Tribunal judiciaire de Amiens, le 16 juin 2025, n°25/00325

Le contrat de déménagement, bien qu’il relève du régime général des contrats de transport, obéit à des règles spécifiques lorsqu’il lie un professionnel et un consommateur. La question de la preuve des avaries survenues au cours du transport constitue un enjeu majeur pour le destinataire qui entend obtenir réparation de son préjudice. Le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire d’Amiens a rendu le 16 juin 2025 une décision qui illustre les difficultés probatoires auxquelles se heurtent les consommateurs victimes de dommages lors d’un déménagement.

En l’espèce, deux particuliers ont confié à une société de déménagement le transport de leurs meubles entre deux domiciles, moyennant une somme incluant une garantie dite Saphir. Le déménagement a été effectué le 30 août 2024. Lors de la livraison, les destinataires ont constaté des avaries sur cinq meubles, mentionnées sur la lettre de voiture. Par courrier du 2 septembre 2024, ils ont signalé des dommages supplémentaires affectant quatre autres biens.

La société de déménagement a proposé une indemnisation jugée insuffisante par les destinataires. Ces derniers l’ont alors assignée devant le juge des contentieux de la protection aux fins d’obtenir réparation de leur préjudice matériel et moral. La défenderesse a contesté sa responsabilité pour les biens non mentionnés sur la lettre de voiture, invoquant la présomption de livraison conforme.

La question posée au juge était double. Il s’agissait de déterminer si la responsabilité du déménageur pouvait être engagée pour des avaries non signalées lors de la réception des biens. Il convenait également de préciser les modalités d’évaluation de l’indemnisation due au titre des dommages reconnus.

Le tribunal a jugé que seules les réserves émises lors de la livraison permettent de bénéficier de la présomption de responsabilité du transporteur. Pour les biens non listés sur la lettre de voiture, les destinataires devaient rapporter la preuve que les avaries étaient imputables au déménagement. Le juge a retenu que cette preuve était rapportée par les excuses présentées par la société, lesquelles valaient reconnaissance de responsabilité. Sur l’évaluation du préjudice, le tribunal a appliqué les stipulations contractuelles relatives à la garantie souscrite.

L’analyse de cette décision conduit à examiner le régime probatoire applicable aux avaries de transport dans le contrat de déménagement (I), avant d’étudier les modalités d’évaluation de l’indemnisation du préjudice subi par le consommateur (II).

I. Le régime probatoire des avaries dans le contrat de déménagement

Le droit des transports organise un système de présomptions destiné à faciliter la preuve des dommages subis par les marchandises. Ce mécanisme connaît toutefois des aménagements significatifs selon que des réserves ont été ou non formulées à la livraison.

A. La présomption de responsabilité attachée aux réserves émises à la livraison

L’article L. 133-1 du code de commerce pose le principe de la responsabilité de plein droit du voiturier. Le tribunal rappelle que « le voiturier est garant de la perte des objets à transporter » et « des avaries autres que celles qui proviennent du vice propre de la chose ou de la force majeure ». Cette règle protectrice du destinataire trouve son fondement dans l’impossibilité pratique pour celui-ci de surveiller le transport.

L’article L. 224-63 du code de la consommation adapte ce régime aux contrats de déménagement conclus avec un consommateur. Le délai de protestation est porté à dix jours calendaires, contre trois jours en droit commun. Le tribunal précise que « les réserves émises par le destinataire à la livraison et non contestées par le transporteur dispensent de la protestation motivée ». Cette disposition allège la charge probatoire pesant sur le consommateur.

En l’espèce, cinq meubles ont fait l’objet de réserves sur la lettre de voiture du 30 août 2024. La société de déménagement « ne conteste pas être responsable des avaries causées sur les meubles listés dans la lettre de voiture ». Pour ces biens, la présomption de responsabilité joue pleinement. Le déménageur ne peut s’exonérer qu’en prouvant le vice propre de la chose ou la force majeure, preuves qu’il n’a pas rapportées.

B. Le renversement de la charge de la preuve en l’absence de réserves

Le tribunal énonce clairement la règle applicable aux biens non mentionnés sur la lettre de voiture. « La livraison sans réserve entraîne une présomption de réception conforme, opposable au destinataire qui est censé avoir reçu les biens indemnes de toute avarie. » Cette présomption simple peut être combattue, mais la charge de la preuve pèse désormais sur le réclamant.

Le juge apporte une précision importante quant à l’effet de la protestation tardive. « L’envoi d’une lettre recommandée dans les dix jours a pour seul effet d’éviter l’extinction de l’action contre le déménageur mais ne dispense pas le réclamant de son obligation d’établir que les avaries alléguées sont imputables à celui-ci. » La protestation préserve le droit d’agir sans pour autant inverser la charge probatoire.

Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence constante de la Cour de cassation. Elle impose au destinataire négligent de rapporter une preuve souvent difficile à administrer. Comment démontrer, après la livraison, qu’un dommage est survenu pendant le transport et non avant ou après celui-ci ? Cette difficulté explique l’importance capitale des vérifications effectuées lors de la réception.

L’examen du régime probatoire conduit naturellement à s’interroger sur les modalités de réparation du préjudice une fois la responsabilité établie.

II. L’évaluation de l’indemnisation du préjudice matériel et moral

La détermination du montant de l’indemnisation obéit à des règles particulières dans le contrat de déménagement. L’existence de clauses contractuelles limitatives de responsabilité et la question de la preuve du préjudice moral soulèvent des difficultés spécifiques.

A. L’application des stipulations contractuelles à l’indemnisation du préjudice matériel

Le contrat de déménagement comportait une garantie dénommée Saphir, dont les stipulations encadraient les modalités d’indemnisation. La société défenderesse soutenait que « l’indemnisation ne peut être supérieure à la valeur du bien endommagé » et qu’elle « correspond à la plus faible des deux sommes entre les frais de réparation et la valeur de remplacement ». Ces clauses sont licites dans la mesure où elles ne vident pas l’obligation de sa substance.

Le tribunal applique les taux de vétusté prévus par le contrat. Pour le buffet acquis au prix de 1 737 euros, la défenderesse proposait une déduction de 15 % correspondant à trois années d’usage. Cette méthode d’évaluation objective permet de déterminer la valeur résiduelle du bien au jour du sinistre. Elle évite l’enrichissement du destinataire qui recevrait une indemnité supérieure à la valeur réelle de son bien.

La question du plafond de garantie a également été soulevée. La société de déménagement affirmait que « seuls les objets listés sont couverts par la garantie car la valeur de ces biens atteint le plafond de garantie ce qui exclut l’indemnisation du vélo et du meuble bas ». L’existence d’un plafond contractuel limite le montant total de l’indemnisation, indépendamment du préjudice réellement subi.

B. L’appréciation du préjudice moral lié aux difficultés d’installation

Les demandeurs sollicitaient une indemnisation au titre de leur préjudice moral. Ils exposaient avoir « été privés de biens essentiels à leur quotidien » et que « leur installation a été retardée ce qui a engendré du stress ». Ils invoquaient également « l’attitude de la SARL DEMENAGEMENT BEAUDART proposant une indemnisation insuffisante ».

La défenderesse contestait cette demande en indiquant simplement qu’elle « n’est pas justifiée ». L’appréciation du préjudice moral relève du pouvoir souverain des juges du fond. Encore faut-il que le demandeur établisse la réalité de ce préjudice, qui ne se présume pas. Le simple désagrément causé par l’inexécution contractuelle ne suffit pas nécessairement à caractériser un préjudice moral indemnisable.

La jurisprudence admet l’indemnisation du préjudice moral en matière contractuelle lorsque celui-ci présente un caractère certain et distinct du préjudice matériel. Les troubles dans les conditions d’existence, le stress et les démarches imposées peuvent constituer un tel préjudice. Le tribunal devait apprécier si les éléments produits par les demandeurs établissaient suffisamment la réalité et l’étendue de ce chef de préjudice.

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Hassan KOHEN
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