Tribunal judiciaire de Angers, le 16 juin 2025, n°24/02613

L’action en contestation de paternité constitue l’un des mécanismes essentiels du droit de la filiation permettant de rétablir la vérité biologique. Le tribunal judiciaire d’Angers, par un jugement avant dire droit du 16 juin 2025, offre une illustration topique de cette procédure.

En l’espèce, une enfant est née le 2016 et a été reconnue par un homme de nationalité gabonaise. La mère de l’enfant, née en Somalie, conteste cette paternité et soutient qu’un autre homme, né en République Démocratique du Congo, serait le père biologique. L’enfant mineure est représentée par un administrateur ad hoc désigné à cet effet.

La demanderesse a saisi le tribunal judiciaire d’Angers par assignation du 16 octobre 2024 afin de contester la paternité de l’auteur de la reconnaissance et d’établir celle du père prétendu. L’ordonnance de clôture a été rendue le 5 mai 2025. Le tribunal a statué à l’audience du 19 mai 2025, hors la présence du public.

La question posée au tribunal était de déterminer si les éléments versés aux débats justifiaient le recours à une expertise biologique pour trancher le litige relatif à la paternité de l’enfant.

Le tribunal ordonne le rabat de l’ordonnance de clôture et, avant dire droit, une expertise génétique confiée à un laboratoire universitaire. L’expert devra procéder aux prélèvements biologiques sur les deux hommes concernés, sur l’enfant et, au besoin, sur la mère, afin d’établir ou d’exclure la paternité de chacun des hommes.

Cette décision soulève la question du rôle de l’expertise génétique dans le contentieux de la filiation. Le tribunal recourt à la preuve scientifique comme instrument privilégié de manifestation de la vérité (I), tout en organisant les modalités procédurales de cette mesure d’instruction (II).

I. Le recours à l’expertise génétique comme instrument de vérité biologique

Le tribunal ordonne une expertise génétique, consacrant ainsi la primauté de la preuve scientifique (A) dans un cadre juridique strictement encadré (B).

A. La consécration de la preuve scientifique en matière de filiation

L’expertise biologique constitue aujourd’hui le mode de preuve privilégié en matière de filiation. L’article 310-3 du Code civil dispose que la filiation se prouve par tous moyens, sous réserve des règles propres à chaque type de filiation. La jurisprudence de la Cour de cassation a progressivement consacré le principe selon lequel l’expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s’il existe un motif légitime de ne pas y procéder.

Le tribunal d’Angers s’inscrit dans cette lignée en ordonnant une expertise génétique. La mission confiée à l’expert est précise : « Etablir, à partir du plus grand nombre possible d’identifications biologiques, le profil génétique de chacun d’eux et dire si la comparaison des résultats obtenus permet d’exclure ou d’établir la paternité ». L’expert devra également préciser « le degré de probabilité du résultat proposé ».

Cette formulation reprend les termes habituellement employés dans ce type de missions. La recherche du « plus grand nombre possible d’identifications biologiques » vise à garantir la fiabilité du résultat. L’exigence de précision du « degré de probabilité » témoigne de la rigueur scientifique attendue. Les laboratoires parviennent généralement à des taux de certitude supérieurs à 99,99 % en cas de paternité établie.

B. L’encadrement juridique de l’expertise biologique

L’article 16-11 du Code civil soumet l’identification d’une personne par ses empreintes génétiques à des conditions strictes. En matière civile, cette identification ne peut être recherchée qu’en exécution d’une mesure d’instruction ordonnée par le juge saisi d’une action tendant soit à l’établissement ou la contestation d’un lien de filiation, soit à l’obtention ou la suppression de subsides.

Le consentement préalable de l’intéressé doit être recueilli. Ce principe fondamental protège l’intégrité corporelle de la personne. Le refus de se soumettre à l’expertise ne peut toutefois être sans conséquence. La jurisprudence admet que le juge tire toutes les conséquences d’un tel refus.

Le tribunal précise qu’il « appartiendra aux parties de s’accorder avec l’expert désigné sur les conditions de prélèvement nécessaires à l’expertise ». Cette formulation laisse une marge de souplesse dans l’organisation pratique des opérations. Elle implique néanmoins la coopération de l’ensemble des parties au litige.

II. L’organisation procédurale de la mesure d’instruction

Le tribunal met en place un dispositif complet encadrant le déroulement de l’expertise (A) et garantissant la protection des intérêts de l’enfant mineur (B).

A. Les modalités d’exécution de l’expertise ordonnée

Le tribunal confie l’expertise à un laboratoire universitaire spécialisé. Ce choix garantit la compétence technique et l’indépendance de l’organisme désigné. L’expert doit faire connaître « sans délai son acceptation de la mission ».

Le délai imparti pour le dépôt du rapport est fixé à six mois « à compter de sa saisine par le greffe du tribunal ». Ce délai, raisonnable au regard de la complexité des opérations, permet de concilier célérité et rigueur scientifique.

Le tribunal prévoit l’hypothèse de difficultés dans l’exécution de la mission. L’expert devra alors « informer le juge chargé du suivi des opérations d’expertise des difficultés particulières qu’il rencontre ». Il devra également « indiquer le programme de ses investigations » et « la date à laquelle son rapport sera remis ».

Le magistrat chargé du service central de contrôle des expertises est désigné pour surveiller les opérations. Cette supervision garantit le respect des délais et la qualité de l’expertise. Les parties peuvent également saisir ce magistrat « en cas de difficultés ».

B. La préservation des droits de l’enfant dans la procédure

L’enfant mineure est représentée par un administrateur ad hoc. Cette désignation répond à l’exigence de l’article 388-2 du Code civil qui prévoit la nomination d’un administrateur ad hoc lorsque les intérêts du mineur apparaissent en opposition avec ceux de ses représentants légaux.

En l’espèce, la mère conteste la paternité de l’auteur de la reconnaissance. L’enfant ne pouvait être représentée par sa mère, partie au litige, ni par celui dont la paternité est contestée. La désignation d’un administrateur ad hoc garantit la défense autonome des intérêts de l’enfant.

Le tribunal sursoit à statuer sur les autres demandes et renvoie l’affaire au 15 janvier 2026. Ce renvoi permettra à la demanderesse de conclure au fond après le dépôt du rapport d’expertise. Les frais d’expertise sont avancés par le Trésor Public, la demanderesse bénéficiant de l’aide juridictionnelle totale. Cette prise en charge assure l’effectivité du droit d’accès au juge pour les personnes dépourvues de ressources suffisantes.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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