorsque la saisie est pratiquée entre les mains d’un tiers, que le créancier signifie à ce dernier une copie des actes attestant ces diligences dans un délai de huit jours à compter de leur date, à peine de caducité.
Les contestataires arguaient que le fonds ne justifiait pas de l’information faite au tiers saisi dans ce délai de huit jours. Le juge a écarté ce moyen en relevant que « les formalités nécessaires à l’obtention d’un titre exécutoire étaient engagées avant même l’ordonnance aux fins de saisie conservatoire ». L’assignation au fond avait été délivrée le 26 septembre 2024, soit antérieurement à l’ordonnance du 1er octobre 2024 autorisant la saisie.
B. L’admission d’une chronologie inversée favorable au créancier
Cette solution présente un intérêt particulier. Le juge admet que les diligences accomplies avant l’autorisation de saisie satisfont aux exigences légales. La requête aux fins de saisie conservatoire mentionnait « qu’une action judiciaire est en cours », ce qui suffisait à informer le tiers saisi du maintien de son obligation de conservation.
Cette interprétation apparaît conforme à la finalité du texte. L’article R 511-8 vise à informer le tiers saisi de la pérennité de la mesure afin qu’il maintienne les biens indisponibles. Lorsque les diligences sont antérieures à la saisie elle-même, le délai de huit jours perd sa pertinence puisque l’information peut être donnée concomitamment à la dénonciation de la saisie. Le juge rappelle que « cette formalité est prévue en vue d’informer le tiers saisi du maintien de l’obligation qui lui incombe de conserver les biens rendus indisponibles par la saisie conservatoire ». Cette lecture téléologique du texte privilégie l’effectivité de l’information sur le formalisme des délais.
II. La caractérisation des conditions de fond de la saisie conservatoire
A. L’appréciation du caractère vraisemblable de la créance
L’article L 511-1 du code des procédures civiles d’exécution subordonne la saisie conservatoire à l’existence d’une créance paraissant fondée en son principe. Le juge de l’exécution précise qu’il ne lui « appartient pas de statuer sur la réalité de la créance ou d’en fixer le montant, mais de se prononcer sur le caractère vraisemblable d’un principe de créance ».
Les contestataires soulevaient plusieurs moyens de fond : absence d’information sur la procédure devant la commission d’indemnisation, conditions de saisine non vérifiées, nécessité de prendre en compte la faute éventuelle de la victime. Le juge a expressément refusé d’examiner ces arguments au motif que « la nécessité pour le juge de se prononcer sur le seul caractère vraisemblable d’un principe de créance exclue l’appréciation des éléments touchant plus particulièrement au caractère contradictoire, aux moyens de prescription ou encore à l’éventuelle faute du plaignant qui devront être appréciés par le juge du fond ».
Cette délimitation stricte des pouvoirs du juge de l’exécution préserve la compétence du juge du fond. Les éléments retenus pour caractériser la vraisemblance de la créance sont objectifs : reconnaissance de responsabilité pénale, expertise médicale établissant un déficit fonctionnel, décision d’homologation de la commission d’indemnisation et justification du paiement effectif par le fonds. Le juge note qu’« on a peine à comprendre la raison pour laquelle cette responsabilité pénale serait exclusive par principe d’une réparation ».
B. L’appréciation des circonstances menaçant le recouvrement
Le second volet de l’article L 511-1 exige la démonstration de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la créance. Le juge rappelle que « l’appréciation par le juge des menaces susceptibles de menacer le recouvrement de la créance ne se limite pas à la situation objective de solvabilité du débiteur mais suppose de prendre en compte l’attitude subjective de ce dernier ».
Le débiteur affirmait avoir cru à une « arnaque » pour justifier son absence de réponse aux sollicitations du fonds. Le juge écarte cette explication en relevant que les correspondances produites, s’étalant du 5 février au 25 juin 2024, mentionnaient l’adresse du débiteur et faisaient ressortir l’existence d’un accord non respecté. Cette attitude de défiance, voire d’inertie, caractérise suffisamment les circonstances menaçant le recouvrement.
Cette appréciation subjective du comportement du débiteur s’inscrit dans une jurisprudence établie. Le silence prolongé face à des demandes réitérées, même motivé par une suspicion infondée, constitue un indice de mauvaise volonté justifiant le recours à une mesure conservatoire. Le juge relève néanmoins, avec une certaine nuance, qu’il « peut comprendre le caractère désormais ancien de la procédure dont le débiteur n’a manifestement pas été informé », renvoyant cette question au juge du fond. Cette précision témoigne d’un équilibre entre la protection du créancier et la prise en compte des circonstances particulières du débiteur, sans toutefois remettre en cause le bien-fondé de la mesure conservatoire.