Tribunal judiciaire de Amiens, le 17 juin 2025, n°25/00053

La procédure de traitement du surendettement des particuliers, instaurée pour protéger les débiteurs en situation financière désespérée, repose sur une condition essentielle : la bonne foi. Le jugement rendu par le Tribunal judiciaire d’Amiens le 17 juin 2025 illustre les limites de cette protection lorsque le comportement du débiteur, postérieurement à la recevabilité de son dossier, traduit une indifférence délibérée à l’égard de ses obligations.

Un particulier avait saisi le 12 septembre 2024 la commission de surendettement de la Somme d’une demande de traitement de sa situation. Le 15 octobre 2024, cette demande fut déclarée recevable. Le 11 février 2025, la commission décida d’imposer un rétablissement personnel sans liquidation judiciaire. Un office public de l’habitat forma contestation le 11 mars 2025, soutenant que le débiteur n’était pas de bonne foi, faute de régler l’intégralité de son loyer depuis plusieurs mois.

L’audience du 6 mai 2025 permit au créancier de maintenir son recours et au débiteur de faire valoir la faiblesse de ses ressources. Le tribunal devait déterminer si le comportement du débiteur postérieur à la recevabilité caractérisait une mauvaise foi au sens de la procédure de surendettement.

Le tribunal a retenu la mauvaise foi du débiteur et l’a déchu du bénéfice de la procédure, au motif que ses dépenses révélaient une volonté d’augmenter de façon inconsidérée son passif plutôt que de stabiliser sa situation.

Cette décision invite à examiner d’abord les critères d’appréciation de la bonne foi en matière de surendettement (I), avant d’analyser les conséquences attachées à la caractérisation de la mauvaise foi (II).

I. Les critères d’appréciation de la bonne foi du débiteur surendetté

La bonne foi constitue le sésame de la procédure de surendettement. Le tribunal rappelle les principes gouvernant son appréciation (A) avant d’en caractériser l’absence au regard du comportement concret du débiteur (B).

A. La présomption de bonne foi et son renversement

Le tribunal rappelle que « la bonne foi du débiteur est présumée et il appartient au créancier qui excipe de sa mauvaise foi de le démontrer ». Cette présomption protège le débiteur contre les accusations infondées et place la charge probatoire sur le créancier contestant.

La décision précise que « la simple négligence ou imprévoyance du débiteur ne permet pas de caractériser sa mauvaise foi qui est constituée par la volonté systématique et irresponsable de recourir au crédit, pour réaliser des dépenses somptuaires ou mener un train de vie dispendieux ». Cette formulation reprend la jurisprudence constante de la Cour de cassation distinguant l’imprudence, insuffisante, de l’intention frauduleuse.

Le jugement souligne en outre que « les faits constitutifs de la mauvaise foi doivent être en lien direct avec la situation de surendettement ». Il ne suffit pas d’établir un comportement moralement répréhensible ; encore faut-il que ce comportement ait contribué à créer ou aggraver l’endettement.

B. L’exigence de bonne foi tout au long de la procédure

Le tribunal distingue trois phases temporelles d’appréciation. D’abord, « le débiteur doit avoir été de bonne foi pendant la phase d’endettement ». Ensuite, « la bonne foi est par ailleurs requise dans le cadre de la phase d’ouverture de la procédure et tout au long du déroulement de celle-ci ».

Cette exigence continue trouve une application particulière après la décision de recevabilité. Le jugement observe que « la décision de recevabilité doit permettre au débiteur de stabiliser sa situation en mettant fin aux poursuites de ses créanciers pour les dettes antérieures ». La suspension des poursuites n’est pas une fin en soi mais un moyen d’assainissement.

Le tribunal formule un principe général : « Il est usuellement admis que l’absence de reprise du règlement du loyer postérieurement à la recevabilité d’une demande de traitement de la situation de surendettement caractérise la volonté du débiteur d’augmenter de façon inconsidérée son passif. » Cette jurisprudence établit une présomption de mauvaise foi en cas de non-paiement des charges courantes après recevabilité.

II. Les conséquences de la caractérisation de la mauvaise foi

La mauvaise foi une fois établie entraîne la déchéance du bénéfice de la procédure. Le tribunal procède à une analyse concrète des dépenses du débiteur (A) pour en tirer les conséquences juridiques appropriées (B).

A. L’analyse concrète du comportement du débiteur

Le tribunal ne se contente pas de constater le non-paiement du loyer. Il examine les relevés de compte pour apprécier si les ressources permettaient un meilleur comportement. Le jugement relève que le débiteur disposait de 1.205 euros de pension d’invalidité et 79 euros d’allocation logement, ressources certes modestes mais non négligeables.

L’examen des comptes révèle que « Monsieur […] a, en l’espace de cinq jours dépensé la somme de 137,53 euros en kebab et livraison de repas ». Cette précision factuelle démontre que les difficultés de paiement ne résultaient pas d’une insuffisance objective de ressources mais d’un choix délibéré d’affectation.

Le tribunal observe également que le débiteur s’était « engag[é] dans le cadre de la saisine de la commission de surendettement à mettre fin à certains contrats dont Canal + » alors que « ceux-ci sont toujours en cours ». Le non-respect des engagements pris lors du dépôt du dossier aggrave la caractérisation de la mauvaise foi.

B. La déchéance comme sanction de l’instrumentalisation de la procédure

Le tribunal énonce un principe fondamental : « Le débiteur ne peut en effet obtenir à la fois la suspension de l’exigibilité de ses dettes et l’absence de règlement de ses charges courantes. » La procédure de surendettement confère des droits mais impose des devoirs corrélatifs.

La décision souligne que « la loi sur le surendettement des particuliers confér[e] certes des droits, mais également des obligations pour celui qui entend en obtenir sa protection ». Cette réciprocité des engagements constitue l’équilibre même du dispositif légal.

En l’espèce, « son endettement a quasiment doublé depuis le dépôt du dossier de surendettement ». Cette aggravation substantielle, intervenue pendant la période de protection, traduit une instrumentalisation de la procédure incompatible avec ses finalités. Le débiteur a utilisé le répit accordé non pour stabiliser sa situation mais pour poursuivre des dépenses superflues aux dépens de ses créanciers.

La déchéance prononcée prive le débiteur de toute protection et le replace dans la situation antérieure à sa saisine. Les créanciers recouvrent leur droit de poursuite. Cette sanction, sévère pour un débiteur aux ressources limitées, rappelle que la protection légale suppose une loyauté minimale dans l’exécution des obligations courantes.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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